Alors oui, j'arrive carrément après la bataille. Tellement après la bataille, que j'ai dû aller vérifier l'année de publication - 1996- lorsque dans le prologue Bridget liste parmi ses résolutions du nouvel an " apprendre à programmer le magnétoscope" ou "enregistrer sur bandes des compils d'ambiance [...] pour éviter de passer soirée [...] au milieu d'un fouillis de cassettes étalées par terre". Un peu plus loin, elle bataille avec la messagerie interne de son boulot ( digne d'ICQ ou AIM, pour les plus vieux d'entre nous). A la base, j'avais prévu de le lire pour le mois anglais, mais... un moment de creux en décembre, des rendez-vous médicaux, bref, je l'ai lu avec plus de 6 mois d'avance.
Et comme le livre en question raconte ce qui se passe pendant un an du premier janvier au 31 décembre, aller, go: programmation du billet pour le premier janvier, ça me fera la découverte de ce mois de janvier.
Donc, ça date et je me demande si les lecteurs plus jeunes que moi comprendront encore certaines références d'ici une dizaine d'années.
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Avec un téléphone à fil .. hé oui 1996, ça fait presque 30 ans. Et si on y réfléchit, Bridget la trentenaire mal dans sa peau de 1996, serait en 2024 une pré-retraitée, probablement toujours mal dans sa peau.
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Je n'avais jamais été vraiment tentée par le livre, mais je l'ai trouvé par hasard, donc.. allez, ça fera une lecture inhabituelle (pour moi). J'avais vu, je crois l'adaptation film, je me souvient de la blonde à cheveux lisses qui dansait en pyjama sur son canapé et se prenait la tête avec sa famille. Il ne m'a pas laissé un souvenir impérissable, sympa, mais pas le genre de film que je meurs d'envie de revoir non plus. En gros, le seul passage vraiment rigolo dont je me souvenais, c'était la fête costumée " catins et pasteurs" où elle arrive habillée en bunny sans savoir qu'entre-temps la consigne a été annulée et que c'est devenu une garden-party normale, où elle est donc la seule ridiculement habillée en entraineuse de bar.
Donc, vu que ça fait très longtemps, je ne partais pas avec une idée précise, ayant beaucoup oublié de détails, et je trouve que la photo d'illustration de cette édition, avec cette brune à cheveux courts, en train de cloper et de se ronger les ongles devant un téléphone dont elle attend avec angoisse qu'il sonne, correspond finalement assez bien au contenu et à l'époque, bien dans le style des Spice Girls ou de leurs fans, donc, oui, pile cette époque là.
Bridget, c'est la nana à problèmes. Le genre qu'on a parfois dans son entourage et qui nous prend ( souvent) la tête pour pas grand chose. Le parti pris est une approche humoristique, et ce qui sauve le personnage c'est d'avoir un humour assez corrosif, mais dans le fond, c'est plutôt triste, car elle est un catalogue ambulant de névroses, et aurait bien besoin de consulter un psychologue: accro à la clope, avec une tendance alcoolique, alternant phases de boulimie et de restrictions ridicules, avec pour horizon les variations de poids sur la balance, c'est exactement le genre de femme qui se nuit physiquement, à tous les niveaux possibles. Elle se trouve grosse alors qu'elle oscille entre 55 et 59 kilos la plupart du temps! Et va parfois jusqu'à se repeser la nuit pour vérifier l'évolution. Pente dangereuse.
Mais elle se nuit aussi psychologiquement, particulièrement en fantasmant à mort sur Daniel, son patron qui est à la limite du harcèlement sexuel. Enfin non, il fait clairement du harcèlement sexuel. Si un collègue ou chef m'envoyait via la messagerie du boulot des remarques sur ma jupe ou mes nichons, je ferais directement intervenir le syndicat avec les preuves à l'appui. Daniel, c'est le gars qui fait impression, charmant de l'extérieur, mais gros plouc à l'intérieur (avec des remarques aussi classes que "les hommes n'aiment pas les sacs d'os, ils préfèrent les derrières rebondis où on pourrait garer un vélo et poser un verre de bière". Y'a pas, Daniel, c'est le cerveau de Robert Bidochon dans le corps de Robert Redford). Autant dire que dès que Bridget arrive à conclure avec lui, ben.. c'est pas du tout ce à quoi elle s'attendait: le beau gars est un pépère, qui passe ses week-ends devant la TV à regarder le cricket. Enfin, sauf quand il est occupé à se taper une autre femme.
