catégorie végétal: la pomme |
En l'occurrence "les pommes d'or du soleil" de Ray Bradbury, que j'ai découvert tardivement l'an dernier, et dont les Chroniques martiennes ont été un véritable coup de coeur. J'ai d'ailleurs appris que le monsieur est toujours vivant, qu'il a eu 90 ans l'an dernier, attendez vous donc à retrouver ici régulièrement quelques lectures Bradubury-esques tout au long de l'année, une sorte d'hommage personnel. Car "les Pommes d'or" ont confirmé tout le bien que j'ai pu penser de l'auteur à la lecture des Chroniques.
Ici, 20 nouvelles sont rassemblées: la sirène, le promeneur, la sorcière du mois d'avril, le désert semé d'étoiles, les fruits posés au fond de la coupe, l'infant invisible, la machine volante, le criminel, le cerf-volant doré et le vent argenté, je ne vous reverrai plus jamais, Broderie, la grande partie entre noirs et blancs, un coup de tonnerre, le vaste monde au delà des montagnes, station génératrice, en la noche, Soleil et ombre, La prairie, Service de voirie, le grand incendie, Adieu et bon voyage, les fruits d'or du soleil.
Un peu de science fiction: voyage spatial avec Les fruits d'or du soleil et le désert semé d'étoiles, qui aurait bien pu prendre place au sein des Chroniques martiennes pour cette derniere, voyage dans le temps dans un coup de tonnerre, menace nucléaire (Broderie), l'ambivalence du progrès, qui rend service mais empoisonne la vie (le criminel) ou risque d'être employé à mauvais escient (la machine volante). Bradbury se régale à tourner en ridicule la guerre, témoins le conflit insensé autant que ridicule que se livrent deux villes dans le cerf volant doré et le vent argenté.
Un peu de fantastique: la sirène d'un phare qui attire un animal de type préhistorique, l'enfant invisible -ou qui croit l'être! - la sorcière du mois d'avril, Adieu et bon voyage , curieuse histoire digne de la 4° dimension, où un enfant qui ne peut pas vieillir gagne sa vie en "louant ses services" en quelque sorte comme fils adoptif pendant quelques années à des couples sans enfants.
Et au milieu de tout ça, une nouvelle policière: les fruits posés au fond de la coupe. Deux nouvelles cocasses et un peu sous-entendues : en la noche, et le grand incendie. Parfois juste une notation absurde qui fait mouche: dans la station génératrice, une incroyante fait une expérience mystique, non pas en entrant dans une église ou un temple, mais en passant la nuit dans une station d'électricité qui devient en quelque sorte son église à elle. Voilà qui a du faire grincer quelques dents de bien-pensants.
et à côté de ça, quelques tranches de vie, parfois tragique: Je ne vous reverrai plus jamais, l'arrestation d'un homme et la reconduite à la frontière dont le permis de séjour arrive à à terme, parfois pittoresque et douce amère à travers l'évocation d'une campagnarde qui veut recevoir des lettres.. mais oublie d'apprendre à écrire pour pouvoir répondre (le vaste monde au delà des montagnes),ou d'une partie de base ball au ton éminemment politique (la grande partie entre noirs et blancs).
L'ensemble peut paraître disparate, mais on y trouve quand même un thème récurrent: l'individu seul.
Seul face à lui même et ses angoisses dans les fruits posées au fonde le coupe (un criminel d'ocasion imagine des empreintes digitales entrain de réapparaitre encore et encore malgré le nettoyage, telles la tâche de sang sur la clef dans Barbe-bleue) ou service de voirie (un éboueur qui ne peut pas supporter de savoir qu'un jour, peut être il sera réquisitionné pour charger dans son camion les possibles victimes d'une guerre)
Seul face au progrès ou à la société, et donc potentielle menace pour cette société: le promeneur nocturne est conduit à l'asile, car il a la lubie de vouloir se promener seul, au lieu de rester à se vider le cerveau devant la télé, le criminel est enfermé à l'asile - où il se trouve très bien- pour être parti en croisade contre le progrès imposé qui envahit la vie, et avoir détruit radios, téléphones et autres joujous hypermodernes. C'est une tentation que l'on a tous eu ces derniers temps: arracher violemment le téléphone portable d'un frimeur et le ratatiner sous ses yeux par exemple. Mais chez Bradbury, heureusement, ça tourne parfois à l'avantage de l'électron libre: dans ombre et soleil, un facétieux villageois arrive à faire plier le photographe de mode qui veut prendre sa trop pittoresque maison comme décor de fond. Une opposition réalité/décor de fiction que l'on retrouve dans la prairie: le gardien de nuit d'un studio de cinéma à l'abandon qui va être rasé arrive à empêcher la destruction de son lieu de travail, son domaine rêvé. L'imagination l'emporte sur la bête logique administrative, et qu'est-ce que ça peut faire du bien!
Il est difficile de parler d'un recueil de nouvelles dans sa globalité, ou de détailler chaque récit sans en éventer trop le sujet, tant la nouvelle en soit est un art délicat de la concision, surtout lorsqu'il s'agit d'un ensemble assez hétéroclite. Mais voila, le fait est que hormis la partie entre noirs et blancs un peu ardue à suivre lorsqu'on ne connait rien comme moi, au base-ball, j'ai adoré le reste. Que ce soit dans la SF, dans le fantastique ou dans la chronique du quotidien, Ray Bradbury est un grand, quelqu'un qui maîtrise tout à fait justement cette concision. Un qui sait happer le lecteur en trois phrases, qui sait dire en 5 pages ce que d'autres prendraient 5 volumes à expliquer. Et ça, j'aime! Et ne serait-ce que pour le très jouissif Criminel, qui est sans conteste ma nouvelle favorite du recueil, un tout petit cran au dessus des autres ( aussi jouissif que Usher II des Chroniques, c'est dire!), moi je dis merci pour ce moment d'humour cynique et chapeau bas M. Bradbury!