En fin d'année dernière, j'avais décidé de me pencher sur l'histoire " mignonne" des fêtes de fin d'année, je pensais en avoir fait le tour avec 3 sujets, et.. non, en fait, j'ai trouvé cet été une explication très interressante, et pertinente sur certains points qui restaient encore mystérieux.
Vendredi au spectacle: on écoute de la musique et on fait un peu d'analyse texte/ musique/ adaptation
Donc oui je vais donc encore vous casser un peu les noisettes (bien sûr) avec la musique de Tchaïkovski et les histoires de Hoffmann et Dumas.
Donc pour rappel:
contes de fées ou histoires d'horreur 1 ( général)
Conte de fées ou histoire d'horreur 2: les textes
Conte de fées ou histoire d'horreur 3: les adaptations
Donc je rappelle à tous mon admiration sans borne pour Hoffmann et ses histoires fantastiques, et ma relation difficle avec certaines musiques de Tchaïkovski.
Mais j'avais aussi dit que dans toute l'oeuvre, parfois un peu longue, je trouvais des accents bizarrement angoissés. C'est une histoire de Noël, plutôt joyeuse et fantastique, certes, mais qui dans sa forme théâtrale évacue - et c'est dommage - la conclusion de Hoffmann et Dumas, qui l'ont gardée chacun dans leur version respective.
Et donc même si la version spectacle se base sur celle moins angoissante de Dumas, la conclusion un peu beaucoup déprimante en faisait bel et bien partie, c'est donc un choix de mise en scène que de ne pas montrer le difficile, voire impossible retour à la réalité de la petite fille, moquée pour son imagination, qui ne peut se réadapter au monde réel après sa visite du monde magique et sombre dans la dépression de ne pouvoir retourner dans l'autre monde. Joyeux noël!
Et je choisis " l'autre monde" complètement à dessein.
Dans toute l'oeuvre musicale surgissent parfois des accords qui n'ont absolument rien à faire dans quelque chose de joyeux.
Et plus précisément là:
Je vous laisse réécouter, vous faire une petite idée, et ensuite j'explique.
C'est fait? On y va.
De tout ce qu'a composé Tchaïkovski je trouve ce morceau particulièrement admirable et bien écrit, avec ce soudain déchaînement de vents (hautbois , puis clarinette basse, puis grande descente chromatique de cuivre jusque au plus profond des graves de l'orchestre...) comme si la tempête se levait soudain. Et cette descente chromatique, purée, du grand art, j'en suis restée sidérée la première fois que je l'ai entendue.
Sidération double quand j'ai vu ce qui se passe alors sur la scène: séquence de triomphe, le gentil héros est libéré de sa malédiction , la petite fille est officiellement reçue dans le royaume magique, remerciée par la fée, triomphe, gloire, etc... hein?
Or quand il y a un tel décalage entre la musique et la narration, je me pose automatiquement la question " Pourquoi? Que veut nous dire le compositeur? Quel est le message?"
Donc je l'avais compris comme une référence à cette partie manquante, une annonce de ce qui l'attend, le dur retour à la réalité, la gloire et le triomphe n'ont qu'un temps, il va falloir revenir au monde réel, renoncer à tes rêves...
Je suis tombée un peu à côté pour le sens réel, il y a bien une notion de fin de quelque chose et de mondes inconciliables qui ne peuvent ni ne doivent se rencontrer... mais elle est bien plus tragique que ça.
Ici un petit documentaire en anglais ( accessible!) qui l'explique: la face sombre de Casse-Noisette
Résumons:
Piotr était en France, peu inspiré de devoir composer une oeuvre de commande, alors qu'il s'ennuyait lui même... comme un rat mort, en pleine crise de page blanche. Il avait bien déjà composé quelques parties, mais ne trouvait pas trop comment continuer.
La petite fille de l'histoire a de grosses difficultés à se réadapter au monde réel après son passage dans le monde fantastique puisque c'est effectivement un endroit dont on ne revient généralement pas...
D'ailleurs dans le conte, il faut traverser une rivière de limonade en barque pour se rendre chez la fée. La fillette se penche et voit son reflet dans la limonade mais ne se reconnait pas, elle pense voir la reine du pays magique.
Je n'avais pas développé ce passage du texte, parce que je n'avais pas vu tout de suite au fil de ma lecture ce qu'il pouvait impliquer comme référence. C'est un tout petit passage et il est un peu noyé dans la suite. J'aurais dû tilter, dans la mesure où il est presque immédiatement suivi d'une scène de lynchage et de décapitation.
Le gentil héros ensorcelé
serait donc en quelque sorte Charon, le seul qui peut se déplacer à la
frontière entre les deux mondes, et qui conduit on ne peut plus
clairement un fantôme chez les morts (sur scène , elle est vêtue entièrement de blanc, parce qu'elle est en chemise de nuit, mais...ce pourrait aussi bien être un linceul) Hoffmann est un auteur
fantastique, fortement inspiré par la mythologie et qui truffe ses
histoires de détails inquiétants, de diables et de revenants, donc rien
d'étonnant à ce qu'il nous emmène l'air de rien chez Hadès.
En tout cas, les circonstances de la composition musicale en changent la compréhension. Qu'il ait eu conscience du sous-texte macabre de l'oeuvre d'Hoffmann ou qu'il ait, dans son chagrin, eu simplement l'envie de rendre hommage à sa soeur, la musique est donc très proche de l'idée d'Hoffmann, et beaucoup moins de la féérie noellesque.
Le
petit documentaire fait un parallèle, entre la fin de l'acte un, où le
jouet prend vie et arrive dans le monde humain, et celle de l'acte deux, où c'est Marie qui est
accueillie dans l'autre monde: ils sont construits sur les mêmes motifs
musicaux inversés. Ce n'est certainement pas un hasard. Et donc, c'est
encore plus brillament écrit, que je ne pensais.
Et voilà, vous pouvez réécouter le passage avec cette explication en tête.
Evidemment, ce ne sont que des suppositions, mais si je vous dis que la composition suivante, et l'ultime composition d'ailleurs de Piotr Illitch avant sa propre mort,est la Symphonie Pathétique dédiée à son neveu,le fils de feue sa soeur, les probabilités se ressèrent.
En tout cas, il va falloir que je réécoute l'oeuvre musicale entière à la lumière de cette nouvelle information, ça peut TOUT changer. En tout cas, j'ai la réponse à ma question: le décalage que j'entends, ce sont les funérailles, la
famille en larmes, le cercueil qu'on descend dans la fosse
(pendant que les couivres d'escendent au fond de leur registe dans la fosse d'orchestre!) et la tentative finale d'espoir: un requiem musical se
termine
toujours par des pièces (Sanctus, agnus dei, lux aeterna, pour la
version catholique. Je vais chercher pour la tradition orthodoxe) plus
apaisées, évoquant le paradis.
Voilà, désolée de vous avoir gâché votre humeur de Noël :D
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