Je continue très logiquement après le podcast sur Angela Davis par un documentaire sur Billie Holiday, chanteuse de jazz ultra célèbre des années 1930 qui fut aussi en son temps une militante des droits civiques. Et dont je constate que nous partageons la même date d'anniversaire , le 7 avril soit dit en passant.
All of me, Summertime ( dans sa version la plus connue) et surtout la première interprète de Strange fruits, c'est elle.
Mais ce film n'est pas qu'un documentaire sur la carrière et la vie tragique de Billie Holiday, chanteuse talentueuse, mais hélas, femme à la vie personnelle extrêmement difficile qui s'est finie tragiquement à 44 ans, suite aux excès de drogues, d'alcool, aux mauvais traitements d'un son mari escroc qui l'a ruinée... Mais aussi sur la vie, l'enquête et la mort suspecte de Linda Kuehl, journaliste qui avait décidé dans les années 1960/70 de rédiger la première biographie de Billie, restée non publiée.
En effet, Linda est trouvée morte, supposément suicidée, ce à quoi sa famille n'accorde aucun crédit, avant d'avoir pu publier son livre. Ses années d'enquêtes et d'interviews l'ont amenée à entrer en contact avec des musiciens, collègues de Billie, à nouer une relation amicale ou sentimentale avec Count Basie alors sexagénaire, mais aussi à apprendre des informations dangereuses au sujet de gens peut recommandables, trempant dans le trafic de drogue, l'escroquerie, en lien avec la pègre. Que quelqu'un ait pensé qu'elle détenait des informations à son sujet, il était facile de la pousser par la fenêtre et de faire croire à un suicide.
Le film entier est construit autour de ce double portrait: la chanteuse des années 30 à la vie mouvementée entrainant involontairement, et bien après sa mort, la journaliste des années 1970 sur une pente dangereuse.
Constitué de photos, des bouts d'interviews audios menées par Linda (et absolument précieuses puisqu'elle a pu interroger un bon paquet des grands noms du jazz encore vivants à cette époque: Count Basie, Lester Young; Billy Eckstine), il reconstitue aussi la réalité de la vie des orchestres de jazz de l'époque, qui se déplaçaient en bus. Et des situations ubuesques causées par la ségrégation.
Lorsque Billie se déplaçait avec un orchestre noir, tout le monde était logé à la même enseigne et devait aller dormir dans un hôtel "pour noirs", mais lorsqu'elle tourne avec l'orchestre d'Artie Shaw, où elle est la seule noire... elle doit rester à dormir dans le bus quand tous les autres peuvent se loger à l'hôtel.
Un témoin de l'époque explique que le paradoxe était que la foule qui venait l'écouter pouvait passer par la grande porte... tandis que la chanteuse vedette devait passer par la porte de la cuisine pour rejoindre la salle, puisque le hall était interdit aux noirs. Les orchestres et les spectateurs étaient souvent plus ouverts d'esprit que les lieux organisant les concerts. Enfin, pour les spectateurs, il est quand même mentionné que lorsqu'elle chantait Strange fruit, chanson profondément réaliste et désespérante sur les lynchages, certains blancs quittaient la salle clamant "on est venus pour s'amuser, et ça, ce n'est pas une chanson drôle". Oui braves gens, ce que vous ressentez s'appelle de la mauvaise conscience.
J'ai beaucoup aimé l'anecdote du concert qui finit en bagarre généralisée, parce que quelqu'un s'est aventuré à manquer de respect à Billie lors d'un concert, et que l'orchestre prend le partie de sa chanteuse, Artie Shaw finissant par assommer un spectateur à coup de clarinette, et pour en arriver à cette extrémité, il faut vraiment ne pas avoir d'autre solution (aoutch, je souffre pour la clarinette, c'est fragile, le clétage d'un instrument à vent, ça peut se tordre sur une tête trop dure... mais non sans avoir fait du dégât quand même, c'est de l'ébène bien dense et du métal bien lourd)
Ce sont aussi les petites remarques " en passant" qui sont intéressantes. Faites rétrospectivement par certaines des vedettes de la grande époque, qui balancent sur les dessous des enregistrements, où les interprètes avaient peu de marge de manoeuvre: faits par des producteurs bancs, avec l'appui de critiques blancs qui donc décidaient de ce qui était bien ou pas, sans que les principaux intéressés aient leur mot à dire. L'un deux fait remarquer avec pas mal d'amertume que dans les années 30, ceux qui avaient été surnommés rois du jazz ou de la clarinette, c'étaient Benny Goodman ou Artie Shaw, donc les jazzmen blanc; que lorsque Tom Jones dans les années 1970 citait des artistes noirs comme influence, c'est bien de Tom Jones que la presse allait parler, sans que ses inspirateurs ne soient vraiment mis en avant, ou ne touchent un sou sur les reprises. Il n'a évidemment rien personnellement contre Goodman, Shaw ou Jones, mais contre la mainmise de certains sur la production musicale et ce depuis toujours, qui dicte les carrières et les insuccès des uns et des autres.
L'enregistrement en question date du début des années 1970, donc avant l'émergence de producteurs et managers influents tels Quincy Jones... qui a entraîné une autre mainmise, hein. L'ami Quincy ayant eu lui aussi une nette tendance à faire la pluie et le beau temps pour placer ses protégés devant tout le monde, mais bon.. on dira que c'est de bonne guerre. Et je l'avais dit l'an dernier il a fallu attendre le milieu des années 80 pour que ça évolue au niveau de la diffusion et que MTV présente 2 artistes noirs au milieu de tous les autres. 2, pas plus ( qu'à l'époque en Europe on percevait d'ailleurs comme " vedettes américaines ", sans se prendre la tête sur leur apparence). Avant que l'un des deux ne mette un fameux coup de pied dans la fourmilière dans les années 90 et ne change le rapport de force entre musiciens et maisons de disques, mais ça devient une autre histoire. Mais oui, le chemin a été putain de long, passez moi l'expression.
Donc ce n'est pas un documentaire qui enjolive les choses et voir la chanteuse lors de ses dernières prestations, malade et usée par l'alcool et la came fait vraiment peine à voir.
Mais c'est un film que je conseille très largement et c'est ici que ça se trouve
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