Une lecture rapide, très rapide, car il s'agit d'une biographie en BD destinée avant tout à un public de jeunes lecteurs, adaptée d'un essai de Tania de Montaigne. Et comment parler à un jeune public français d'une époque , de lois, et d'un pays dont ils ignorent probablement tout?
C'est ce que cette petite bande dessinée ( format A5) tente de faire, de manière simple, avec un graphisme pertinemment en noir, blanc.. et nombreuses nuances de marron, tout comme le teint des gens que l'on appelle par abus de langage " noirs".
Et donc, il faut essayer de s'imaginer: qu'est-ce que ça fait d'être mis de côté à cause de son apparence, quand on est une lycéenne de Montgomery en Alabama, dans les années 50. De s'entendre dire qu'on ne pourra probablement pas faire des études de droit parce qu'on est née du mauvais côté de la loi et de l'american Way of life.
Qu'on n'a pas le droit d'aller au cinéma, de rentrer dans les mêmes magasins, de boire à la même fontaine, d'avoir accès aux même soins de santé que ceux , que par le même abus de langage on appelle les "blancs"
Et que lorsqu'on est assise tranquillement dans un bus, ces gens qu'on ne connait pas ont tout a fait le droit de vois faire lever et vous prendre votre place, simplement parce que la loi les y autorise. Et que le refus d'obtempérer, peut vous conduire en prison. Même une lycéenne.
Qui se voit accusé de fraude, de refus d'obtempérer, et d'agressivité envers les policiers pour avoir refusé. Adieu les études de droit quand on a un casier judiciaire mentionnant une agression envers les policiers.
Difficile de l'expliquer et même pour moi aussi c'est absurde. Et c'est pourtant ce qui s'est passé, une lycéenne a réellement été jugée et condamnée pour voie de fait sur les représentants de l'autorité simplement pour avoir résisté.
L'histoire est assez vite tombée dans l'oubli, malgré le soutien de plusieurs personnes envers Claudette, dont l'encore anonyme Rosa Parks.
Les femmes ont manifesté, boycotté les bus, et faute d'une action véritablement concertée, le boycott a tourné court. ce n'est que lorsque Rosa Parks a, à son tour décidé de se faire, volontairement arrêter, pour le même fait, que l'histoire a fait boule de neige.
Oui mais..
C'était sans compter sur la récupération du mouvement social des femmes par les hommes, qui ont décidé de mettre en avant celle qui leur convenait le mieux - mais sans la laisser s'exprimer. Si Claudette a été la première à s'élever contre une situation injuste, c'est Rosa que l'on a retenu, lui forgeant une image de pauvre couturière inoffensive, alors qu'elle était une militante engagée. Oui mais, Claudette, encore mineure, avait une relation avec un homme marié, blanc qui plus est, et était enceinte. Ce n'est pas l'image que les hommes d'église et politique voulaient donner de leur mouvement: on lisse l'image de la militante, et on cache la " fille dépravée" ( en oubliant commodément que beaucoup de mineures vivant dans la pauvreté devenaient les maîtresses d'hommes mariés, simplement pour pouvoir manger à leur faim)
Mais c'est bel et bien Claudette, effacée du mouvement, qui a été la première a initier la révolte contre des lois dont, ironie du sort, les édiles locaux prétendaient qu'elles étaient là pour éviter les désordres et la violence. En créant une inégalité inacceptable et en contradiction avec les lois fédérales (l'organisation des états-unis est un sacré sac de noeuds entre ce qui dépend de l'organisation fédérale et ce qui dépend de l'état au niveau local, et ce n'est pas rare que ce qui est interdit dans un état soit autorisé dans celui d'à côté, ce qui crée aussi des inégalités entre les citoyens de deux villes distantes de quelques kilomètres, mais situées dans deux états différents). Et s'il y a bien un terreau parfait pour la révolte, c'est l'inégalité.
Malheureusement la situation actuelle ne fait que rappeler que si la ségrégation a été abrogée sur le papier, elle existe encore dans les têtes, et certains mouvements politiques aimeraient bien revenir en 1950.
Et de ce point de vue là, je pense que ce petit ouvrage est un bon début pour expliquer à quel point les " acquis sociaux" sont d'abords des "conquis" sociaux , et toujours fragiles. Et à quel point les luttes doivent être perçues dans leur ensemble: on ne peut pas s'opposer au racisme sans lutter également contre le sexisme, et la pauvreté, et sans garantir aux mineurs le droit à l'égalité des chances. autant dire que dans le cas de Claudette, femme, noire, mineure et pauvre, il y avait de quoi lutter sur tous les fronts. Elle est toujours vivante, et a 85 ans cette année.
J'ai aimé cette BD et d'ailleurs je parle de Rosa Parks à mes élèves tous les ans et depuis que j'ai lu cette BD, je fais une petite parenthèse sur Claudette Colvin aussi! Merci de ta participation!
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