Et parlons de Tchaïkovski. Un compositeur avec qui j'ai une relation, disons...aléatoire.
J'ai beaucoup ses symphonies.J'aime beaucoup ses adaptations en opéra de Eugène Oneguine et la Dame de Pique. Ou l'ouverture 1812, avec "le canon" comme instrument de musique - oui, c'est en référence à la campagne de Russie de Napoléon.
Piotr jeune. Ce n'était pas vraiment le type jovial à la base, mais j'ai cherché pour trouver une image, où il ne fiche pas trop les jetons. |
Je compatis avec sa situation personnelle ( pas évidente au XXI° siècle, encore moins au XIX°, et encore problématique en Russie actuellement) qui l'a conduit au bord du suicide. Et qui n'est peut-être pas étrangère aux curieux accents angoissants qu'il peut glisser au sein d'une musique plutôt joyeuse. Y'a de la déprime dans l'air.
Mais j'ai souvent plus de mal avec ses musiques de ballet, que je trouve d'une part un peu moins inspirées (même si c'est le haut de gamme de la musique de ballet, hein...on affaire a un vrai compositeur et particulièrement doué dans l'harmonie), d'autre part, même sans avoir vu le spectacle, je connais déjà les morceaux, multidiffusés, toujours les mêmes, alors que ce ne sont pas forcément ce qui m'inspire le plus (la valse des fleurs, la danse de la fée des dragées, par la faute de Fantasia). Je pense que c'est surtout ça le problème: le ressassement des mêmes extraits, surtout quand on ne trouvent pas qu'ils soient les meilleurs (c'est pareil avec "la danse des petits cygnes", hein...)
Passons au spécatcle proprement dit: jusqu'à il y a peu, je ne connaissais que deux versions: la chorégraphie super classique d'Ivanov (collaborateur de Petitpa, donc l'influence se sent, et Petitpa, désolée, mais ça n'est pas mon truc) et celle bizarrement tordue de Noureev, qui était peut être un excellent danseur, mais un chorégraphe disons... contestable. Et, à dire vrai, je ne savais pas qu'un spectacle qui porte le même titre pouvait avoir autant de variantes.
Particularité: la musique ne change pas mais chaque théâtre a sa version, avec sa chorégraphie et qui peuvent varier grandement, c'est presque la loterie. Le spectacle sur scène à Paris, à New York, à Londres, à Saint Petersbourg ou à Moscou et encore ailleurs ne sera pas le même.
Allons y pour une comparaison de trois versions que je vais diviser en " bleu, blanc, rouge" (en rapport avec la couleur de la tenue du personnage central)
Bleu:
Donc, il y a quelques jours, j'ai pu voir l'oeuvre entière dans la version du Théâtre Marinsky. Chorégraphie de Vassili Vainonen. Allons y pour les plus:
décors magnifiques et costumes très sympa, j'ai bien aimé toute la première partie, qui se passe dans le monde "réel", la suite m'a parue un peu longue en fait. Certains tableaux sont un peu longs, et , pas de chance, c'est justement en seconde partie qu'arrive le soliste dans le rôle principal. Mais en en discutant avec des gens qui s'y connaissent mieux que moi, ils ont eu aussi cette impression "un peu long", surtout les passages avec le corps de ballet (les flocons, les fleurs...). Mieux que ce que je pensais, mais il manquait quelque chose pour m'accrocher vraiment.
Je ne sais pas pourquoi, sans mettre en doute le talent du soliste, il m'a paru un peu... terne. Pas seulement sa tenue bleu ciel, surtout en matière d'interprétation, de jeu d'acteur. Désolée monsieur. La aussi, c'est une question de captation, peut être qu'avec quelqu'un d'autre dans le rôle titre j'aurais un peu plus accroché.
ICI, le spectacle en entier
Blanc: (enfin, beige, mais je voulais faire la blague). Opéra de Paris. Déjà il semble que le décor soit inexistant, au moins sur cette partie. En fait, d'aussi loin que je me souvienne, c'est cette version dont on m'a fait voir des extraits à l'école primaire et qui a fixé mon idée " la danse classique, c'est sportif, mais vaguement ennuyeux, pas mon truc" . Mais maintenant je comprends mieux pourquoi.
La chorégraphie de Rudolph Noureev ne me parle pas, mais alors pas du tout. Vraiment trop " cirque" pour moi.
Allons -y pour le déboulonnage de mythe ( oui blabla, je sais, je critique, c'est une honte, on touche pas à Noureev.. ok, son fantôme viendra me hanter pour ça... Je lui dirai "bonne année" en tatar et on s'arrangera)
Le gars a accumulé dans sa chorégraphie tous les trucs les plus compliqués à faire, hé bien... apparemment, juste pour le plaisir de faire compliqué, au détriment de l'esthétique ET de la narration. Il y a des moments où on jurerait que la pauvre danseuse est ivre tant ses mouvements de jambes sont laids - et ce n'est pas sa faute, c'est la chorégraphie qui est comme ça. Moi qui ai pratiqué la danse moderne étant plus jeune, ma mère qui a pratiqué la danse classique sommes tombées d'accord, il y a quelque chose qui coince.
