Crescendo, évidemment, en priorité, on pense à la musique, mais ça serait trop simple. en fait, des 9 nouvelles rassemblées ici, aucune de fait franchement référence à la musique, et deux seulement au bruit. LA plupart des auteurs ont préféré une thématique générale d'augmentation, de montée en puissance, voire de montée physique...
- Tous les garçons s'appellent Alexandre ( Siham Najmi) - nouvelle récompensée du premier prix de cette édition 2012. Le crescendo ici, c'est l'obsession destructrice d'une femme, qu'on devine probablement quadragénaire, pour un garçon nommé Alexandre, fêtard invétéré et plus jeune qu'elle. Un garçon avec lequel elle a eu une brève liaison un soir de beuverie ( ou peut-être pas, allez savoir, on a du mal à démêler ce qui est du domaine du récit et du domaine du simple fantasme chez cette femme) et qu'elle file depuis: sur le net, dans la rue.. obsession destructrice d'une femme qui contrôle tout, sauf son propre mental.
Presque toute la nouvelle est construite sur des phrases infinitives, avec beaucoup d'anaphores. Habituellement j'ai du mal avec ce genre de style que je trouve lourd et artificiel, mais pour une fois, ça passe finalement bien, en ajoutant une petite musique lancinante au sujet. L'héroïne est "en boucle" sur l'objet de ses fantasmes et le style colle bien à cette idée.
Le titre est une référence explicite à un court métrage de Godard " Tous les garçons s'appellent Patrick"( que je n'ai pas vu, mais que la narratrice et ses amis vont voir au cinéma), un court métrage où il est question d'un homme qui courtise deux femmes en même temps.
-Rue Mauzin ( Julie Luong): le crescendo , cette fois, c'est l' ascension d'une rue et d'un immeuble " qui manquent de logique", une rue à la Escher qui semble n'exister que dans une dimension parallèle. Une rue ou le narrateur allait régulièrement retrouver un ami, sans jamais rencontrer personne et qui semble du jour au lendemain être issue d'un autre univers...Cette nouvelle a d'ailleurs été adaptée pour une diffusion radio, je viens de le voir, en compagnie de "la barrière" , issue de "entre chien et loup".
-L'envie ( Laurence Baud'huin): Deux hommes, "le roux" et "le brun" s'en vont traîner un soir de boîtes de nuit en bars à hôtesses. Le roux va se marier le lendemain et s'offre une dernière virée chez les filles, sous le regard plus ou moins désapprobateur de son ami. Pas par respect pour la future épouse, non. Plutôt parce qu'il cache une pensée inavouée ( que le lecteur devine dès les premières lignes). L'idée de crescendo n'est évidente ici, elle est liée à l'envie qui le ronge, mais aussi l'envie, la petite blessure au doigt que le brun ne peut s'empêcher de gratter.
J'ai moins aimé ce texte que les deux premiers, le thème y est moins visible, le secret par contre est trop clairement visible, il manquait un peu de pêche à mon goût.
-Si j'aime la musique? ( Laurence Carpena): le quotidien très bruyant d'une femme qui vit dans un immeuble populaire. Comme elle est malade d'un cancer, elle sort très peu de chez elle, et subit de plein fouet les diverses agressions sonores des voisins, des travaux, d'autant que ses nerfs malmenés la rendent hyper sensible au moindre son.
Et voila dont l'une des 2 nouvelles qui font explicitement référence au bruit, au son ( et un peu à la musique, via un voisin qui répète la Neuvième symphonie de Beethoven.. de manière à vous souhaiter d'être sourd vous même). Une nouvelle qui colle plutôt bien à la thématique, sur le bruit qui rend dingue.
- une fulgurante carrière (Patrick de le Court): une étrange nouvelle, qui a part son titre n'a pas vraiment non plus de rapport avec l'idée de crescendo: on y suit Martine, une femme militaire, sans fantaisie aucune. Mais alors pas un brin. Une femme qui ne laisse rien au hasard.. mais que le hasard rattrape quand même , sous la forme de la guerre, à laquelle elle doit prendre part, et qui bouleverse son plan(plan) de vie. Une nouvelle sympathique, mais un peu trop éloignée du sujet pour moi.
- se perdre, trouver ( Jean de Munck): là aussi, il est question d'une carrière fulgurante, mais l'idée de crescendo est plus nette. Deux politiciens s'affrontent, d'années en années: Paul, l'honnête, et Santander le malhonnête. Leur opposition politique se double d'une antipathie personnelle. Mais voilà, l'heure est décisive: Paul est entré en possession de preuves de la corruption de son adversaire, et s'apprête à les rendre publiques lors d'un débat télévisé. Le point d'orgue de son ascension politique en quelque sorte. Encore une nouvelle allégorique, mais j'y ai bien accroché.
- La politesse des rois ( Anne Verhaeren): Le quotidien de Francis, d'abord écolier, puis lycéen, puis normalien, prof, directeur.. rythmé par les incessantes récriminations de sa casse-pieds de mère qui lui pourrit littéralement la vie à force de lui seriner " dépêche toi, l'exactitude gnagnagna, presse-toi, pas le temps, vite vite vite..". Francis n'a jamais une minute à lui pour seulement faire ses propres choix. En fait plutôt qu'un crescendo, cette nouvelle serait plutôt l'incarnation de l'idée du continuo, voir de l'ostinato ( pour avoir une idée, essayez de fredonner la rythmique du boléro de Ravel).
