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dimanche 26 mai 2024

L'âme de Hegel et les vaches du Wisconsin - Alessandro Baricco

 Que voilà un étrange titre, trouvé  bizarrement au rayon " musique" de la médiathèque, et pour cause, il s'agit d'un essai sur la musique et plus particulièrement sur la place au XXI° siècle de la "musique savante", muséifiée par les tenants du bon goût qui l'érigent en rempart contre la médiocrité.
Oui mais, y - a-t-il vraiment un bon goût? Et à partir du moment où on trace des frontières à défendre, on bloque l'évolution naturelle des choses.


Donc, avec une telle thématique, j'étais obligée d'emprunter cet opuscule, d'autant qu'en mai, c'est le mois italien et que ça fait super longtemps que je n'y ai pas particulier. J'avais déjà lu " Soie", du même auteur, et je l'avais franchement trouvé très moyen pour ne pas dire carrément ennuyeux, au point de me demander pourquoi ça a été un tel succès. Je n'en ai pas gardé grand chose, et en relisant ma chronique, je confirme, ça ne m'évoque plus rien, si ce n'est l'ennui. Donc c'est aussi l'occasion de donner une seconde chance à l'auteur.
Et c'est déjà mieux, même si le langage philosophique est parfois étrange dans ce domaine, surtout lorsqu'il s'agit de battre en brèche l'idée d'un bon goût et d'une supériorité intellectuelle de la musique classique, de ceux qui l'écoutent et, en particulier, clament haut et fort n'écouter que ça ( pour info je suis en train de rédiger tout ça avec Bruce Springsteen dans les oreilles)

J'avoue qu'en tant que mélomane qui écoute de tout, ça me saoule toujours de voir des gens séparer la musique en caissons étanches. Et bien qu'ayant été biberonnée à la musique classique et au jazz, j'écoute écouter peu de classique, pour une bonne raison: j'ai toujours du mal à l'écouter sur disque, je préfère aller l'écouter en salle ... comme tout type de musique d'ailleurs. Mais avec la différence que j'en joue aussi, et donc, ma pratique fait qu'en dehors, j'ai envie d'écouter... ce que je ne joue pas ( oui, c'est d'une imparable logique: je ne joue pas de rock à la guitare, donc je suis très contente d'écouter Bruce faire ce qu'il sait faire et très bien. Si j'exerçais mes doigts sur ses une guitare, et que j'apprenne à jouer ses titres, j'aurais... envie d'écouter autre chose. Voilà, j'aime écouter.. ce que je ne sais pas faire, ou que je n'essaye pas d'apprendre à faire.
Dans l'absolu, c'était le cas de ma mère aussi, et le mien: ayant pratiqué la danse pendant des années dans l'enfance, et après avoir arrêté en devenant adulte ( à l'époque, il n'y avait pas d'autre possibilité que soit devenir professionnelle, soit arrêter), elle n'avait pas spécialement envie d'aller voir des ballets qui lui rappelait que c'est ce qu'elle aurait voulu faire, sans en avoir eu à l'époque les moyens financiers. J'ai fait de la danse moderne et je n'en regarde que très rarement. J'ai longtemps chanté en chorale et je vais très rarement écouter des choeurs en concert. Je pense que c'est lié au fait que ce qui a de l'attrait, c'est ce qu'on ne fait pas. Quand on connait l'envers du décor, c'est ... moins une priorité.

Donc revenons à Alessandro, à Hegel et aux vaches.
C'est un tout petit livre en 4 parties: l'idée de musique cultivée, l'interprétation, la nouvelle musique et le spectaculaire.
Mais alors pourquoi Hegel et les vaches?
Parce que Baricco met en parallèle les réflexions de Hegel sur la musique dans les années 1820, et un mémoire contemporain de l'université du Wisconsin, étudiant les effets de la musique symphonique sur la production laitière des vaches locales...
Selon Hegel, "la musique doit soulever l'âme au-dessus du sentiment dans lequel elle est plongée". À l'inverse, les chercheurs de l'Université du Wisconsin ont découvert que la production de lait augmentait de 7,5 % chez les vaches qui écoutent de la musique symphonique !

