Chose promise, chose due.
Ces deux nouvelles là, plus longues que les précédentes (+ de 200 pages à elles deux), avaient été mises en attente l'an dernier pour ce mois Halloween, c'est chose faite.
Gautier, fidèle à ses goûts personnels et à la mode orientalisante, part tout d'abord en Inde, ou plutôt, fait venir les "mystères de l'Inde" en France.
Fini! |
AVATAR:
Le dénommé Octave de Saville est un jeune noble, qui, pour une raison incompréhensible, semble dépérir depuis plusieurs années, alors que sa santé est censée être excellente. En désespoir de cause ses parents convoquent un étrange médecin, Balthazar Cherbonneau, fraîchement revenu d'Inde où il a, dit-on, appris les secrets de la médecine orientale. Octave finit par s'ouvrir à lui: deux ans plus tôt, faisant son tour d'Europe, il a rencontré par hasard à Florence la dénommée Prascovie Labinska, comtesse lithuanienne, évidemment une très jolie femme (et là, on est à donf' dans le cliché descriptif du XIX° siècle, qui vous fait penser que définitivement, les critères de beauté ont bien changé: blonde, aux cheveux frisés, aux yeux verts, et au teint décrit sur maintes lignes comme pur, virginal, transparent, diaphane et autres... bref, digne d'une madone de la Renaissance). Comme de bien entendu, Octave en est tombé raide dingue avant même de lui adresser la parole, l'a courtisée... et s'est pris le vent de sa vie: Prascovie, qui est jolie mais aussi intelligente, a cependant un défaut intolérable pour une héroïne littéraire du XIX° siècle. Qu'elle soit mariée est une chose, mais elle a le mauvais goût d'adorer son mari, Olaf, et de lui être fidèle.
Octave, comme tout bon héros romantique, au lieu de prendre une cuite, et de se remettre de son chagrin d'amour qu'il n'est ni le premier ni le dernier à avoir, se laisse donc mourir à petit feu. Cherbonneau lui propose alors un marché plus que douteux: versé dans la science yogi, il sait détacher les esprits des corps, et peut donc projeter l'esprit d'Octave dans le corps du mari de Prascovie " qui sera bien fine si elle arrive à le détecter". Donc un plan à la Merlin et sa potion de polymorphie, pour abuser la mère du roi Arthur.
Au XIX° siècle, une histoire d'amour.
Au XXI° siècle ça passe moyen, puisqu'on parle quand même d'un gourou, sans le moindre état d'âme, qui manipule un dépressif, et lui propose quelque chose de doublement inacceptable: prendre possession du corps d'un innocent pour, disons le crûment, violer sa femme. Y'a pas d'autre mot, à partir du moment où elle a clairement repoussé les avances d'Octave, utiliser la magie n'excuse rien.
Bon rassurez-vous, c'est un échec, Prascovie se rend compte que quelque chose cloche avec son "mari": il ne la regarde pas comme d'habitude, il a soudainement oublié le polonais, sa langue natale... Et donc elle le snobe et fait la grève du sexe en attendant qu'il redevienne lui-même. Ce qui lui évite de cocufier involontairement Olaf avec l'esprit d'Octave.
Bon je ne vais pas censurer la nouvelle sous prétexte que les choses ont changé, on n'est pas aux USA, mais quand même, j'ai du mal à la considérer comme merveilleuse. Plutôt épouvantable, parce que finalement, on y valorise une chose que je trouve au tréfonds de moi les plus révoltantes: la manipulation et l'abus de faiblesse. Car Octave est aussi une victime, que Cherbonneau amène tout doucement là où lui le veut. C'était pareil dans la Morte Amoureuse, hein, le fait que ce soit une femme qui manipulait alors un homme ne rendait pas la chose plus acceptable. Mais au moins il n'était pas manipulé par une tierce personne à son propre profit.
Car on devine vite que Cherbonneau n'est pas uniquement préoccupé de sortir Octave de sa dépression. Réfléchissons: un vieux type au corps usé, qui sait comment projeter un esprit dans un autre corps, dépeint comme un esprit de 20 ans dans un corps de septuagénaire, se retrouve face à un dépressif, qui a un esprit de 70 ans dans un corps de 20. Vous voyez venir le truc?
....
......
Exactement.
Spoiler habituel:
Après avoir une première fois échangé les corps et les esprits d'Octave et d'Olaf, causant au pauvre Olaf qui n'était ni averti ni consentant une panique totale de se retrouver dans le corps et la vie de quelqu'un d'autre, pris pour un fou qui a un dédoublement de personnalité, s'être battu en duel avec lui-même, finit par réintégrer son propre corps, l'esprit du dépressif Octave n'est pas très motivé pour revenir sur terre et s'envole par la fenêtre.Cherbonneau, tout décati qu'il est, se retrouve avec un cadavre encore chaud sur les bras, et se dit que bon ça va causer des problèmes avec la police, va falloir expliquer pourquoi un type est mort dans son bureau.. Et donc le plus simple est de rédiger vite fait un testament léguant tout à Octave, avant de transférer son propre esprit dans ce nouveau réceptacle, jeune et vacant. Un vieux médecin qui meurt chez lui d'une crise cardiaque, et un jeune malade revenu à la vie grâce aux bons soins du docteur, juste avant qu'il ne passe l'arme à gauche, qui va à l'enterrement de son sauveur qui vient en plus de lui laisser une fortune, c'est normal!
JETTATURA
On continue dans les destinations " exotiques " qui faisaient fantasmer les lecteurs du XIX° siècle dont la plupart ne s'aventuraient pas plus loin que le chef-lieu de département. Les longs voyage étaient réservés à la "Jet-set" de l'époque, oui même l'Italie ce qui parait dingue quand on peut maintenant y être en quelques heures de train ou d'avion: on part à Naples.
