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jeudi 29 décembre 2011

Nous autres - Evgueni Zamiatine

Pour conclure la deuxième édition d'Une année en Russie, un peu de Science fiction ne fera pas de mal.


Il y a longtemps que je comptais lire "Nous autres" de Zamiatine, dans la mesure ou il est la source d'inspiration principale des deux monuments de la dystopie que sont 1984 et Le meilleur des Mondes ( d'ailleurs il faudra que je relise ce dernier, ça fait super longtemps).

Donc, on retrouve ici le principe de société "idéale" tenue par un leader absolu qui est au centre de ses deux successeurs: la société dans laquelle évolue le héros D-503 est basée sur l'harmonie mathématique, condition sine qua non du bonheur calibré.
Tout y est calculé pour répondre a des règles rationnelles précises, tout y est à précis, lisse comme le verre bleuté qui constitue les immeubles et la chaussée, le chaos y est soigneusement tenu à l'écart: la nature, les animaux, tout ce qui est illogique, exubérant et naturel est soigneusement séparé de l'état unique par le mur vert ( un mur virtuel électronique qui empêche l'intrusion du vivant et des phénomènes météorologiques dans l'état, car même le ciel doit y rester bleu uni). A l'inverse du meilleur des mondes qui circonscrivait le monde sauvage dans les réserves, il est ici considéré comme une menace dont il faut s'isoler. L'état unique est une bulle bleue au milieu d'un monde vert, qu'il s'efforce d'ignorer.
Du coup, il paraît d'autant plus étrange que cet état qui fuit l'inconnu se soit donné pour mission de convertir à sa conception du bonheur de potentiels étrangers, et d'envoyer à cet effet un vaisseau spatial conçu justement par D-503, mais passons.
Le lecteur assiste donc via les notes de D-503 destinées à être embarquées dans l'intégral pour instruire les habitants d'autres planètes, à la tentative de coup d'état menée par la mystérieuse I-330.

Le sujet est alléchant, mais une petite chose me gêne un peu, au niveau de l'écriture, et je ne sais pas à quoi l'attribuer exactement. A la traduction qui est peut être un peu imprécise, et il faut parfois relire plusieurs fois un passage pour savoir qui parle. Et en même temps, pour une question d'époque, le style ( enfin, ce qui transparaît) est assez " art déco",je n'ai pas pu m'empêcher de penser aux affiches des années 20, lettres anguleuses. En fait tout au long de la lecture j'ai eu très exactement cette image en tête:
Attention, hein, j'adore l'art déco en matière d'architecture  et je suis totalement fan de ce film. Mais j'ai eu la même impression au niveau de la littérature et ça me pose un problème, car du coup, la narration aussi raide que l'architecture qu'elle décrit.
Même les personnages, enfin, les "numéros" sont décrits de manière très géométrique: O-90 est ronde comme son initiale, I est sèche et raide comme une cravache ( le I russe est un N inversé qui donne encore plus l'impression d'un coup de fouet), R-13 semble avoir une tête énorme sur un corps maigrichon (le R russe ressemble à un P).. c'est original, mais, comment dire, un peu trop abstrait pour qu'on se prenne de sympathie pour les personnages. D'autant que D n'est pas en rébellion ouverte contre sa société contrairement à Winston de 1984 ou Bernard du Meilleur des mondes qui veulent vraiment un changement, il en est le témoin, et met son erreur sur le compte d'une maladie nerveuse d'un autre temps nommée "imagination" qui peut se soigner par une opération rapide en irradiant une petite zone du cerveau ( et là, c'est la lobotomie dans Vol au dessus d'un nid de coucou, qui s'est imposée à moi..)

K. Malevitch - suprematisme n°58 - 1916
Donc au final, je l'ai trouvé intéressant par l'influence qu'il a eu sur la science fiction en général, mais il est dommage que je l'ai lu après les deux oeuvres majeures qu'il a inspirées, et qui vont beaucoup plus loin.
Deuxièmement, je trouve intéressant aussi le rapport qu'il peut avoir avec les courants artistiques de son époque ( années 20), mais cette construction a les mêmes limites que le suprématisme en peinture: trop abstrait pour moi. J'aime bien, c'est joli, c'est régulier.. mais après? j'ai du mal à m'attacher à ces personnages géométriques qui manquent un peu trop d'épaisseur et de motivations.
Mais, je dois quand même dire que je l'ai lu au bon moment: celui ou l'on a pu voir des images qui semblent sorties en droite ligne d'un autre temps, la foule nord-coréenne rassemblée pour les obsèques de son chef tout puissant, puis acclamer son remplaçant, j'ai envie de dire son clone. Pour le coup, tout le passage sur l'élection du "bienfaiteur", chef incontesté de l'Etat Unique, prend une autre dimension.
auteur enterré à Paris : cimetière parisien de Thiais ( extra muros, mais parisien quand même)

 

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