On ne va pas ici débattre de la véracité de cette affirmation ou de la crédibilité du pourcentage, qui peut être vrai ou faux, selon qu'un protocole scientifique a été respecté ou pas.
Mais ça me rappelle les expériences sur les effets de la musique, tel le " pansement Schubert", dont je parlais un peu ici. Je reviendrai prochainement sur le rapport entre musique, santé mentale et neurologie, j'ai encore un livre en attente sur ces sujets.
Mais effectivement il est rare de voir des études tente la même chose avec d'autres types de musique ( ici, un petit article sur le metal... anti-stress)

La première partie m'a aussi fait penser à un petit passage d'une conférence d'André Manoukian sur le jazz, où il mettait en en rapport le jazz et sa liberté ( son dada personnel, puisqu'il est pianiste de jazz) et le concept de " Conservatoire". Je n'avais en effet pas réfléchi au pourquoi du comment de cette appellation bizarre pour une école de musique. Un lieu où on met la musique en conserve? Et bien.. oui, tout à fait!
C'est la faute à Mendelssohn!
A son époque, la musique des siècles passées étaient considérée comme inintéressante, vieille poussiéreuse. Felix a trouvé des partitions de Bach, a trouvé ça cool, et et décidé qu'il serait intéressant de la remettre en avant, initiant sans le vouloir le mouvement de sclérose qu'évoque indirectement Baricco. Alors oui, c'est intéressant d'avoir un approche diachronique, mais ça devient un problème à partir du moment où
- ce qui est ancien devient valorisé du seul fait de son ancienneté ( et il doit y avoir pas mal de bouses oubliées dans la musique ancienne aussi - de fait, il y en a, je tairais simplement les noms de ceux que j'aime pas, na!)
- ce qui est ancien devient valorisé au point que les évolutions ultérieures ne sont même pas prises en compte. Ce n'est que vraiment récemment que le conservatoire de ma ville a ouvert un pôle "musiques actuelles", appellation très vague et qui ne donne aucune notion de ce qui s'y fait? Jazz? Pop?Rock? Colégram? .
Ce que pointe Manoukian ici, c'est aussi la transformation de l'enseignement, qui a totalement perdu la dimension d'improvisation, qui était pourtant une des forces de quelqu'un comme Bach par exemple, pour se concentrer sur le suivi à la lettre, à la note près d'une partition.
Au point que le musicien capable d'improviser sans partition est devenu dans l'idée de beaucoup "l'illettré musical", celui qui ne sait pas lire une partition (insérer ici l'éternelle blague sur les batteurs: comment faire cesser un batteur de jouer? donnez lui une partition. Il va sans dire que je kiffe les batteurs qui savent improviser)

Dans mon cas, c'est l'inverse, ayant appris sur partition, je peux difficilement m'en passer parce que je n'ai pas les techniques d'impro... qui sont naturelles aux musiciens de blues et de jazz, lesquels ne se prennent pas du tout la tête avec les partitions, y compris ceux qui savent les lire. J'envie beaucoup cette liberté qui est ce vers quoi j'essaye dans ma pratique, de tendre de plus en plus. En particulier en apprenant le piano, je cherche à ne pas me contenter de suivre exactement une partition, mais aussi à comprendre la structure harmonique, et à travailler avec des grilles d'accords, ce qui rend souvent bien plus visible la structure en question. Comme ça, au minimum, la partie accompagnement sera libre, OSEF si ce n'est pas exactement la manière dont untel joue tel morceau.

Pour l'interprétation ( 2e partie), inévitablement sanctionnée dès qu'elle ne correspond pas 100% à la partition - ou à l'idée que s'en fait l'auditeur- je vous propose Fazil Say avec son interprétation très libre et personnelle du Clair de lune de Debussy. Il y a en commentaire les inévitables " c'est pas comme ça qu'on DOIT jouer Debussy" ( Et qu'esse t'en  sais? T'as demandé à Claude ce qu'il en pense?) et... je kiffe cette version parce qu'il y met sa sensibilité personnelle et que ça me parle plus qu'une énième version, passez-moi l'expression, "balai dans le Q"

(Ha, le disque de Bruce est fini, je passe à Pink Floyd!)