Inversement, elle déteste Mark Darcy, parce que tout le monde l'aime bien, qu'il a un nom qui fait trop cliché de héros de roman, qu'il est habillé de manière ringarde, et surtout que c'est le type avec lequel on essaye de la caser sans lui demander son avis, sous le fallacieux prétexte qu'ils se sont amusés ensemble dans l'enfance, un été.
Mark, pas plus motivé à la base, et qui n'est d'ailleurs pas responsable du fait qu'on essaye de le caser avec elle, la chambre régulièrement d'ailleurs. Mais c'est l'homme parfait. Trop parfait, riche, intelligent, avec un humour plutôt absurde, gentil, avocat spécialisé dans les droits de l'Homme... Enfin, un peu trop "gendre idéal pour famille ambitieuse".
Bridget se nuit aussi en focalisant sur son âge, son célibat, sur les remarques de sa famille et des amis de sa famille qui veulent à tout prix influer sur sa vie; avec les mauvais conseils de ses copines tout aussi à problèmes qu'elle, et ceux les journaux féminins... qui alimentent son complexe d'infériorité. Le paradoxe, c'est qu'elle se veut une femme moderne et libre, mais que sa vie entière tourne autour d'une seule chose: les hommes, en ferrer un et le garder. Moins par réelle envie que par conformisme social, pour qu'on arrête de lui demander " ça va les amours?", ou par jalousie pour sa collègue " grosse et bien dans sa peau", pourquoi elle et pas moi, chuis moche bouhouhou. Non, tu es envieuse et négative, et ça c'est le vrai problème.
Bridget, c'est le genre de personne pour qui le moindre petit truc déclenche une réaction absolument disproportionnée: que son patron ne lui parle pas de la journée, et elle se voit déjà seule et célibataire.. mourant devant sa télé et trouvée 3 semaines plus tard mangée par son berger allemand. Oui, ça va très loin comme conclusion. Bon, il y a une solution simple pour éviter d'en arriver là: n'adopte pas de berger allemand, ce sera un bon début!
Dans le fond ce dont elle a besoin, c'est moins d'un mec que d'un entourage positif, de loisirs autres que la picole entre copines, de foutre les livres de développement personnel au recyclage, d'envoyer bouler sa barjot de mère, et surtout, d'aller en parler au psy. Parce que là, on est à un haut niveau de problèmes mentaux: " 19h55, je déteste tous mes invités, allez vous faire foutre". "20h00, j'adore mes amis".
Oui, on en connait tous et toutes, des gens comme ça et c'est compliqué de les soutenir sans se faire bouffer. Je ne mentirai pas, cette manière de tourner en dérision la santé mentale plombe vraiment le livre, pour moi. Certes, l'auteur veut faire rire en forçant le trait, mais je ne peux pas m'empêcher d'y voir le portrait d'une femme à deux doigts de la dépression nerveuse, peut être pas vraiment bipolaire, mais en tout cas clairement névrosée. Et disons que pour des questions d'histoire familiale, je n'arrive pas à trouver drôles les addictions à l'alcool, au tabac, à la bouffe, aux jeux à gratter, ou la santé mentale.
Cette raillerie systématique me paraît en fait plus nocive qu'autre chose. J'ai toujours du mal avec le fait de se moquer de ça, même "gentiment", parce que ça entraîne une honte de ceux qui en souffrent (et dans le cas de l'héroïne, la souffrance est décrite comme réelle, vu le nombre de fois où elle se dévalorise, se trouve répugnante, et se déteste. Pour passer quelques lignes plus loin à de l'autosatisfaction également exagérée, se considérant comme une sainte simplement parce qu'elle pense à quelqu'un d'autre que sa personne à un moment. Oui c'est à ce point, et ça rappelle). C'est un sujet de parodie, qui peut vite faire oublier que les gens qui "ne tournent pas rond" ne sont pas responsables de leur état. Et que faire des montagnes de taupinières n'est pas toujours simplement de l'esprit de contradiction. Dans le fond, Bridget m'inspire de la compassion plus qu'autre chose, justement parce que même dans l'exagération, la manière dont elle est présentée est autre chose que la simple envie de faire chier son monde, et que son entourage l'enfonce plutôt que de l'aider.
