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samedi 4 juin 2016

War Poets, Poètes anglais de la Première Guerre Mondiale

Dans la foulée de mes quelques jours de vacances vers Arras, j'ai donc visité la carrière Wellington, liée à l'histoire britannique  et plus largement, à celle du Commonwealth, puisqu'elle a été aménagée par des tunneliers néo-zélandais  en grande majorité, pour préparer une offensive surprise, connue depuis comme "la bataille d'Arras" pour déboucher juste en face des lignes de front en Artois et prendre de court l'armée allemande.

L'idée était de faire diversion sur cette ligne de front pendant que l'armée Française attaquerait plus au sud au niveau du chemin des dames. Dire que le résultat n'a pas été à la hauteur des espérance des commandements français et britanniques est un doux euphémisme, les deux offensives ayant pour but avoué de terminer la guerre en 48 heures ( on est en avril 1917...  150 000 morts côté commonwealth, 100 000 côté allemand pour la seule bataille d'Arras, un quart de million de victimes pour.. rien ou presque!)
Machine gun corps à la bataille d'Arras.

Donc oui, je prends un an d''avance sur le calendrier des commémorations pour en parler ( on a parlé récemment des 100 ans de la bataille de Verdun et entre juillet et novembre prochain ce sera la commémoration de la bataille de la Somme, mais voilà, le mois anglais c'est en ce moment et l'an prochain, ça serait moins frais dans ma tête). Et je tenais absolument à intégrer ce sujet dans le mois anglais.

Donc, la carrière Wellington se visite, c'est passionnant; tragique, mais passionnant. La visite est illustrée entre autres de lettres et poèmes de soldats du commonwealth,des enregistrement de lectures à voix hautes et traduits en Français.
A la sortie, j'ai demandé au guide s'il existait un recueil de ces textes, même ( et surtout) en VO, un peu comme les Paroles de Poilus qui ont été publiées en France. Le monsieur ne le savait pas, en tout cas, évidemment, la plupart n'ont pas été édités de ce côté de la Manche.
J'ai donc relevé quelques noms d'auteurs anglais - et brittaniques en général -  mentionnés au cours de la visite, et merci le net, j'ai donc pu trouver pas mal de textes très intéressants.

Evidemment, les noms sont moins connus des francophones que ceux de Guillaume Apollinaire, Blaise Cendrars, Roland Dorgelès, Henri Barbusse, Maurice Genevoix ou Pierre Loti ( mentionnons aussi Stefan Zweig; Erich Maria Remarque ou Ernst Jünger pour le côté germanophone. Il faudra que je fasse un sujet pour la guerre vue " de l'autre côté" tiens. Juste histoire de constater que, en effet, à l'est, à l'ouest ou ailleurs, rien de nouveau)

Mais étonnamment, si les français se sont surtout exprimés en prose, c'est plutôt en poésie que les britanniques ont évoqués le quotidien des tranchées. Au point d'être rassemblés sous le nom générique de " war poets".
On trouve dans leurs écrits d'abord des textes patriotiques , lyriques, exaltant la nation.. qui ont vite évolué vers des choses plus sombres et quotidiennes face à la réalité de la guerre de tranchées et des obus.

Rupert Brooke ( + Skyros 1915). L'auteur idéaliste, déjà célèbre avant guerre pour plusieurs raisons: études brillantes, poésie lyrique dans le goût de son époque et aussi physique avantageux.

En effet, il aurait été vraiment pas mal avec un sourire en plus...
The soldier

If I should die, think only this of me:
That there’s some corner of a foreign field
That is for ever England.  There shall be
In that rich earth a richer dust concealed;
A dust whom England bore, shaped, made aware,
Gave, once, her flowers to love, her ways to roam,
A body of England’s, breathing English air,
Washed by the rivers, blest by suns of home.

And think, this heart, all evil shed away,
A pulse in the eternal mind, no less
Gives somewhere back the thoughts by England given;
Her sights and sounds; dreams happy as her day;
And laughter, learnt of friends; and gentleness,
 In hearts at peace, under an English heaven.

Mais le patriotisme lyrique va vite laisser la place à un réalisme bien plus direct, chez d'autres auteurs.

Robert Graves, plus chanceux n'a pas succombé directement à la guerre ou à ses séquelles ( +1985), et a pu se consacrer à sa passion pour la mythologie, mais évoquait en 1916 les rêves des soldats dans leurs tranchées: retourner au pays et cultiver un petit jardin, partir pour le Canada ou aller visiter les îles exotiques

Over the Brazier

What life to lead and where to go
After the War, after the War?
We’d often talked this way before.
But I still see the brazier glow
That April night, still feel the smoke
And stifling pungency of burning coke.


I’d thought: ‘A cottage in the hills,
North Wales, a cottage full of books,
Pictures and brass and cosy nooks
And comfortable broad window-sills,
Flowers in the garden, walls all white.
I’d live there peacefully and dream and write.’


