L'idée m'est venue il y'a quelques jours.
En 2010, j'avais lu, ou plutôt, tenté de lire Macbeth, mais la version que j'avais était incompréhensible. Le traducteur a voulu faire trop poétique ou trop fidèle au texte d'origine, et .. ça virait parfois au charabia.
En tout cas pour une fois le responsable de cette traduction en bois n'est pas François-Victor Hugo qui m'a littéralement pourri le songe d'une nuit Dété, mais Pierre Jean Jouve qui s'amuse à faire rimer les dialogues... et désolée mais pour moi, ça tomnbe à plat
Pour comprendre ma souffrance:
Première scène du premier acte
1° sorcière: quand nous retrouver réuines, dans tonnerre éclairs ou pluie?
2° sorcière: quand finit le tohu-bohu, le combat gagné et perdu
3° sorcière: Avant le coucher du soleil
1° sorcière: et où l'endroit?
2° sorcière: lande déserte.
3° sorcière: pour la rencontre avec Macbeth
et le reste à l'avenant, je pioche au hasard
"être roi ne se tient pas dans mes perspectives de croyance, pas plus que d'être Cawdor".. Ca c'est Macbeth lui même qui le dit. Bon, ben , si ça ne se tient pas dans ses perspectives de croyance, c'est lui que ça regarde... Et puis c'est quoi Cawdor? Le traducteur a traduit " Graymalkin" le nom du chat de la sorcière par "Museau gris" et nous ajoute une note de renvoi à ce sujet "littéralement Petite Marie Grise, nom couramment donné à un chat"
WHAT. THE .BLOODY. HELL?
(oui je m'égare, mais les Weyrd sisters sont traduites en "folles soeurs" donc j'ai largement le droit de jurer sur l'enfer)
J'ai l'air d'être critique avec les sorcières qui parlent en style télégraphique, mais rimé, et les phrases qui n'ont aucun sens en français, mais je vous jure que c'est même pire que ça par moment. Cette lecture a été vraiment éprouvante. A tel point que je n'ai jamais critiqué cette lecture du challenge ABC 2010. En me disant que je le ferai lorsque je trouverai une traduction lisible et que je comprendrais enfin ce qui se dit.
Pire que François-Victor Hugo, je ne pensais pas que c'était possible
Donc voilà, ça c'est fait, ayant dit tout le mal que j'avais à dire de cette traduction, donc, j'ai préféré faire confiance aux gens qui savent de quoi ils parlent.En l'occurrence, de théâtre. Et comme je n'avais pas de pièce captée sous la main, allons y pour le théâtre adapté au cinéma.
Le hasard a fait que j'ai récemment vu et critiqué Le château de l'araignée, transposition du drame écossais dans le Japon Médiéval par Akira Kurosawa. C'est ici que j'en parle
Et donc, comme je n'avais pas encore vu la version d'Orson Welles, allons y pour l'occasion.
Le film date de 9 ans plus tôt que l'adaptation japonaise, et là pour le coup, on est vraiment dans le théâtre filmé: décors très théâtraux ( j'aime beaucoup l'idée que le château de Macbeth semble a demi façonné dans l'argile, comme la statuette que façonnent les sorcières au tout début du film)
Donc oui, là, j'ai enfin compris l'histoire, merci les sous-titres. après quelques recherche, j'ai vu que l'adaptation avait été un échec dans le monde anglophone, à cause de l'accent écossais très marqué des acteurs ( réel ou imité, mais le public anglophone a dit n'y avoir rien compris). C'est assez drôle d'entendre Orson Welles dans le rôle titre rouler des R à outrance, mais on s'y fait vite.
J'aime bien, j'ai dit ce rapport visuel entre la matière sculptée par les sorcières et l'apparence du château. autre trouvaille qui me plaît énormément: les pointes. Il y en a partout dans le décor et sur les costumes, qui se multiplient au fur et à mesure que le personnage central sombre dans les crimes ( "le sang appelle le sang". Oui c'est le premier crime qui est difficile, les suivants deviennent de la routine): au départ vêtu d'un costume couvert de motifs ronds,
.. mais les croix celtiques évoquent déjà des lances |
pour finir coiffé d'une couronne hérissée de pointes qui rappelle curieusement celle de la statue de la liberté.