Donc je lui laissse la parole: Pour elle, les deux qui sont supposés danser en duo semblent en fait s'affronter. Au point qu'elle s'est demandé si les deux interprêtes se détestaient en réalité ( chose peu invisageable: le chorégraphe est sur scène, il a donc choisi personnellement qui participerait avec lui) Et ça manque de liant entre les passages. Je ne peux pas la contredire. Ils sont supposés raconter une histoire, et je ne vois pas l'histoire.
aux alentours de 2'30:
Que c'est bizarre! Pour rappel, elle est supposée être humaine, c'est
lui qui est en bois normalement. Donc que le danseur soit tout
raide se justifierait, mais là, juste, non. Et toute la fin confirme
cette impression.
Alors je ne dis pas qu'ils sont mauvais, au contraire, mais... c'est surtout de la prouesse technique, au lieu d'être au service du scénario.
En résumé: ça me fait plutôt penser à un numéro de cirque (voir conclusion à 5'30). Et à 5'00: je ne sais pas
comment s'appelle la figure, mais j'ai envie d'appeler ça " le battage
d'oeufs en neige". Le plus drôle c'est que le chorégaphe a lui-même
l'air de galérer par moments sur sa propre chorégraphie.
Et tout les
passages solo me font beaucoup rire, ce qui n'est certainement pas le
but (à cause de la série de ciseaux, qui m'évoque vraiment une
compétition de gymnastique, où le but est de montrer qu'on sait faire des
trucs compliqués mieux que tout le monde. Et la fille qui secoue ses
jambes comme si elle avait un chewing-gum collé aux pieds.. j'en viens à
me demander si ce n'était pas une parodie en fait, je n'ai pas trouvé
d'information à ce sujet. Ca rendrait les choses bien plus intéressantes)
Je vois qu'il y a dans les discussions pas mal de gens qui sont aussi circonspects que moi, d'autres qui font de longs pavés pour expliquer tout en détail. Certes, aller au théâtre ne doit pas se faire en laissant le cerveau à la maison, mais il s'agit d'un spectacle de danse, sans texte! S'il faut en amont savoir trouzmille choses sur les opinions politiques du chorégraphe et son attitude vis à vis de son pays pour comprendre qu'il glisse des allusions ironiques à ceci ou celà dans la tenue de la danseuse, ou une interprétation psychanalytique codée du personnage en référence à ... nooon, c'est un spectacle au théâtre, sans paroles, pas une analyse sociopolitique, pitié. 99% des spectateurs vont dire "pourquoi le héros saute soudain comme un cabri, pourquoi la danseuse semble égoutter ses pieds?"
Donc, version opéra de Paris, je passe mon tour.
aparté musical, puisque j'ai un timing précis pour en parler: à 3'20, j'aime beaucoup ce passage musical qui illustre ce que je disais sur les accords angoissants qui arrivent d'on ne sait où.
Tout est calme, tout est aérien, les arpèges de harpe, les arpèges aux cordes, c'est lyrique, il y a une splendide broderie de clarinette basse, dont j'aime le timbre profond presque autant que celui du basson. Une petite brise légère de clarinettes, donc qui est presque immédiatement suivie d'une grosse bourrasque de cuivres en descente chromatique jusqu'au plus pas de leurs possibilités. CE passage de quelques secondes, je l'adore, et je le considère parmi les plus belles réussites de l'auteur. Et quand j'entends quelque chose comme ça je me dis " wow, mais qu'est-ce qu'il a voulu nous dire, ce n'est pas un hasard, c'est une scène de triomphe, les héros sont acclamés par la Fée qui règne sur le pays imaginaire sur pour leur victoire sur le roi des souris, et soudain, sans prévenir, le tonnerre". Voir là le paragraphe " style musical"
Je ne suis pas musicologue diplômée mais j'y entends une sorte d'avertissement: le triomphe n'a qu'un temps, il ne faut pas se réjouir trop vite, les problèmes vont vite réapparaitre. Elle est dans un monde de rêve, idéal, mais... la réalité frappe à la porte et plus dure sera la désillusion.
Ou plus prosaïquement: l'idéal n'existe pas, la gloire est une illusion , le réveil est proche et tout va disparaître: fée, magie, gentil héros qui redeviendra simple pantin.
Tchaïkovski a dû se baser sur la version du texte de Dumas, mais préférait celle d'Hoffmann, et je me demande si ce n'est pas justement une référence sonore à ce qui attend l'héroïne: le retour à la réalité, la destruction des illusions, la moquerie de sa famille - qui piétine carrément sa sensibilité et son imagination - au point de lui faire souhaiter échapper à ce quotidien étriqué et sans espoir et retourner dans le monde des rêves. Ou à Piotr lui même, enfant imaginatif dans une famille de militaires et juristes, surnommé quand il était petit " garçon de verre" à cause sa tendance hypersensible. En tout cas, je suis sûre que ces quelques mesures ne sont pas là que pour " faire un contraste", mais qu'il y a un message. Mais, cette descente chromatique, quelle merveille! :)
Par contre peu importe qui danse, comment quel orchestre joue, le célesta ( fin de l'extrait) est une torture pour mes oreilles, je ne supporte pas les sons aigus,donc celesta, piccolo,glassharmonika, tout ça,c'est pas pour moi.J'entends un concert de sonnettes de porte, et ce n'est pas unie image,c'est vraiment comme ça qu'est fait un célesta.