But Willie said: ‘No, Home’s no good:
Old England’s quite a hopeless place,
I’ve lost all feeling for my race:
But France has given my heart and blood
Enough to last me all my life,
I’m off to Canada with my wee wife.


‘Come with us, Mac, old thing,’ but Mac
Drawled: ‘No, a Coral Isle for me,
A warm green jewel in the South Sea.
There’s merit in a lumber shack,
And labour is a grand thing…but—
Give me my hot beach and my cocoanut.’


So then we built and stocked for Willie
His log-hut, and for Mac a calm
Rock-a-bye cradle on a palm—
Idyllic dwellings—but this silly
Mad War has now wrecked both, and what
Better hopes has my little cottage got?


Mais ça n'est pas encore percutant, peut-on faire plus direct, moins fleuri, et plus désabusé, en restant dans la poésie?

Oui.

L'écossais Charles H. Sorley (+Loos 1915) ne se faisait aucune illusion. Il n'y a ni vainqueur, ni vaincu, ni ami ni ennemi, juste des morts.

Such, such is Death: no triumph: no defeat:
Only an empty pail, a slate rubbed clean,
A merciful putting away of what has been.

And this we know: Death is not Life, effete,
Life crushed, the broken pail. We who have seen
So marvellous things know well the end not yet.

Victor and vanquished are a-one in death:
Coward and brave: friend, foe. Ghosts do not say,
"Come, what was your record when you drew breath?"
But a big blot has hid each yesterday
So poor, so manifestly incomplete.
And your bright Promise, withered long and sped,
Is touched, stirs, rises, opens and grows sweet
And blossoms and is you, when you are dead.


Et pour les survivants, les cauchemars peuplés de fantômes défigurés.

When you see millions of the mouthless dead
Across your dreams in pale battalions go,
Say not soft things as other men have said,
That you'll remember. For you need not so.
Give them not praise. For, deaf, how should they know
It is not curses heaped on each gashed head?
Nor tears. Their blind eyes see not your tears flow.
Nor honour. It is easy to be dead.
Say only this, "They are dead." Then add thereto,
"Yet many a better one has died before."
Then, scanning all the o'ercrowded mass, should you
Perceive one face that you loved heretofore,
It is a spook. None wears the face you knew.
Great death has made all his for evermore
.

D'autres textes de Sorley ici

Siegfried Sassoon (+1967, lui aussi a eu la chance de survivre contrairement à son frère et plusieurs de ses amis écrivains commes lui). Lui a exorcisé l'horreur via le réalisme et l'humour noir

How To die?

Dark clouds are smouldering into red
While down the craters morning burns.
The dying soldier shifts his head
To watch the glory that returns;
He lifts his fingers toward the skies
Where holy brightness breaks in flame;
Radiance reflected in his eyes,
And on his lips a whispered name.


You’d think, to hear some people talk,
That lads go West with sobs and curses,
And sullen faces white as chalk,
Hankering for wreaths and tombs and hearses.
But they’ve been taught the way to do it
Like Christian soldiers; not with haste
And shuddering groans; but passing through it
With due regard for decent taste.


Counter-attack n'épargne pas les détails macabres et l'absurdité de la guerre:

We’d gained our first objective hours before
While dawn broke like a face with blinking eyes,
Pallid, unshaven and thirsty, blind with smoke.
Things seemed all right at first. We held their line,
With bombers posted, Lewis guns well placed,
And clink of shovels deepening the shallow trench.
 The place was rotten with dead; green clumsy legs
High-booted, sprawled and grovelled along the saps
And trunks, face downward, in the sucking mud,
Wallowed like trodden sand-bags loosely filled;
And naked sodden buttocks, mats of hair,
Bulged, clotted heads slept in the plastering slime.
And then the rain began,—the jolly old rain!
A yawning soldier knelt against the bank,
Staring across the morning blear with fog;
He wondered when the Allemands would get busy;
And then, of course, they started with five-nines
 Traversing, sure as fate, and never a dud.
 Mute in the clamour of shells he watched them burst
Spouting dark earth and wire with gusts from hell,
While posturing giants dissolved in drifts of smoke.
He crouched and flinched, dizzy with galloping fear,
Sick for escape,—loathing the strangled horror
And butchered, frantic gestures of the dead.
An officer came blundering down the trench:
“Stand-to and man the fire step!” On he went ...
Gasping and bawling, “Fire-step ... counter-attack!”
Then the haze lifted. Bombing on the right
Down the old sap: machine-guns on the left;
And stumbling figures looming out in front.
 “O Christ, they’re coming at us!” Bullets spat,
And he remembered his rifle ... rapid fire ...
And started blazing wildly ... then a bang
Crumpled and spun him sideways, knocked him out
To grunt and wriggle: none heeded him; he choked
And fought the flapping veils of smothering gloom,
Lost in a blurred confusion of yells and groans ...
Down, and down, and down, he sank and drowned,
Bleeding to death. The counter-attack had failed.

