Voilà une pièce très, très connue en Russie, qui a eu de nombreuses traductions en français, au point d'avoir plusieurs titres possibles: Le Malheur d'avoir de l'esprit, Du malheur d'avoir de l'esprit, le malheur d'avoir trop d'esprit, Quel malheur que l'intelligence! Malheur à l'homme d'esprit!... La traduction est un art:D)
« Горе от ума », techniquement " le malheur vient de l'esprit. Je vais donc prendre le titre le plus classique.Notons que j'ai lu la seule disponible à la bibliothèque municipale et qui datait un peu. Je vois qu'il y en a une de Markowicz, je n'ai pas tari d'éloges sur son adaptation de Pouchkine, donc, à retenter à l'occasion,je manquais vraiment de temps pour la commander et attendre son arrivée avant les partiels de janvier)
Quand je dis que la pièce est très connue dans son pays d'origine, c'est vraiment très connue: certaines répliques sont passées dans la langue courante, surnommées les " mots ailés": des répliques ciselées, des vacheries à l'emporte pièce que les gens peuvent citer dans une discussion quotidienne ( un peu comme les français avec des extraits des fables de La Fontaine, quand on dit " la raison du plus fort est toujours la meilleure" ou" Adieu, veau, vache, cochon, couvée.." ou plus récemment des citations de Kaamelott, qui est la seule oeuvre contemporaine francophone à avoir atteint un tel statut, et, bien que série télévisée, tient d'avantage du théâtre que de tout autre chose). Donc, voilà une pièce culte.
Et bien qu'elle ai été traduite plusieurs fois, elle est quasiment inconnue ici, car très rarement représentée. D'autant qu'elle a beaucoup de points communs avec notre célèbre Misanthrope, donc à choisir, c'est toujours Molière qui sera représenté. en tout cas, la dernière trace que je trouve d'une série de représentations en France remonte à mars 2007, à Paris comme toujours...
Celui qui ne respecte pas les convenances sociales est vite mouton noir tout désigné |
Son intention est de demander la main de Sophia, la fille de M. Famoussov, qu'il connait depuis toujours, et avec qui il pratiquait joutes verbales et remarques acerbes. Sauf qu'en trois ans, Sophia a changé, elle en a marre des railleries parfois méchantes de Tchatskii et préfère les minauderies de Moltchaline (son nom veut dire le silencieux par extension, celui qui fait les choses en douce) son soupirant du moment.
Et tout se déroule sous les yeux de Lisa, servante de la famille, une vraie soubrette futée de comédie, et de Tchatskii, qui, tous les deux ont vite vu clair dans le jeu de Moltchaline: séduire Sophia, fille unique, car son père est immensément riche, et l'épouser pour encaisser dans le futur l'héritage colossal qui l'attend. Mais évidemment, Sophia ne veut pas les croire et met les mises en garde sur le compte de la raillerie gratuite et de la médisance: Tchatskii juge Moltchaline après 10 minutes de conversation.
Sauf que Tchatskii est pénétrant et a évidemment raison. Et ne supporte plus les hypocrites, qu'il va au cours de la journée voir défiler chez Famoussov à l'occasion d'une fête. Sauf que personne ne veut écouter quelqu'un qui critique ouvertement la société les petits arrangements mesquins, et évidemment, comme il tire à vue sur tous, il ne trouve pas de soutient.
Donc on retrouve une version russe, plus jeune et plus politisée, d'Alceste. Mais Sophia n'est pas Célimène, ce n'est pas une coquette qui veut être courtisée, elle croit que Moltchaline s'intéresse réellement à elle pour ce qu'elle est, non pour ce qu'elle a. Donc pour elle le calcul est vite fait: entre celui qui est poli, et socialement présentable, même s'il est un peu ennuyeux, et le type intelligent, mais qui ne sait pas parler sans se moquer et va vite se mettre à dos la ville entière, c'est vite vu!
Et donc, même une fois que les manigances de Moltchaline apparaissent clairement, Tchatskii n'est pas non plus le bienvenu pour autant, puisque Sophia ne veut pas risquer sa place sociale .Quelque part Sophia est plus raisonnable que Célimène, même du haut de ses 18 ans. En tout cas son choix est mesuré, non pas dictée par l'orgueil d'être admirée, peu importe par qui, mais par son propre intérêt. Elle ne remplace pas un soupirant par un autre parce qu'il n'y a plus que lui, ne manipule pas Tchatskii pour s'en amuser...elle sait qu'ils ne pourraient pas s'entendre bien longtemps et que ça se terminerait très vite par une rupture.
Et Tchatskii est, lui, moins raisonnable qu'Alceste: Alceste est coléreux et pointe les travers de la société, mais il n'est pas gratuitement railleur, c'est, de mémoire, un des défauts qu'il reproche aux autres justement.
Tchatskii est intelligent pour être sarcastique, mais le fait sans états d'âme et sans se préoccuper du tort qu'il pourrait faire. Les deux pièces se ressemblent, mais ne sont pas une copie.
Mais comme, j'adore le Misanthrope, j'ai aussi beaucoup aimé ce démontage en règle de la haute société et de son hypocrisie. Et Tchatskii est la première apparition notable du personnage d'Homme de Trop en littérature russe, souvent trop vite considéré comme l'équivalent russe du héros romantique et torturé.Il est intéressant de noter que, comme Eugène Onéguine, autre grand représentant de ce type littéraire, il apparait dans une oeuvre ouvertement drôle.
En tout cas, ce n'est pas la littérature russe qu'on connait, sombre et torturée, c'est une comédie et c'est très drôle.
En voilà une version E-book, gratuite, mais vieille traduction et une looooongue présentation (l'orthographe des noms peut varier selon les traductions)
Et pour voir la pièce en voilà une version en VO, désolée, pas de sous-titres et... mais c'est une idée :)
mars: théâtre |
Mort avant 35 et dans des circonstances particulières, combo!: Mort à 34 ans, assassiné dans l'ambassade où il travaillait, lors d'une tentative de coup d'état. |
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