En alignant autant de sonnettes qu'il y a de touches sur un piano...
Instrument de l'enfer!
Rouge: On part à Moscou, au Bolchoï theâtre.
Chrorégraphie de Grigorovitch. Il est très peu connu en France, où c'est Noureev qui reste la référence.
Et pourtant là oui enfin, je tiens quelque chose: scène de sorcellerie ouiiiii! Drosselmeier inquiétant à souhait ouiiiiii!Des rats partout, ouiiiiii
Mais surtout, enfin, pas une démonstration d'acrobatie avec des mouvements mécaniques et où le danseur sert à quelque chose... pas uniquement à faire joli dans un coin en attendant que la fille ait terminé son solo ou à la tenir pour qu'elle ne tombe pas.
Je ne voudrais pas avoir l'air d'abuser, mais c'est en fait le reproche que je pourrais faire en général à la danse classique:dans beaucoup de cas, les hommes sont sous employés, souvent en tant que faire valoir de la danseuse.
Vous pouvez me rappeler le titre du spectacle et qui est supposé être le personnage central? Ca ne s'appelle pas "Le Noël de Maria - ou Clara" ( son nom varie selon les productions)
Or évidemment, on ne se refait pas, si talentueuse soit la dame, je n'ai pas un intérêt fabuleux à regarder des femmes en jupette...non mais c'est pareil pour le patinage ou la gymnastique, je préfèrerai toujours admirer un monsieur. Et j'ai l'homme de la situation!
Je vous avais donc promis un charmant, enchanteur, envoûtant... monsieur, le voilà ( bon, c'est subjectif, et vous avez le droit de rester de marbre, ou de bois, ce sera plus adapté)
Mais de mon point de vue, c'est un vrai tour de magie. En effet, il a réussi là où tout le monde a échoué: m'intéresser à une discipline pour laquelle je n'avais pas d'affinités à la base.
Oui, vous avez deviné, après plusieurs mois à vous casser les noisettes avec cet artiste, il était impensable que je ne le mettre pas à l'honneur le 31 décembre, qui plus est le jour de son anniversaire. Il a donc fêté quasiment tous ses anniversaires sur scène dans ce spectacle, pendant toute sa carrière: revoilà donc le grand Kolia, qui donc a su changer ma vision sur son art.
Un professeur qui amène son élève au plus haut niveau, et une élève qui fait ses débuts en duo avec son prof. Je trouve ça tout à fait génial, malgré les petites hésitations de la débutante...On dirait presque un père et sa fille, c'est trop chou (c'était l'anecdote "conte de noël")
La seule chose que je peux reprocher à cette production c'est la perruque pailletée, mais bon, c'est l'incontournable de la version " rouge" celle du théâtre Bolchoï
Ceci dit il y a là un truc intéressant: donner à l'interprête un côté visiblement artificiel, et rappeler que, si c'est un humain qui tient le rôle, le personnage ne l'est pas vraiment. et qu'il lui faut donc paraitre non humain. MAIS pas robotique non plus.
Si j'ai bien compris ce que j'ai lu par ailleurs, le chorégraphe lui-même insiste pour que ses interprètes dans le rôle principal aient les mouvements les plus fluides, les plus "idéaux" possibles afin de les rendre plus étranges, et faire ressortir le côté "vision imaginaire". Donc l'approche inverse de se dire " un jouet en bois doit être raide comme un pantin". La "vallée de l'étrange".
Donc il y a possibilité de regarder la version entière, ce que je n'ai pas encore fait, parce que pas tout à la fois.
Mais à priori, entre ces 3 là, et d'un point de vue chorégraphique, en comparant sur mêmes les passages: pas de deux, solos et duo final, c'est l'équipe rouge qui gagne.
Pour ce qui est du décor, j'aime bien la version Bolchoï, plus moderne, et la version Marinski. Celle de Paris n'a pas de décor, c'est vite vu.
Mais par souci d'exhaustivité, et pour ceux qui voudront comparer, d'autres versions:
Opéra National d'Ukraine, visible en ligne à partir du 26 décembre 2020 et pendant 3 mois.
English National Ballet, une version raccourcie (1h00 au lieu d'1h30), visible jusqu'au 24 janvier prochain en ligne, ça peut être pas mal pour les jeunes qui n'ont pas encore la patience de tenir un spectacle entier.
Donc nous sommes le 31, j'en resterai là, sans aborder les adaptations en film, série, animation...sinon j'y passerai la semaine.
Et je vous souhaite donc à tous une excellente fin d'année!