La 3° partie aborde le paradoxe de la musique contemporaine, qui en tant qu'avant garde, aurait dû être le parangon de la modernité, mais qui, à trop vouloir renouveler la forme, aller vers des calculs mathématiques et une logique compréhensibles de l'auteur seul, s'est totalement coupée du public. Et cette obsession de la forme " surprenante" (mais qui a force de surprises permanentes, perd l'effet de surprise, qui ne se comprend qu'en lien avec une cohérence interne reconnaissable) est devenu ce qui a enfermé la musique contemporaine dans sa tour d'ivoire, en marge de la modernité. Elle n'a plus évolué qu'en vase clos, et donc... sans lien avec monde qui a continué de tourner sans elle.
Ce que j'ai souvent résumé en "Messiaen, c'est intéressant à analyser, mais c'est chiant à écouter"
Et la 4° et dernière partie évoque le spectaculaire en musique " savante", via Puccini pour ses opéras et Mahler pour ses symphonies. L'auteur y voit des précurseurs du langage cinématographique ( et en veut pour preuve leur emploi régulier en musique d'ambiance de films).
Je le laisse seul responsable de ses affirmations, d'autant que je connais assez peu Puccini ( et le peu que j'ai écouté n'est pas ma tasse de thé) et Malher ( pour moi c'est surtout le gars qui a mis en III partie de sa première symphonie le thème de "Frère Jacques", en mode mineur, ce que je considère plutôt drôle que spectaculaire)

Oui, je m'éloigne du contenu du livre, mais c'est d'ailleurs l'objectif de l'auteur en avant-propos, semer des pistes de réflexion plutôt que de poser des questions et d'y répondre. Et ce d'autant que l'auteur se concentre principalement sur la musique " savante", ce qui laisse supposer que le reste est une musique "bête" ou du moins " simple". Donc je vais élargir avec quelques réflexions en vrac, hop, sur le rock et la pop.

Ce printemps, un sacré lièvre a été soulevé, lié à l'idée de respecter les morceaux à la lettre, et à celle de spectacle, mais dans le domaine du rock. Un groupe de rock très célèbre, et qui fait maintenant payer ses places de concert facilement dans les 1000 livres sterling, a été pris en flag' de lipsync.
J'ai parlé l'an dernier de Wings of Pegasus ( Fil Henley) et de ses analyses. Fil a analysé plusieurs prestations des Eagles et prouvé par A+ B que le groupe fait depuis plusieurs années semblant de chanter sur des enregistrements audio. Quand une "prestation" est sonorement la même qu'un autre faite 1 an auparavant, à la nanoseconde près, il n'y a pas d'autre explication possible: c'est parce que c'est exactement la même bande qui est diffusée. Ce qui explique aussi pourquoi le groupe était aussi féroce depuis longtemps, à faire la chasse à tout risque d' enregistrement pirate. Moins pour les royalties que pour éviter de voir la fraude révélée.
Là, deux camps s'opposent, chez les auditeurs:  ceux qui sont dans le déni et cherchent à réfuter les preuves, ou à minimiser la triche en argumentant " on va voir un concert de rock, on veut que ça sonne exactement comme sur le disque, qu'importe si c'est du mime. Ils nous ont donné ce qu'on attend, donc c'est ok, y'a pas de triche".
Et l'autre, qui l'a très mauvaise d'avoir payé une somme exorbitante pour voir des gens faire du mime, argumentant que "nous on veut voir du live, c'est l'expérience qui nous plaît, on ne veut pas payer pour écouter un disque qu'on peut écouter chez nous,  ils ont menti, qu'ils nous remboursent".
Je vous le dis de suite, je serais carrément dans le second camp, celui qui se rallie à la bannière " real music by real musicians" (oui, j'ai encore trouvé le moyen de vous le caser quelque part, ça va devenir un running gag, mais c'est exactement pour ça que j'ai totalement adhéré à sa démarche)

