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mardi 14 février 2017

le jour des serments...

Car oui, ma traditionnelle diatribe anti Saint Baratin sera un peu différente aujourd'hui. Parce qu'il s'est passé des choses autrement importantes un 14 février qu'un vieux romain décapité par d'autres romains après avoir rendu la vue à une femme aveugle ( du coup la logique serait d'en faire une journée de sensibilisation aux maladies oculaires, plutôt)

Car le 14 février est avant tout une date importantissime. Pour la France et pour l'Allemagne - et ce, même si ça n'a pas toujours été le grand amour entre les deux pays.

Le 14 février 842, c'est la signature des Serments de Strasbourg qui ont donc 1175 ans cette année.



En quoi est-ce important? C'est tout simplement le traité qui annonce le morcèlement de l'immense empire de Charlemagne d'un point de vue géographique, ET la première occurrence écrite des deux langues que sont l'Allemand et le Français. Et tout commence par une querelle de famille, parce que lorsqu"il y a du pognon et du pouvoir, l'amour familial et fraternel, on s'en cogne un peu en fait. Et on se cogne dessus tout court.

Il s'agit donc d'un traité militaire entre Louis le Germanique et Charles le Chauve  qui s'allient donc pour foutre en commun sur la gueule de Lothaire, leur grand-frère.
Tous trois sont fils de Louis le pieux, Empereur d'occident, lui-même fils de Charlemagne mort en 840. L'héritage partage le territoire en 3 parties et tout le monde aurait du être content. Sauf que l'ambiance n'était pas franchement excellente entre papa Louis de son vivant et ses 3 fils, puisqu'ils ont tenté un putsch en 833.

Et donc Lothaire, fils aîné, réclame le titre d'empereur d'occident,  Louis le germanique qui était duc de Bavière, se voit attribuer la partie est de l'empire, et Charles le chauve, le préféré de son papa avait déjà obtenu une grande partie de la Francie occidentale). Et de fait en étant empereur, Lothaire aurait été suzerain de ses deux frères, qui en l'entendent pas de cette oreille.

Le traité d'alliance entre les deux cadets est fait de manière à ce que leurs armées respectives comprennent la situation, et donc non pas rédigé uniquement en latin, mais prononcé et transcrit en langues vernaculaires, ancêtres du français et de l'allemand. De l'ancien français plus ancien qu'ancien. Et de l'ancien allemand pareillement ancien.
Louis le germanique prononce un discours en langue gallo-romane ( donc pas celle de sa propre armée, mais celle des armées de son frère, à laquelle la troupe répond) et Charles en langue tudesque pour être compris des armées de Louis qui répondent aussi dans leur propre langue.



Voila ce que dit Louis

Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d'ist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dift, in o quid il mi altresi fazet, et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit.


Soit: Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun, à partir d'aujourd'hui, autant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir son frère, selon l'équité, à condition qu'il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles.

On ne va pas se mentir, la langue gallo-romane est quand même encore très très proche du latin, mais déjà on repère des choses qui nous parlent: commun, en avant, plaid ( au sens de plaider), et les formes du futur: salvarai, prindrai.
D'autres vocables ( poblo, salvament, podir, aiudha, salvar) sont plus proches de l'espagnol actuel, la langue parlée devait probablement être comprise dans une bonne partie du territoire de Charles jusqu'à l'océan et la méditerrannée.

Et voilà ce que dit Charles

In Godes minna ind in thes christianes folches ind unser bedhero gealtnissi, fon thesemo dage frammordes, so fram so mir Got geuuizci indi mahd furgibit, so haldih tesan minan bruodher, soso man mit rehtu sinan bruodher scal, in thiu, thaz er mig sosoma duo ; indi mit Ludheren in nohheiniu thing ne gegango, zhe minan uuillon imo ce scadhen uuerhen.

traduction: Pour l'amour de Dieu et pour le salut du peuple chrétien et notre salut à tous deux, à partir de ce jour dorénavant, autant que Dieu m'en donnera savoir et pouvoir, je secourrai ce mien frère, comme on doit selon l'équité secourir son frère, à condition qu'il en fasse autant pour moi, et je n'entrerai avec Lothaire en aucun arrangement qui, de ma volonté, puisse lui être dommageable.

