L'été dernier (oui, j'ai pris de l'avance), j'ai profité d'avoir un accès gratuits à Netflix dans la location où j'étais pour mater quelques documentaires et films musicaux.
Il y a eu Rocketman, très bonne ( de mon point de vue) comédie musicale, sur, autour et avec les chansons d'Elton John, j'en parlais ici l'an dernier.
Mais aussi 3 documentaires sur le thème du blues, de la soul et du jazz, issus d'une collection intitulée " Remastered". Donc allons y, non dans l'ordre où je les ai regardés, mais dans l'ordre chronologique
- Devil at the crossroads, le plus court ( 40 minutes), évoque sans grande surprise, Robert Johnson, le prétendu pacte avec le diable, dont on prouve qu'il est un trope de la culture Hoodoo, variante USA du vaudou haïtien, et qu'on retrouve sous différentes formes dans plusieurs chansons de blues. donc Si Robert Johnson et l'enquête menée pour trouve des traces de ce mystérieux et néanmoins mythique bluesman à l'influence colossale, le documentaire évoque d'autres choses intéressantes. L'idée que le blues est "la musique du diable" ne vient pas uniquement des chansons aux thématiques "diaboliques" de Robert , ni de son habitude de s'entraîner à améliorer son jeu de guitare avec Ike Zimmerman dans un cimetière ( pour une évidente raison " ici, que tu joues bien où mal, personne ne viendra se plaindre"), mais de la rivalité entre blues et gospel, prêchée par les églises locales. Pour une question de gros sous. Les musiciens de gospel à l'église gagnaient peu, les bluesman qui animaient la taverne locale étaient payés, et bien mieux qu'en trimant aux champs. La population allait le samedi soir dépenser son maigre salaire au troquet pour boire, manger, faire la fête en écoutant de la musique et, souvent, n'aveient plus un sou à donner à la quête le dimanche matin. Les prêcheurs ont donc décrété que le blues qui leur " volait" leur pécule était une musique diabolique et qu'aller l'écouter ou pire, en jouer, c'était encourir la damnation éternelle.
Cette rivalité musicale entre deux courants pourtant jumeaux en matière d'origine, mais l'un parlant de vie éternelle dans la félicité, et l'autre des tracas du quotidien, a donc été montée de toute pièces pour une histoire de sous. Qui a perduré pendant des décennies, au point que des musiciens jouant des deux styles le faisaient en douce de l'église pour ne pas s'attirer les foudres des croyants.
Et leurs descendants, la soul pour le gospel, le rock pour le blues ont fini par se réconcilier lorsque des gens comme Ray Charles ont décidé de faire fi des barrières. Mais c'est bien Johnson qui est cité comme père spirituel du Rock par Taj Mahal ou Keith Richards.
Les seuls diables de l'histoire sont la misère, l'alcool, et l'exploitation dont ont été victimes les travailleurs pauvres et noirs des USA. Lorsqu'un bluesman se plaint dans une chanson de sa femme injuste qui le maltraite, le vire de la maison, garde l'argent pour elle, le tabasse, il faut comprendre qu'à l'époque de l'esclavage c'est le maître qui est désigné indirectement. Et à l'époque de la ségrégation, c'est la société dans son ensemble. Ce documentaire est un bon début pour appréhender rapidement l'importance musicale et culturelle du blues et de Robert Johnson
Et j'ai bien aimé la solution choisie, sous forme de séquences animées en ombres chinoises, pour pallier le manque de sources visuelles sur Robert Johnson ( 2 photos connues à l'époque du documentaire, une troisième a été trouvée depuis, prise le même jour ( voir les plis sur le rideau) que celle à la cigarette. Elle nous présente cette fois un Robert souriant, fier de montrer sa guitare à l'objectif.
- The Two killings of Sam Cooke: Après Robert, mort empoisonné à 27 ans, c'est Sam, mort à 33 ans dans des circonstances très mystérieuses et probablement liées à son engagement politique, qui est à l'honneur. Officiellement tué en cas de légitime défense par une propriétaire d'hôtel, après qu'une prostituée se soit plainte d'avoir été enlevée par lui. Les deux femmes avaient des accointances avec la mafia, beaucoup d'argent a disparu ce jour là, mais l'affaire a été étouffée parce que Sam était un musicien, noir et commençait à faire un peu trop parler de lui.
Chanteur de Gospel qui s'était réorienté vers la soul, il commençait à développer des thèmes un peu trop politiques, et son amitié avec Martin Luther King posait problème au gouvernement. D'autant que Sam était riche, ultra populaire et influent, ça aurait pus donner à d'autres noirs l'envie de la suivre Raison1 de s'en débarrasser.
Il avait décidé de fonder sa propre société de production, dans une industrie de la musique noyautée par la mafia, et avait reçus des menaces très directes, dont plusieurs personnes ont été témoins, de la part de mafieux. Raison n°2.