Je me dis que cette dérive vient aussi de ce côté pervers de la muséification, y compris dans le rock: beaucoup de gens veulent entendre en concert exactement ce qu'ils ont sur le disque, et vont râler si le chanteur dit " aujourd'hui je suis un peu malade, donc on prend tel morceau un ton et demi plus bas". Au contraire, j'applaudis à la faculté d'adaptation de ceux qui peuvent le faire, et changer tel ou tel morceau en fonction de leur forme, de l'acoustique de la salle, ou du remplissage de celle-ci.
J'adore quand je suis surprise par une version un peu différente sur scène, ce qui était l'une des grandes compétence du real musician ci-dessus mentionné.
Prendre en compte les attentes du public, c'est bien, mais quand ça en vient au point de " on va leur donner ce qu'ils veulent, on va faire semblant de chanter, et qu'à la fin, il y a concert de louanges pour le chanteur qui, à 75 ans, " chante encore aussi bien que quand il en avait 30", ce qui était déjà un bon indice de truc suspect, la ligne est franchie.

Donc quand Baricco a écrit son ouvrage en 1999, il s'est surtout concentré sur ce qui a précédé et ce qui lui parlait. 25 ans plus tard, le constat de muséification est amer. La "real music" s'éloigne de plus en plus, quel que soit son genre.
Les amateurs de musique classique s'écharpent sur quel est le meilleur orchestre, le meilleur enregistrement, le meilleur chef.. (évidemment toujours des enregistrement datant d'avant les années 70, depuis " c'est tout moisi"), et ça fait pitié.
Les amateurs de rock trouvent pour certains normal de se faire arnaquer, juste pour avoir exactement la même chose qu'"avant", et ça fait pitié.
Les fans de Taylor Swift (chanteuse dont je me fous totalement, je la laisse à ceux qui l'apprécient, c'est leur droit le plus strict) la statufient de son vivant, y'a jamais eu mieux, y'aura jamais mieux, y'a qu'elle pour faire une chanson de 10 minutes (ahahaha! ELP? Tool?) et, inversement, leur manque de culture musicale générale, fait pitié.

Et au milieu, moi, qui veut écouter des trucs anciens, en découvrir de nouveaux, mais n'arrive le plus souvent pas à connecter avec la musique récente, parce qu'il n'y a même plus d'instruments ou si peu.Il y a encore de très bonnes choses, mais elles ne sont plus diffusées sur les canaux les plus faciles d'accès. Coup de coeur récent pour le duo franco-ivoirien Tchologo. Vous en aviez entendu parler? Moi non plus je les ai découvert en concert, localement.

Autre point intéressant, Baricco parle abondamment de la dimension commerciale de la musique, ce qui était déjà le cas par le passé, quand quelqu'un comme Haydn - d'origine modeste- écrivait des morceaux de commande pour des gens de la haute société, pour lesquels la musique était un produit de luxe , destiné à montrer leur goût et leur standing. On n'en est plus là: produit de consomation , oui, mais le goût s'est fait la valise. Et on en a pas fini, avec l'approche des 90 ans de la naissance d'Elvis Presley, on voit apparaître des tas de goodies de mauvais goût, type "crocs avec photo d'Elvis", la musique est devenue secondaire, un produit dérivé de l'image de la star. Beaucoup de gens portent des tee-shirts à l'effigie de groupes qu'ils ne connaissent pas, juste comme objet de mode ( et peuvent se trouver dans l'embarras lorsqu'ils se voient expliquer que le tee-shirt au logo sympa est en fait un groupe suprémaciste à l'idéologie trèèèèès douteuse)

J'ai donc réussi dans un seul sujet à caser en vrac Bruce Sprinsteen, Schubert, Pink Floyd, Medelssohn, André Manoukian, le jazz, Pop & Rock & Colégram, Puccini, Malher, Frère Jacques, Fil Henley, The Eagles, Qui-vous-savez, Taylor Swift, ELP, Tool, Tchologo, Haydn, Elvis Presley...

1 commentaire:

  1. quel titre étrange en effet! Je ne connaissais pas du tout, merci pour la découverte!

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