De même il passe de la petite dague avec laquelle il tue le roi Duncan à une énorme masse d'armes façon morgenstern.
même les weyrd sisters sont armées . |
Alors oui, c'est très théâtral, jeu outré, tout ça, c'était aussi le cas chez Kurosawa, où le jeu de Toshirô Mifune était au moins aussi théâtral et expressionniste que celui de Welles.
Ca c'est pour les ressemblances.
Pour les différences, hé bien...les deux approches sont intéressantes.
La version nippone met beaucoup plus l'accent sur la nature, la forêt, lieu propice au fantastique, cette même forêt qui bougera plus tard. De même, et c'est très logique, les esprits n'ont pas la connotation forcément diabolique qu'ils ont en Europe. L'esprit qui annonce leurs destins aux samouraï qui représentent Macbeth et Banquo ne cherche ni à les tromper, ni à les égarer, au contraire, il semble plutôt contrit de constater que les humains sont bêtes et naïfs et s'égarent toujours pour les mêmes raisons: l'argent, le pouvoir, la gloire...
tandis qu'évidement dans la version occidentale, non seulement les sorcières sont vagues, mais prennent un certain plaisir à manipuler Macbeth.
Dans les deux cas, c'est la femme du personnage titre qui est l'instigatrice du crime, mais dans la version Kurosawa, elle est curieusement en retrait, là aussi comme l'esprit, elle se contente d'énoncer des faits, qui vont faire réfléchir son mari, et de participer au premier crime. Là où la Lady Macbeth de Jeannette Nolan ( je ne connaissais pas cette actrice qui est pas mal convaincante) est véritablement fielleuse orgueilleuse et critique à l'égard de son mari
Du coup, la version japonaise est beaucoup plus centrée sur un personnage qui fait de mauvais choix parce qu'il se laisse convaincre, non sans difficultés, et va se retrouver seul avec lui-même et avec sa propre noirceur. A ce titre le personnage de Macduff " qui n'est pas né d'une mère" est totalement évacué. Pas de combat singulier, c'est vraiment la forêt qui avance qui constitue la menace, et c'est un opposant "collectif" qu'affronte le samouraï: ses propres partisans lassés de ses crimes qui le prennent pour cible. Le Macbeth de Welles hésite un peu à tuer son cousin, mais pas plus que ça, même s'il es plus sensible au regret que quand la version de Kurosawa
On sent beaucoup plus le fait qu'il est l'artisan de sa propre déchéance que dans la version de Welles, plus " classique" , avec un Macbeth pantin manipulé par les sorcières et par sa femme, qui cède non pas vraiment à sa propre pulsion meurtrière, mais se laisse entraîner par les circonstances.
Mais j'ai beaucoup aimé les deux versions: celle d'Asie qui laisse la place aux grands espaces, à la forêt ( et commence par un panneau nous indiquant que la nature a repris ses droits sur un lieu dévasté par la folie humaine), comme celle qui ne laisse aucun espace, aucun décors naturel et enserre tout le monde dans un décor pointu.
Les deux approches sont très différentes, le résultat est très différent, mais aussi intéressant dans un cas que dans l'autre.
Une chose en commun cependant: la maîtrise du noir et blanc somptueux et des contrastes dans les deux cas. Evidemment,Welles était surtout un maître du cadrage avec un emploi magnifique de la profondeur de champ dans Citizen Kane, ce qui est plus difficile à faire dans un décor restreint, mais sa patte visuelle se sent malgré tout bien.
des pointes jusque dans le décor... |
Donc deux immenses cinéastes aux univers très différents, mais aux qualités visuelles qui se recoupent parfois ( je l'avais vaguement évoqué déjà dans le sujet sur Jodorowsky's Dune, mais j'adore Orson Welles, tant l'acteur que le réalisateur), deux acteurs talentueux. Match nul. Deux films à voir.
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