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vendredi 11 novembre 2022

A l'ouest, rien de nouveau - Erich-Maria Remarque

Voilà un titre qui a attendu très longtemps, et pourtant il me tentait beaucoup. En fait, je l'avais en réserve depuis 2018, pour la thématique Grande Guerre, mais la reprise d'études très intense a repoussé la lecture.

Et puis voilà, en cette période macabre, pourquoi ne pas conclure le mois halloween avec une horreur, une vraie de vraie horreur, à côté de laquelle n'importe quel roman d'épouvante ferait pâle figure?
Une horreur encore plus glaçante car elle est réaliste et... terriblement d'actualité sur le front est ( au moment où j'écris, je me fais un sang d'encre pour mes amis russes qui sont mobilisables).
La guerre a changé de forme, on n'en est plus aux tranchées, mais le principe est le même: n'importe qui risque d'y être envoyé, même les réformés, même les inaptes, même les objecteurs de conscience, du moment que ça fait de la quantité sur le front, peu importe s'ils ne sont que de la chair à canon.

le livre a été un succès, réédité maintes fois avec différentes couvertures, voici celle que j'ai.
Une version assez ancienne, dénichée en boîte à livres.

Entre nous c'est un livre où il vaut mieux ne pas s'attacher aux personnages, dans la mesure où ils peuvent d'une page à l'autre passer de vie à trépas.

On y suit le narrateur, Paul, et ses camarades de classe. Ils ont 19 ans, devaient finir le lycée, et continuer leurs études ou travailler, et ont été poussés par leur professeur principal, nommé Kantorek, par la société, par leurs familles même à s'engager " volontairement" pour aller sur le front. On est entre 1914 et 1918. En Allemagne. on leur a parlé d'héroïsme, de défense de la patrie ... rappelons que tout ce bordel européen est venu de l'assassinat par un terroriste serbe, d'un lointain parent du kaiser autrichien.. Qu'avaient à voir l'Allemagne ou la France dans l'histoire? Simplement des traités d'alliance avec les pays qui les premiers ont décidé de se mettre sur la tronche. Les allemands du livre, comme els français de.. par exemple dorgelès, sont allés se faire trouer la peau, parce qu'un serbe qu'ils ne connaissaient pas a trucidé un autrichien qu'ils ne connaissaient pas... et c'est exactement l'absurdité de la situation qui va être mise en avant. ceux qui parlent le plus fort d'héroïsme sont précisément, ceux qui restent dans les bureaux , au lieu d'aller risquer leurs vies dans un pays étranger ( l'action se passe sur els tranchés, du côté du nord Pas-de-Calais)

Et dès le premier chapitre, le ton est donné, c'est jour de fête pour la compagnie où ils se trouvent. Les rations de nourriture et de tabac sont doublées. Pas pour que les soldats soient en forme, mais parce que la veille, la moitié de la compagnie a été tuée dans un bombardement, et personne n'a prévenu le cuisinier. Ils sont donc au front depuis suffisamment de temps pour ne plus s'attrister d'un événement pareil, mais simplement profiter de l'aubaine, touts en se disant qu'ils ont eu beaucoup de chance de ne pas faire partie de la mauvaise moitié.
Dans ce monde, il n'y a plus d'intimité, ou si peu et Paul ne nous cache pas que le soldats, constamment menacés, accordent une valeur inimaginable à des choses simples: admirer les coqueliquots ou faire une partie de cartes assis entre copains sur des toilettes portatives dans un coin de campagne ( la chose étant au final aussi normale que manger ou boire en public) plutôt qu'à 20 dans les latrines communes.