- chronologie non exhaustive (Constantin Sunnenberg): le 25 novembre, un inconnu, individu totalement banal répondant au nom de Rudy Vandenpeperzeele, devient du jour au lendemain le héros de la toile: il a posté un tweet ( dont on ne connaîtra jamais la teneur!), qui fait "le buzz" et lui vaut une soudaine notoriété parmi les grands de ce monde. Il devient célèbre, hollywood prépare même un film sur lui, c'est dire! Un texte bien dingue, qui m'a faite sourire, sur le "quart d'heure de notoriété" qui guette tout un chacun.
- Le fruit pourri ( Corrine Detandt): l'autre nouvelle qui fait explicitement référence au bruit. Un récit aux allures de fable, qui nous raconte les mésaventures d'un petit garçon, né en 1860, et à qui le premier cri, strident et retentissant a valu le surnom de crescendo. Sa voix ultra-sonore va lui causer bien des soucis, car il brise involontairement toutes les vitres du quartier à chaque fois qu'il veut s'exprimer. Sa mère, devenue sourde lors de ce premier cri, le déteste depuis, et se comporte en véritable marâtre de contes, mesquine et sadique. On finit par trouver une solution pour lui donner une éducation convenable: le placer dans un institut pour sourds, là où ses hertz délirants ne gêneront personnes. Sauf que les sourds, s'ils n'entendnent pas, peuvent sentir les vibrations provoquées par la voix de Crescendo. Il y gagne vite la notoriété de " celui qui peut faire entendre les sourds", au grand dam de son horrible mère qui enrage de jalousie.
J'ai beaucoup aimé cette histoire complètement farfelue, ce faux conte de fées, avec tous les clin d'oeils au genre: parents indignes, enfant mal-aimé qui tourne son handicap en avantage... un texte drôle, un peu dingue, avec une vraie référence au sujet imposé, via l'idée d'un son insupportablement fort et aigu, et le surnom du héros.
En fait, comme dans les deux précédents recueils, il est intéressant de voir comment un simple mot peut évoquer des idées très différentes chez les auteurs. Plus quand dans les deux autres cas, en fait. et comme à chaque fois, il y a des nouvelles que j'ai bien aimées, d'autres qui m'ont laissée plus perplexe, mais aucune que j'ai détestée. Mais j'ai toujours une préférences pour celles dont la thématique, qu'elle soit littérale ou plus symbolique, est assez facile à percevoir ( dans ces cas là, "le fruit pourri " est celle que j'ai préférée, suivie de " si j'aime la musique" et " l'envie", avec laquelle j'ai le moins d'affinité. " Alexandre", la grande gagnante est aussi dans mon trio de tête, pour son écriture originale qu'en temps normal que n'aurais pas aimée.
Donc maintenant, j'attends les résultats du concours 2013-2014, sur le thème: Parades ( les nouvelles devaient être rendues avant le 16 décembre, la publication des résultats est prévue le 23 avril, la publication numérique devrait suivre assez vite)
wallonie |
Pas besoin de venir déposer le lien chez moi, je l'ai noté ! Tu lis beaucoup en numérique ?
RépondreSupprimerbeaucoup moins qu'en version papier en fait (vu que mon employeur tolère les livres papier sur le lieu de travail,quand il y a un moment creux, mais pas les e-books et tablettes, de peur que ça ne dégénère) j'ai acheté l'an dernier un maxi mp3/ mini tablette, et j'ai vu que je pouvais y ajouter une appli lecture, donc c'est pas mal pour les voyages. J'ai téléchargé quelques classique, des ouvrages gratuits comme celui là, et des offres spéciales à 99cts, mais ais je trouve que pour les ouvrages généraux, la différence de prix entre version papier et version numérique n'est pas encore suffisante pour me convaincre. Mais sinon, c'est pas mal pour les vacances, le train, l'avion, ça m'évite de surcharger ma valise.
SupprimerN'y connaissant rien en musique, le titre "Crescendo" m'avait fait penser à la même chose qu'à la plupart des auteurs, personnellement. Le sujet m'intéressait, mais tes présentations m'ont refroidie, ce n'est pas mon genre de nouvelles.
RépondreSupprimerDésolée, mais Bon c'est sur que c'est très particulier, très contemporain, et justement, je lis très peu de contemporains à la base, donc c'est pour moi une occasion découvrir sans regretter l'achat si ça ne me plait pas. Mais effectivement, comme souvent dans les recueils multi-auteurs, qu'ils soient amateurs ou pas, j'ai la même réaction: tous les textes sont de styles très différents, ça ne les sert pas forcément et il y en a toujours auxquels je suis opaque ( ce qui est moins le cas dans un recueil d'un même auteur, dont l'écriture sera plus homogène)
SupprimerNul besoin d'être désolée, ça arrive, et je comprends cette difficulté face aux recueils collectifs : je l'ai connue plusieurs fois moi aussi. J'aime explorer l'univers d'un auteur à travers plusieurs textes et reste souvent sur ma faim dans ces collectifs qui ont en quelque sorte les défauts de leurs qualités avec cette diversité.
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