Il s'était rendu compte que son associé dans la maison de production était en train de le doubler par contrat, et qu'il se serait retrouvé salarié de son associé s'il n'avait pas lu le contrat, il s'apprêtait donc à licencier l'individu. Raison n°3.
Laquelle a été la principale? difficile à dire, car l'enquête a été bâclée, trop de gens bénéficiaient de sa disparition. Il en reste une triste histoire qui ne sera jamais élucidée, un poignée de disques enregistrés par un chanteur à la voix magnifique qui était entrain d'obliquer vers une seconde partie de carrière encore plus passionnante, et la splendide chanson " A change is gonna come" devenue un hymne des mouvement civiques. Malheureusement, Sam, mort fin 1964, n'aura vu ni le succès de sa chanson, ni la fin de la ségrégation. Mais c'est aussi un moyen de rappeler que la lutte pour l'égalité ne se fait pas seulement via de longs meetings politiques, une lutte armée, aussi et tout autant par le "soft power" qu'est l'art, et en particulier, la musique, sont une fabuleuse manière de vaincre les résistances.
What happened, Miss Simone?: après le blues et la soul, place au jazz (encore que, on l'a dit, plus le temps avance, plus les genres sont poreux). Avec le paradoxe que Nina Simone est devenue une vedette précisément dans un domaine qui n'était pas celui qui l'intéressait.
Son truc c'était le piano, elle n'est devenue chanteuse que parce qu'on le lui a demandé, avec une belle augmentation à la clef, dans le restaurant où elle jouait. Sa voix de mezzo a fait le reste. elle est devenue pianiste de jazz, alors qu'elle se passionnait pour la musique classique et Bach en particulier, mais a échoué à un concours de musique classique simplement à cause de sa couleur de peau. Elle a donc joué ce qu'on attendait d'elle, du jazz et de la soul, mais en les infusant discrètement de sonorités et de techniques classiques.
Et comme Sam Cooke, elle a développé au fil du temps un militantisme social, influencé par les black Panthers et Malcolm X dans son cas. Mais si Sam penchait vers un côté pacifiste, Nina, plus rebelle et agressive, allait vers la lutte ouverte et la détestation des blancs en général.
Lorsqu'elle elle monte en scène pour un concert, c'est de la manière dont un boxeur entre sur un ring. Sa musique c'est son combat. Ce n'est que bien plus tard, après des années d'errance physique ( au Liberia, en suisse, en France, en Hollande) et médicale, qu'une psychose maniaco-dépressive qui lui pourrissait la vie ainsi qu'à ses proches, a finalement été diagnostiquée et soignée lui permettant de vieillir un peu plus en paix avec elle-même. Nina n'est pas une femme aimable, mais c'est une femme passionnante, au talent indéniable. en plus d'une illustration du plafond de verre auquel même une musicienne hyper talentueuse a pu se heurter, du fait d'être à la fois une femme, et noire aux USA dans les années 1950.
Donc trois documentaires, de durées diverses, sur 3 musiciens marquants, dans 3 genres différents. Je réfléchissais au paradoxe, et à l'ironie, que la musique crée par une communauté opprimée et muselée, déplacée d'un continent à l'autre, ait pu être à l'origine de TOUTE la musique actuelle mondiale: rock, hard rock, disco, funk, rap, électro... les genres majeurs actuels dérivent tous à divers degrés du blues et du gospel, et de leurs évolutions. Et trouver un écho jusqu'en Europe et en Asie ( le jazz au Japon, c'est vraiment un truc énorme), en se métissant (ironie, bis) aux cultures locales. Il est parfois difficile d'entendre à priori l'influence afro-américaine dans du rap russe, de l'électro d'Asie Centrale ou du metal d'Inde, et pourtant, c'est bien le cas, de manière de plus en plus imperceptible au fil des décennies, comme le métissage des populations devient de plus en plus complexe à retracer dans le temps d'ailleurs. et c'est quelque chose qui me fait plaisir. Plus les choses se mélangent, moins elles sont définissables et plus ça me convient. Nina a mélangé sa musique de prédilection avec celle de la communauté d'origine pour obtenir quelque chose de nouveau, et ça me parle.
Et là je me dis, vous imaginez ce trio? Robert à la guitare, Nina au piano, Sam au chant?
Le premier documentaire dont tu parles me disait quelque chose et effectivement je l'avais vu et bien aimé (je n'avais pas fait de billet mais juste ajouté la bande annonce à mon billet sur la BD "Le rêve de Meteor Slim" https://ennalit.wordpress.com/2021/02/14/le-reve-de-meteor-slim-frantz-duchazeau-le-blues-de-robert-johnson/
RépondreSupprimerJe voulais voir celui sur Sam Cooke mais j'ai manqué de temps alors ça sera pour l'année prochaine ;-)
et j'ai vu et beaucoup aimé celui sur Nina Simone! Une belle pioche! >Merci pour ces participations!