Est-ce à dire que l'empathie ou la compassion ont totalement disparu... pas vraiment, mais le dénuement est tel que lorsqu'un camarade est amputé et risque de mourir, on s'inquiète autant de lui que de sa bonne paire de chaussures: s'il meurt, elles vont être volées par les infirmiers; et s'il survit, il n'en aura plus besoin , c'est dommage de les laisser se perdre, alors qu'un autre pourrait les utiliser. Mais on soudoie quand même les infirmiers avec des cigarettes, pour qu'ils lui fassent une piqûre de morphine, ultra rationnée. La compassion est disons, limitée par la conscience qu'on ne sera peut-être soi-même plus là le lendemain, et l'instinct de survie passe devant le reste. A plusieurs reprises, la masse des soldats anonymes, dans leur tranchée est mise en parallèle avec celle des rats qui y pullulent et leur volent le peu de nourriture qu'ils ont. Les humains sont, par la volonté d'autres humains, devenus des rats, uniquement occupés  à tenter de manger et de dormir. Par fois, ils se remémorent leurs cours au lycée, la géographie, les mayths, l'histoires.. pour faire le constat que tout celà, la culture générale, ne sert plus à rien quand est ici.

Les pensées de Paul, qui se souvient de Kantorek, des pensées à la fois parfaitement rationnelles et terriblement amères, se soldent toujours par un constat d'échec: peut-on lui en vouloir personnellement? Il y a des milliers de Kantorek dans le pays, qui poussent les autres à aller se battre, mais ne s'engagent pas, eux. Le premier bombaredement a été pour eux la désillusion et le constat amer que Paul Valeruy avait défini " la guerre c'est le massacre de gens qui ne se connaissent pas , au profit de gens qui se connaissent mais ne se massecrent pas". Les professeurs, les bourgeois, le politiciens ont perdu toute crédibilité du jour au lendemain.

« Ils auraient dû être pour nos dix-huit ans des médiateurs et des guides nous conduisant à la maturité, nous ouvrant le monde du travail, du devoir, de la culture et du progrès – préparant l'avenir. Parfois, nous nous moquions d'eux et nous leur jouions de petites niches, mais au fond nous avions foi en eux. La notion d'une autorité, dont ils étaient les représentants, comportait à nos yeux, une perspicacité plus grande et un savoir plus humain. Or, le premier mort que nous vîmes anéantit cette croyance. Nous dûmes reconnaître que notre âge était plus honnête que le leur. Ils ne l'emportaient sur nous que par la phrase et l'habileté. Le premier bombardement nous montra notre erreur et fit écrouler la conception des choses qu'ils nous avaient inculquée. » chapitre 1.

Par la suite Paul continue à ne rien nous cacher: Le vol de poules et d'oies pour se nourrir, la chasse aux poux, le fait de devoir écrire aux parents d'un camarade d'enfance que celui-ci ne reviendra pas, l'impossibilité d'être en phase avec la société civile lorsqu'il part en permission (seule sa mère comprend ce qu'il ressent); le harcèlement exercé par les petits chefs; l'espoir d'être blessé perçu comme une chance de retour à la vie normale; la diffiulté à rester sain d'esprit dans ces circonstances.
Et parfois l'espoir de s'en sortir, oui.. mais pour faire quoi? Les plus âgés avaient un métier ( facteur, agriculteur, instituteur.. ) et pourront peut-être le reprendre s'ils s'en sortent vivant et pas trop amochés. Mais les autres, ceux qui sont passés directement de la salle de classe à l'armée, sans avoir eu le temps de réfléchir à un avenir professionnel, ou de découvrir ce qui leur plaît ou pas. Que faire, quand la seule chose qu'on a pappris dernièrement, c'est défiler et manier des armes, en mettant le cerveau au placard, à part peut-être une carrière dans l'armée pour devenir ensuite gendarmes? L'avenir, s'il existe, est bouché.

La version que j'ai lue ( et écoutée, en ce moment, je suis trop claquée pour simplement lire, ça me prend des plombes, donc j'ai fait comme les enfants, j'ai trouvé une version livre-audio, et j'ai suivi avec mon texte à la main, car il s'agit de la même traduction à peine modernisée par endroits) est vraiment pas mal. Je n'ai pas comparé le texte original avec la traduction, mais et c'est intéressant, on la croirait réellement sortie de chroniques françaises de la même époque. La traduction utilise exactement le vocabulaire d'argot des poilus. Au point que par moment je me suis demandée si les gens qui n'ont pas la moindre notion de ce vocabulaire ne vont pas nager entre le "marmitage" ou le " canon à rata".