Le problème est que l'auteur veut faire une comédie, et que pour moi ce qui ressort le plus, c'est la détresse psychologique de l'héroïne, de sa mère, de ses copines aussi. Quand tu as connu ce genre de situation, et quand tu
as eu des amis ou de la famille concernés, ben
l'humour d'Helen Fielding n'est pas drôle, bien que son héroïne soit
elle parfois dotée d'un sens de la vacherie qui rattrape un peu son
côté pénible (mais même là, son humour est assez passif-agressif, et je sais d'expérience personnelle que c'est de l'autodéfense)
Il m'a un peu rappelé les Stagiaires, lu il y a pas mal d'années, dans le sens où il essaye de faire de l'humour avec un sujet pas drôle (l'exploitation jusqu'à la corde de stagiaires pas ou peu payés, harcèlement sexuel en entreprise et son personnage central manipulateur sans scrupule adepte des soirées picole et rail de coco. Ce bouquin avait une position trèèèès limite au sujet de la drogue)
Bon, outre ce point noir sur le fond important pour moi, au niveau de la forme, bien qu'originale, ça ne casse pas non plus trois pattes à un canard... ça ne m'a pas vraiment déplu, mais pas convaincue assez, au point de lire la suite. L'écriture est très télégraphique. On y lit, jour après jour, sur un an, les entrées du carnet de bord de Bridget, où elle consigne pour elle-même ses impressions sur sa journée, son poids, la quantité parfois digne d'un lutteur sumo des calories qu'elle absorbe ( mais en se disant parfois que sa prise de poids est due à " on fait du gras pendant l'hiver..." euh, non, t'as mangé plus de 5000 calories la veille surtout!), les clopes par paquets de 20, et ses autoflagellations... donc c'est assez peu "romanesque " comme écriture et pas non plus trop ce que j'apprécie.
Donc bon, allez, ça vaut un... " y'a pire, mais c'est pas ouf' quand même". Est-ce que je suis déçue? Même pas vraiment, parce que je n'en attendais pas grand-chose. En général, quand un livre a du succès, je me méfie. Je savais déjà ne pas être le public cible, donc...bon je ne vais pas être trop méchante, mais il est daté en fait. Pas tant par ses références que par son approche qui manque vraiment de subtilité. Mais je me dis que même à 25/30 ans, je ne l'aurais pas spécialement trouvé mieux, et je me demande encore pourquoi autant de battage a été fait autour, c'est un roman plutôt anecdotique en fait.
Il manque une vraie évolution des personnages qui tournent un peu vite en rond: la névrosée, sa mère aussi névrosée qu'elle, le patron charmant mais blaireau fini, le mec sympa à l'humour vachard... et tous les autres qui en sont pas vraiment assez définis pour qu'on les mémorise. En fait, parmi les personnages secondaires, il n'y a a peu près que le père de Bridget que j'aime bien, retraité discret soudainement plaqué par sa femme et qui ne sait plus trop comment organiser sa vie. Les autres... ce sont les copines et les collègues de travail qu'on préfère éviter d'avoir. Et l'incontournable meilleur copain homo. Mais oui, des personnages dans l'absolu assez clichés et qui évoluent peu du début à la fin. Peut être que c'est le cas dans le tome deux puisqu'il y a une suite, mais, là je n'ai pas assez accroché pour chercher la suite. Si je la trouve en boîte à livres, pourquoi pas, mais ça ne sera pas une priorité.
Vite lu... mais vite oublié aussi.
Par contre, si, il y a une chose que je trouve sympa, mais elle est liée à l'interpolation roman / film: parmi le peu qu'il m'est resté du film, c'est le fait que les rôles principaux soient tenus par Colin Firth dans le rôle de Mark Darcy, et Hugh Grant dans celui de Daniel, le chaud lapin, et que justement ces deux acteurs soient explicitement mentionnés dans le livre. Précisément dans le cas de Firth, pour avoir tenu le rôle de Mr Darcy dans une adaptation d'Orgueil et préjugé, et dans celui de Hugh Grant pour la raison moins glorieuse de s'être fait coincer en compagnie d'une .. disons d'une prestataire de services nocturnes ( cette histoire avait beaucoup fait couler d'encre à l'époque, et déjà, à l'époque je me disais que " on s'en fiche non? Est-ce que ça influe sur la qualité de son jeu d'acteur? Non. Dossier classé").
Les deux sont à mon sens deux excellents acteurs, j'avais découvert Firth dans l'assez mauvais Valmont, qu'il sauvait, et Grant dans le très bon Maurice, puis dans le très bon aussi Les vestiges du jour. Et bien qu'il s'agisse de films sérieux, je les considère bizarrement plutôt comme acteurs.. comiques, puisqu'ils se sont ensuite pas mal illustrés dans ce genre.
Mais en tout cas, le fait d'avoir participé à l'adaptation d'un livre qui les mentionnait déjà explicitement, c'est pour moi une excellente preuve d'un humour so british qui fait toujours plaisir.
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Idées n°13 : un téléphone
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