Comme c'est le cas de la riche damoiselle dénommée Alicia Ward qui vient s'y refaire une santé. Depuis quelques temps, elle dépérissait à vue d'oeil en Angleterre, et sur avis médical, vient de passer 6 mois en Italie. Ce qui lui réussit, elle a meilleure mine, a repris du poids...
Et pour l'heure, Alicia reçoit la visite de Paul, son fiancé français qui vient la rejoindre. Et à peine est-il arrivé que les événements étranges se produisent. Pas des catastrophes des trucs un peu ridicules: qu'il regarde les bateaux dans le port, et l'un d'entre eux est retourné par une vague. Qu'il regarde un nuage, et le ciel se couvre et la pluie tombe. Qu'il regarde Alicia assise dans un hamac, et une corde casse, et elle se retrouve les 4 fers en l'air...
Paul a un visage étrange qui met mal à l'aise beaucoup de monde, et les napolitains qui le croisent le considèrent comme portant le mauvais oeil, se bardent de grigris et d'amulettes et l'évitent autant que possible. Pour eux, il est un jettatore, un jeteur de sort, quelqu'un qui vous colle le mauvais oeil.
D'ailleurs les soucis de santé d'Alicia ont commencé précisément au moment où elle a rencontré Paul.
Et lorsque Paul se rend compte que tout le monde l'évite, lui fait les cornes, le traite de jettatore, il passe en revue le nombre assez colossal d'accidents parfois mortels, qui se sont passés sous ses yeux depuis son enfance, et en vient à s'accuser d'avoir causé la mort ou les blessures de tout ce monde, rien qu'en les regardant. Jusqu'à présent, il avait rationnellement attribué ces accidents à la malchance, un concours de circonstance, mais en y repensait, ils se sont toujours produit alors qu'il regardait quelque chose ou quelqu'un. Serait-il réellement maudit et en train d'involontairement rendre malade sa fiancé à force de la ... regarder?
J'ai bien aimé cette histoire et surtout la manière sarcastique donc il se moque des poncifs littéraires. Alicia a un cou d'une blancheur "à faire passer pour jaune le lait, les plumes de cygnes, l'albâtre, la neige, et tout ce que les poètes utilisent habituellement comme images pour évoquer le blanc"
Oui je vous ai dit que Gautier est un auteur souvent drôle dans sa manière de prendre le lecteur à témoin et de ne pas être dupe. Une telle litanie de comparaisons serait ridicule, SAUF, si on clame précisément que c'est une série de cliché.
Cette histoire finit mal pour tous les protagonistes, mais il y a des passages très drôles, du genre les touristes anglais en goguette qui tombent sur un cadavre à Pompei: leur voyage était plan plan jusqu'à présent, rien de bien passionnant, ils vont enfin avoir une anecdote passionnante à raconter au retour!
Ce balancement perpétuel entre l'ironie et le lyrisme, le romantisme et le sarcasme, l'assimilation et la distance entre le le narrateur et son récit, ses personnages, les clins d'oeil au lecteur, est ce qui fait le sel, pour moi de son écriture.
Allez, deux précisions
Oui il y a beaucoup mais alors beaucoup de descriptions et de comparaisons. On est à une époque ou peu de gens voyageaient ou même quittaient leur ville natale. La presse était peu distribuée, les gens n'avaient pas beaucoup de moyen se se renseigner sur tel ou tel domaine et donc l'auteur devait tout, absolument tout décrire, afin que son lecteur comprenne de quoi il parle.
Il y a beaucoup, mais alors beaucoup (bis) de termes italiens ou anglais empruntés. Pas toujours pour faire couleur locale et créer l'ambiance "italienne" ici. Mais aussi parce que des concepts nouvellement arrivés n'avaient pas encore d'équivalent français. Egalement parce que c'était à la mode, l'anglomanie était en vogue, on ajoutait ici et là un mot d'anglais par... snobisme ( cet anglicisime là existe encore)
Et il y a donc beaucoup d'anglicismes qui sont totalement tombés en désuétude ( Alicia écrit sur du papier "Cream lead". Ca n'existe plus du tout. On dirait " couleur crème", probablement. Pareil quand il utilise " un baby" pour dire simplement: un jeune enfant, quelle que soit sa nationalité d'ailleurs.
Je souligne ça pour tous ceux qui disent que l'introduction d'anglicismes " tue le français" depuis 40 ans. Ben au contraire, prenez un livre du XIX° siècle, il y a beaucoup plus d'anglicismes que dans un livre de littérature contemporaine, parce que beaucoup de concepts ont depuis reçu un autre nom plus français. Donc relax les gars, visiblement Théophile Gautier et ses copains du XIX° siècle n'ont pas " tué " la littérature française, et les anglicismes récents finiront pas être absorbés, déformés ou remplacés par un autre terme.
Ouf ! Le français n'est pas mort... (mais j'avoue que ça m'agace beaucoup cette mode des pubs à la tv qui sont en anglais...) Lien ajouté ! Vérifie, j'en ai sans doute oubliés...
RépondreSupprimerle français n'est pas mort, Théophile ne l'a pas tuer!
SupprimerHa oui, pour moi c'est surtout les coachs en n'importe quoi qui te disent " il faut rester focus". Alors un focus, c'est un terme de photographie
Deux c'est un nom commun
trois ce n'est pas un participe passé.
Il faut avoir une vista ( hooo du franpoñol, ça change des anglicismes tous nases)
A chaque fois je pense aux publicitaires des Inconnus " Il faut avoir les free hands".
Ou au " Conseil corporate" de Mastapoc qui parodie les réunions de CE en entreprise avec les images du conseil d'Elrond.