Mais je trouve que cest très pertinent, et ici, la lecture en VF ne pose pas du tout de problème, d'un point de vue philosophique: Le même texte pourrait avoir été écrit de "notre" côté des tranchées. L'expérience côté allemand est similaire. Remarque a utilisé ses souvenirs de soldat pour écrire son roman, qui plonge réellement le lecteur dans le quotidien de soldats de la Première Guerre mondiale.
Les engagés " volontaires" n'étaient pas plus volontaires, que ce soit du côté triple entente ou triple alliance. La plupart étaient très mal informés des tenants et aboutissants de la guerre, et surtout de ce qui les attendait sur le front. La nationalité n'a pas d'importance, seule compte l'universalité de leur expérience et de leur ressenti. La majeure partie des personnages, hormis le narrateur et ses quelques proches, sont anonymes, désigné simplement par un surnom ou une caractéristique: la tomate (pour le cantinier rougeaud), le blondin ( pour une nouvelle recrue qui passe vite de vie à trépas)...

Et c'est terrible. il est imposible de lire ce roman sans être effaré par l'horreur, d'autant plus frappante que le narrateur, pour se protéger psychologiquement - une décompensation brutale est toujours possible - la décrit cliniquement, factuellement, voire ironise parfois à son sujet. Véritablement, je crois que j'ai rarement lu un roman aussi terrifiant ( et pourtant parfois étrangement poétique). 

Mais c'est là que je suis ravie d'être aphantasique et de n'avoir absolument aucune imagination visuelle.
Donc pour compenser, le" triptyque de la guerre" d'Otto Dix.


Un tableau très intéressant qui reprend la construction des triptyques religieux: le matin ( à gauche) les soldats partent au front, au milieu (jour) la bataille, à droite (soir) les survivants et les secours tentent de sauver les blessés qui peuvent encore l'être. En dessous, en lieu et place de gisants, sous une toile, ceux qui n'ont pas survécu.
Utiliser le format d'un tableau religieux pour un sujet pareil est tout sauf anodin, puisque ça revient à assimiler les soldats anonymes à des martyrs, et les infirmiers à des saints ( Dix a d'ailleurs peint son autoportrait en secouriste).  La crucifixion habituelle est remplacée par un squelette piteux qui désigne d'une phalange le champ de bataille.
Je ne sais aps de quel peintre ancien dix s'est réellement inspiré, mais pour moi, je le rapprocherait de deux tableaux de Mathia Grünewald: le retable d'Issenheim ( côté face pour la construction et le Jesus cadavérique) et pour les couleurs et le pandemonium, la visite de Saint antoine et sa Tentation ( côté pile du même retable)
Ha, ben tiens, il n'y a pas que moi qui ai vu un parallèle!

Succès éditorial, mais qui a valu a son auteur la fuite à l'étranger, et au livre, férocement pacifiste, d'être parmis les autodafé nazi (ce qui est presque un gage de qualité, ironiquement). Je vois qu'il a été critiqué par un certain Jean Norton Cru pour son outrance sanguignolante, son invraisemblance digne d'un non combattant... euh. donc retournez voir le tableau de Dix. L'objectif est moins de faire "réaliste" qu'allégorique, le roman est un pamphlet contre la guerre, dans toute son absurdité, dont les personnages se raccrochent au peu d'humanité qui leur reste en essayant de ne pas la perdre. Pour certains ce sera tenir compagnie jusqu'à la fin a un camarade agonisant, ou se serrer les coudes avec quelqu'un d'inconnu, mais qui compte soudain plus qu'un frère.
Pour l'agriculteur, ce sera qu'on abatte les cheveux blessés qu'il ne peut plus supporter d'entendre hennir de douleur.
Donc oui, l'auteur exagère sûrement, mais probablement comme quelqu'un de traumatisé dont les souvenirs empirent au fil des ans. Mais il faut croire qu'à son époque Norton Cru n'a pas trop prêté attention aux gueules cassées.

Une lecture qui compte donc pour le tour du monde ( Allemagne), la thématique germanique de mon mois Halloween, les classiques...
Ce mois ci c'est "classique d'un genre bien défini", donc pour moi " classique de guerre", ce qui est en plus une rareté pour moi, je m'aventure rarement dans ce genre de littérature. Et j'ai beaucoup aimé, puisqu'il s'agit d'un livre pacifiste. Je pense qu'on peut difficilement le liure et en sortir (ou rester) militariste. Tout comme on ne peut pas visiter le musée d'Hiroshima et en sortir militariste. Mais ne nous leurrons pas, les militaristes, pour éviter les dissonnances cognitives et de devoir changer d'avis, ne liront pas, et ne visiteront pas.