Le futur allemand est déjà un peu plus reconnaissable, enfin, pour peu qu'on l'ai appris, mais il a moins dérivé que le français de sa base et un plus grand nombre de mots sont déjà quasiment dans leur forme actuelle. en tout cas, en le lisant à haute voix et bien qu'étant française, je galère moins à reconnaître les mots actuels
Folches-> Volk ( le V allemand se prononce comme un F français)
geuuizci-> Gewiss
uuillon-> Wille ( le w allemand actuel se prononce comme un V français, mais le redoublement du uu semble indiquer qu'a l'époque, il fallait bien prononcer un " wa" à l'anglo saxonne)
scadhen->schaden
uuerden -> werden

Mais autant dire que d'un point de vue étymologique et historique, ce document ( dont les deux versions connues sont des copies plus tardives) est une mine d'informations sur les langues parlées en Europe au IX° siècle.
La vraie séparation géographique se fera l'année suivante par le traité de Verdun en août 843:
A Charles ce qui s'étend entre l'océan ( moins la Bretagne) à la Belgique au nord, et aux Pyrénées au sud en longeant presque le Rhône. A Louis, toute la partie Est de l''empire, suivant à peu près le Rhin comme démarcation, et à Lothaire, la zone entre les deux, des actuels Pays-bas jusqu'à la Provence et une bonne partie du nord de l'Italie, qui prend le nom de Lotharingie
Arrangement qui va d'ailleurs mettre la grosse pagaille dans l'histoire, car les différentes zones vont se retrouver encore morcelée aux générations suivantes, les rois de l'époque ne se contentant pas d'avoir un seul enfant.
Et la Lotharigie, de plus en plus réduite va rester la pierre d'achoppement entre la France et l'Allemagne jusqu'au XX° siècle. Ca se dit Lothringen en allemand. Et on y passe avec des sabots. Mais la France clamait depuis 1871que l'ennemi prussien ne l'aurait pas ainsi que la région d'à côté.
Et oui, Lotharingie = Lothringen = Lorraine.
S'il n'y avait pas eu ce morcèlement, quelque part, on évitait la rivalité de toujours, la guerre franco-prussienne, le bordel en 1914, le nouveau bordel en 1939, tous aux conséquences dramatiques.

Et donc, d'un point de vue personnel, à cause de ce partage datant de bien avant sa naissance, mon arrière-arrière grand mère à fui l'Alsace en 1870 et les guerres incessantes pour ces territoires tampons entre deux pays, pour se réfugier en Auvergne. Oui mon arrière-arrière grand-mère était donc une réfugiée politique.
La naissance de ma grand-mère en Auvergne est donc une conséquence étrange mais bien une conséquence d'un traité politique signé quasiment mille ans plus tôt, si on y réfléchit bien!

Maintenant, un petit jeu d'imagination, car ils me font bien rire les partis extrémistes, avec leur roman national, la pureté du sang, etc.. et toutes sortes de facilités historiques.
Si mon arrière-arrière grand mère avait eu des sympathies pour l'autre camp, je ne serai simplement pas là pour en causer. Je serais peut-être mettons, polonaise.
(Allons encore plus loin dans l'imagination: Je suis peut-être polonaise dans un univers alternatif où elle est partie vers l'Allemagne. Et je ne sais même pas dans quel coin je suis, dans un univers alternatif où il n'y a pas eu de dispute de famille entre les petits fils de Charlemagne. Oui même là, je ne peux pas m'empêcher de penser SF)

Yep, je suis française par hasard, parce qu'une alsacienne est venue à l'ouest plutôt qu'à l'est et parce qu'à un moment, d'autres pinailleries politiques et territoriales multi-séculaires ont décidé que Nice et sa région seraient finalement françaises au lieu d'italiennes après être passées de main en main. Et tout ce monde a finit par débouler en PACA à cause d'autres alliances politiques au XX° siècle.
Ma nationalité ne tient en fin de compte qu'à une belote politique entre gens de la haute. Je ne m'en plains pas, mais je n'ai aucune raison d'en tirer une quelconque fierté, qu'elle soit nationale ou encore plus ridicule, régionale. Le patriotisme, la main sur le coeur et tout ça, les "tulaimeoutulaquitte" c'est loin d'être mon truc. Pas de quoi fouetter un chat, franchement.
Bon je n'avais pas prévu de partir dans des considérations politiques actuelles, mais après tout le morcèlement de l'Europe du IX° a eu et a encore des conséquences actuelles sur la morphologie des pays et leur langue. Et à partir du moment où on y met son nez, l'évidence saute aux yeux, l'appartenance à un pays ou un autre n'est que le résultat d'une série de hasards.

Donc en ce 14 février, plutôt que l'amour, si on fêtait un peu l'égalité et la fraternité entre l'immense majorité des gens qui sont nés quelque part  ( ça vous va comme concepts, amis politiciens? c'est assez français?)

Oui je suis partie d'un rejet d'une fête commerciale pour embrayer sur un sujet historique et politique, je sais, je suis la personne la moins sentimentale de la terre.

Promis l'an prochain, je vous parle de la mort de Cyrille, l'inventeur de l'alphabet cyrillique 😄 (wow, joie et bonheur, je viens de trouver la commande d'insertion de smilies dans les messages de blog)