Et éliminé en particulier pour des écrits du style du Bateau Usine, qui met en avant des choses que la société japonaise de l'époque avait plutôt intérêt à taire, en l'occurrence, l'exploitation des classes ouvrières par un capitalisme sauvage alors en plein essor.
On suit donc le quotidien désespérant de une équipe de marins et de pêcheurs, embarqués sur un rafiot déglingué, vestige de la guerre Russo-japonaise qui avait eu lieu 10 ans plus tôt. Tous sont constamment brimés, surmenés, affamés par l'intendant sadique et malhonnête, seul maître à bord qui tyrannise tout le monde et dirige même le capitaine. Un passage marquant: l'intendant refuse que le capitaine aille porter secours à un autre navire de la même compagnie en perdition, au motif que le temps c'est de l'argent et qu'il est là pour défendre l'intérêt financier des capitalistes qui le payent, contre lequel la vie de 300 marins n'a aucune importance. Ni leur santé ( au passage, faire travailler les malades à la fabrique de conserve jusqu'à ce qu'il en meurent démontre aussi le non-respect du consommateur, les futurs cochons de payants qui vont consommer les boites d'un produit de luxe payé à prix d'or, ainsi que l'empereur du Japon qui va déguster du crabe préparé par des ouvriers qui ont droit à une douche tous les 15 jours).
Soigneusement sélectionnés pour leur ignorance totale du syndicalisme et leur inertie globale plutôt que pour leur expérience professionnelle, entassés dans une soute sobrement surnommée "le merdier", les ouvriers, les machinistes les pêcheurs n'ont même pas l'idée de se révolter. Mais un incident va leur donner l'impulsion nécessaire: une barque en perdition échouée sur les côtes russes, des marins qui découvrent stupéfaits que la Russie et le communisme n'ont rien à voir avec le bourrage de crâne officiel au sujet de la " propagande rouge". mais les choses sont longues, très longues à se mettre en place, dans ce roman très court. La pression monte du côté des ouvriers, l'intendant est de plus en plus ignoble, l'affrontement final est inévitable.. et dérisoire: les ouvriers veulent seulement déposer une pétition - quand le lecteur , moi en tout cas - espère un bon gros massacre de l'intendant, on n'est plus à ça près!
L'auteur, venu des classes aisées, a découvert le syndicalisme un peu par hasard et pris fait et cause pour les sans grades dont il se fait porte-parole. Son roman est basé sur des faits réels: les rafiots complètement rouillés, les traitements inhumains faits aux travailleurs, les vols entre navires pour augmenter artificiellement sa productivité auprès de l'armateur, les pots-de-vins aux militaires, tout cela n'a pas été inventé mais sort d'une enquête minutieuse menée auprès des prolétaires de Hokkaïdo. On y trouve également quelques informations très intéressantes sur les suites de la guerre Russo-Japonaise, bref, c'est passionnant - même si Zola parait optimiste à côté.
Un détail intéressant à signaler: le livre a été publié initialement en 1929, donc en pleine période de crise économique, et est ressorti au Japon en 2008, donc en pleine période de crise, avec un succès tel que le terme "kanikôsen" ( le titre n japonais), est devenu synonyme de "travail pénible et /ou précaire et/ou mal payé", signe que les classes défavorisées du Japon actuel, celles dont comme par hasard on ne parle jamais car ça ferait désordre de reconnaître que le chômage et les baitô vont croissant ( petit travail d'appoint réservé en théorie aux étudiants mais de plus en plus occupé par des travailleurs précaires). Bref, passionnant.
auteur mort avant 35 ans/ dans des conditions particulières. |
Passionnant en effet ! Voilà un roman qui m'a beaucoup surprise ! Une voix engagée qu'on entend guère au Japon et qui a encore une résonance particulière aujourd'hui.
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