Attention: OVNI cinématographique qui ne plaira pas à tout le monde, autant le dire de suite. On est clairement dans le cinéma underground, voire expérimental. Pour ceux qui connaissant, c'est très proche du théâtre grand-guignol. Voilà, c'est dit.
Mais le synopsis m'a intéressée: une relecture de Conan le barbare, mais en transposant dans une univers presque 100% féminin. Les quelques hommes du casting jouent des rôles aux noms féminins, les rôles aux noms masculins sont tenus par des femmes ( Le chien Rainer - allégorie du passeur entre le monde des morts et des vivants est un rôle tenu par une actrice, sa " soeur" au nom féminin est tenue par un homme)
j'aime beaucoup cette affiche qui est une fausse piste et ne présente qu'un visage parmi les 6 Conann successives |
Conann ( avec ses 2 n) est une barbare, enlevée par une horde de femmes barbares, contrainte dès le début du film à commettre l'acte le plus barbare possible (qui va avoir un pendant à la toute fin), et qui poussée par un désir de vengeance, va sombrer à son tour dans la violence, pour la violence.
Le rôle est tenu par 6 actrices qui se succèdent chacune représentant Conann à un nouvel âge (15 ans, 25 ans, 35 ans..).. chacune étant rapidement trucidée par son "âge" suivant, sous le regard ( et l'appareil photo) d'un chien humanoïde nommé Rainer.
Je ne connaissais pas le réalisateur, je suis allée le voir par hasard, et je dois avouer que, vu que la narration est très complexe, j’ai décidé de le prendre comme un truc totalement expérimental, foncièrement irréaliste et très théâtral (l’ultra violence exprimée avec... des paillettes partout... ok, pourquoi pas, dénoncer l’esthétisation de la violence et le monde des paillettes en en faisant des caisses avec l’esthétique et les paillettes. Je me suis même demandé si ce côté très " de bric, de broc, de paillettes et de couvertures de survie" avait été motivé par un manque d’argent, donc ” on a pas assez de pognon pour les costumes et les effets spéciaux, donc on prend tout ce qu’on trouve qui brille mais est cheap et en montrant bien le côté fauché pour participer à la métaphore sur la gloire et le pouvoir factices.
C'est très curieux de voir un film à la narration très compliquée, mais à la mise en scène parfaitement convaincante, à l'esthétique très particulière, aux actrices toutes excellentes qui représentent toute une nouvelle facette de la violence : la barbarie, la vengeance, la soif de pouvoir via l'armée et la dictature, la soif de pouvoir via l'argent, où une femme riche peut contraindre des artistes à commettre l'acte le plus avilissant possible en leur agitant sous le nez la promesse de l'argent facile. leur fausseté n'en est d'ailleurs que plus éclatante.
Au fur et à mesure que le film progresse, on passe de la violence pour des motifs basiques et personnels ( survivre et se venger de son ennemi) au raffinement de cruauté et de sadisme caché sous le couvert du pouvoir ou du glamour.
Et dans cette progression, Conann qui tente de s'en sortir ( au milieu du film) ne peut qu'être victime d'elle même, encore et encore.
Il y a quelque chose d'intéressant dans l'idée - déprimante - que la survie ne peut passer que par le fait de tuer celle qu'on a été. Physiquement dans le film, mais allégoriquement dans l'idée: tuer ses rêves, ses espoirs, ses projets au point d'en arriver à n'être plus qu'une coquille vide d'humanité.
D'ailleurs la Conann de 45 ans, militaire et dictatrice en arrive à la conclusion qu'étant au sommet, elle a mis tout le monde à sa botte: scientifiques, banquiers, politiciens, sur qui elle a pouvoir de vie et de mort, et qu'elle n' a plus d'ennemi humain à combattre. Le seul ennemi qui lui reste est invincible, et inévitable: la vieillesse.
Ben, malgré la narration fouillis, j’ai bien aimé ce parti pris esthétique, les références à l’expressionnisme, the naked lunch (affiché dans la séquence du Bronx, mais qui prend un autre sens dans l'avant dernière séquence)...
On est même assez nombreux dans la salle à s’être marrés sur la réplique ” Madame est servie” sortie de nulle part, tellement ce ... disons ce jeu de mots "tranche" avec le reste de l’ambiance pas franchement humoristique.
Bon oui, je l’ai trouvé un peu long par moments, et je suis sortie en me disant qu’il aurait plus sa place dans une installation d’art contemporain que dans un festival de cinéma.
Mais je préfère voir un film avec un parti pris radical et s’y tenir au risque de se casser le gueule, que d’en voir un qui va dans le consensus mou, pour ne vexer personne, et sera oublié dès la sortie de la salle (en plus , faire du " qui plaît à tout le monde” ce n’est même pas l’assurance de ne pas se casser la gueule ... mais sans avoir rien tenté)
Evidemment, la fin risque d'en mettre mal à l'aise plus d'un, mais la manière dont c'est fait reste finalement très irréaliste, et donc très allégorique. du coup, pour moi ça passe, ce n'est pas le genre de film qui me retourne l'estomac: beaucoup de passages sont en noir et blanc, l'emploi de la couleur a un sens dans la narration et de toute façon, le sang est trop rouge, les effets spéciaux et les masques trop foncièrement irréalistes pour que ça bascule du chelou dans le gore. Mais en tout cas la violence n'est PAS gratuite, puisque le film est une réflexion sur ses différentes formes et sa représentation.
Donc là question choix esthétique radical et créativité perchée, rien à redire. Mais ou,i je l’ai plus pris comme une installation vue de divers côtés que comme un film qui raconte une histoire linéaire en fait. Je ne vais pas, loin de là, voir uniquement des films inclassables mais de temps en temps, j’aime bien tomber sur quelque chose qui sort vraiment de l’ordinaire.
Les gens devaient s’attendre à ça d’ailleurs, parce qu’il y avait pas mal de monde pour un mardi après-midi et personne n’est parti avant la fin, c’est presque une prouesse pour un film aussi...ben expérimental, c’est le mot. Je précise qu’il s’agit d’un cinéma d’art et essai qui propose souvent des programmes très barrés et expérimentaux. Je ne connaissais donc pas le réalisateur, mais je connais bien le lieu et ses choix de programmation souvent bizarres.
C'est même très étonnant qu'un film aussi perché ait été présenté à la quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes. En tout cas rassurez-vous, les actrices vont toutes bien, et ici, on peut entendre le témoignage de Sandra Parfait ( Conann à 35 ans, celle qui a le plus long temps d'écran, le plus de dialogues, et le rôle le plus " sympathique" dirons nous), sur ce qui l'a amenée à participer à un projet aussi étrange ( et expliquer qu'étonnamment, si le film est le plus souvent très sérieux, elle se sont souvent marrées sur le tournage) . En tout cas c'est une découverte et je suivrai volontiers sa carrière. jolie découverte aussi Elina Löwenstein, et son accent allemand, dont on ne voit jamais le vrai visage, cachée sous son masque de chien.
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