Et je vois qu'un film allemand ( enfin! les précédentes adaptations étaient américaines) est sorti ces jours ci. si j'ai l'occasion d'aller le voir en VOST, bien évidemment, pourquoi pas.
parce que brrr quand même, il n'y a pas de fantastique, mais c'est bien macabre.
et puis on retse dans mon fil directeur de ce mois-ci, germanique

classique de genre: classique de guerre, pour moi

11° livre et 9° pays: l'Allemagne ( VF)



ABC: lettre E pour Eric(h) ( variable selon les éditions)

5 commentaires:

  1. Magnifique chronique qui m'a bien remis le roman en mémoire et certains de ses passages si emblématiques (les bottes!) tout en l'entremêlant avec Les Croix de Bois de Dorgelès qui utilise des procédés de narration similaires.
    Terrible et toujours si actuel finalement. Les choses demeurent, seuls les moyens changent...

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    1. Oui, c'est consternant. surtout que les raisons sont en génral: le pognon ou la vaine gloriole.
      Mon pote russe (qui est inapte) m'a dit que la popualtion est furieuse en ce moment, précisément parce qu'elle ne comprend pas ces querelles de frontières, et qu'en plus les premiers qui sont mobilisé, ce ne sont pas les ronds-de-cuir ou leurs familles. Mais les paysans du fin fond de la cambrousse, dans les endroits déjà délaissés, à qui on dit " tu n'as aucune raison de rester, tu es chômeur dans ton patelin loin de tout, donc tu y vas". Evidemment, quand on dit à la population délaissée qu'elle va avoir un salaire et 3 repas par jour... ce ne sont aps tant les gens des grandes villes qui sont réquisitionnés ( hormis les opposants politiques) parce que tout simplement.. il y a besoin d'eux pour faire tourner les entreprises là où elles sont.

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  2. Oh oui comme Blandine...cela me rappelle comment j'avais ete touchee...pourtant j'evite cette guerre qui reste totalement une boucherie...mon oncle habitait a Verdun....alors j'en ai fait des musees...dont l'ossuaire de Douaumont qui reste pour moi un traumatisme.....bref il ne faut pas oublier....et a bats les va-t-en-guerre de toujours....

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    1. Etonnamment, je fais partie d'une des rares familles qui n'a pas eu de gens ne fut-ce que mobilisés: La majeure partie venait de PACA ou des Pyrénnées, les alsaciens étaient partis en Auvergne en 1870 donc très loin des zones de combat, et les hommes de ma famille étaient, à l'époque, soit trop âgés, soit trop jeunes, soit soutiens de famille. Donc ils ont eu la chance de passer au travers.

      J'avais vu pas mal de choses en allant à Arras, et en Belgique, mais je n'ai pas pu voir douamont, l'anneau de la mémoire.. ni les plus grands cimetières.
      Mais déjà, même les petits, voir des centaines de tombes toutes les mêmes, ça te fiche un coup à l'estomac.
      Je me souviens d'un coin dans un cimetière où il y a vait 3 malchanceux indiens, recrutés.. pas forcément volontairement par l'Angleterre.
      Je me suis dit que c'était tellement triste d'être venus carrément d'un autre continent pour être massacrés pour une raison qui n'avait absolument rien à voir avec eux , dans un pays dont ils ne connaissaient probablement pas l'existence avant d'y venir, face à d'autres pays dont ils ne connaissaient pas l'existence non plus, à cause de gens dont ils n'avaient pas entendu parler :(

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    2. Oh de meme....ma famille vient de malte/espagne/algerie et allemagne...donc pas vraiment de poilus et autres......
      Mais je me souviens de mes balades dans la foret pour trouver des girolles et tomber sur une tombre avec le fusil sortant....vraiment une drole d'impression...
      En tout cas d'accord avec toi....il y a aussi des australiens....bref une drole et horrible guerre

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