Wilfred Owen (+Ors 1918) est le plus renommé de tous et dans la même veine d'inspiration que Sassoon. Mort à une semaine de l'armistice, l'ironie est cruelle.
Ce n'est pas le portrait le plus connu, mais OMG! Un soldat qui sourit - ou tente de sourire vu la situation -oui je préfère garder cette image là.

Anthem for doomed Youth

What passing bells for those who die as cattle?
 Only the monstrous anger of the guns,  
Only the stuttering rifles' rapid rattle  
Can patter out their hasty orisons,
No mockeries for them from prayers and bells,  
Nor any voice of mourning save the choirs,–  
The shrill, demented choirs of wailing shells;  
And bugles calling for them from sad shires.

What candles may be held to speed them all?  
Not in the hands of boys, but in their eyes  
Shall shine the holy glimmers of good-byes,  
The pallor of girls' brows shall be their pall;  
Their flowers the tenderness of silent minds,
And each slow dusk a drawing-down of blinds.

Dulce Et Decorum Est  

Bent double, like old beggars under sacks,
Knock-kneed, coughing like hags, 
we cursed through sludge,  
Till on the haunting flares we turned our backs  
And towards our distant rest began to trudge.
Men marched asleep. Many had lost their boots  
But limped on, blood-shod. All went lame; all blind;  
Drunk with fatigue; deaf even to the hoots  
Of tired, outstripped Five-Nines that dropped behind.

Gas! Gas! Quick, boys!–An ecstasy of fumbling,  
Fitting the clumsy helmets just in time;  
But someone still was yelling out and stumbling  
And flound'ring like a man in fire or lime...  
Dim, through the misty panes and thick green light,
As under a green sea, I saw him drowning.

In all my dreams, before my helpless sight,  
He plunges at me, guttering, choking, drowning.

If in some smothering dreams you too could pace  
Behind the wagon that we flung him in,  
And watch the white eyes writhing in his face,
His hanging face, like a devil's sick of sin;  
If you could hear, at every jolt, the blood
Come gargling from the froth-corrupted lungs,  
Obscene as cancer, bitter as the cud  
Of vile, incurable sores on innocent tongues, —  
My friend, you would not tell with such high zest  
To children ardent for some desperate glory,  
The old Lie: Dulce et decorum est Pro patria mori.

(Dulce et decorum est pro patria mori est un vers d'une Ode d'Horace: il est doux et honorable de mourir pour la patrie)

En marge des îles Britanniques, je me dois quand même de mentionner le canadien John McCrae (+ Wimereux 1918) auteur du célébrissime " in Flanders field" (étrangement traduit sous le titre " au champ d'honneur", rédigé  le 3 mai 1915 à la seconde bataille d'Ypres) qui évoque les coquelicots fleurissant entre les tombes, dans les champs des Flandres,et d'où a été tiré le coquelicot comme symbole des victimes de la guerre et des anciens combattants pour le Commonwealth, le symbole français étant le bleuet



In Flanders fields the poppies blow
Between the crosses, row on row,
That mark our place: and in the sky
The larks still bravely singing fly
Scarce heard amid the guns below.

We are the dead: Short days ago,
We lived, felt dawn, saw sunset glow,
Loved and were loved: and now we lie
In Flanders fields!

Take up our quarrel with the foe
To you, from failing hands, we throw
The torch: be yours to hold it high
If ye break faith with us who die,
We shall not sleep, though poppies grow
In Flanders fields



D'autres textes ici et d'autres auteurs par là  ( ce sont les principales sources que j'ai consultées).

J'aprécie la poésie quand elle a quelque chose à dire. Les poèmes d'amour, les blasons, le lyrisme me laissent froide.
Mais ceux-ci me parlent, surtout ceux de Sorley, Sassoon et Owen. Justement parce qu'ils vont au coeur du problème sans éluder la triste réalité: non il n'est pas doux et hornorable de mourir pour une cause absurde, la guerre ce n'est pas la gloire et les honneurs posthumes, c'est le sang, la peur et la mort.
L'expressivité de ces textes me parle ( comme l'expressionnisme allemand, d'ailleurs et les tableaux d'Otto Dix, par exemple, qui lui aussi retranscrivait la guerre sans l'enjoliver en peinture)

Déjà en CM2, le seul texte qui m'ait plu de toute l'année c'était "La Rose et le Réséda" d'Aragon . Face à l'expressiivté de celui-ci , tout le reste paraissait sans intérêt ( et mille merci à l'instit' de nous avoir proposé un texte aussi exigeant au lieu de continuer dans les choses gentillettes) . Comme quoi ce goût pour la poésie " à message politique" ne date pas d'hier.
J'ai étudié le fraçais à la fac, en option linguistique renforcée, je n'avais pas de mémoire à rendre, mais quand même un dossier à constituer pour un séminaire, et j'ai choisi un corpus de textes de Robert Desnos, tiens donc ( les textes n'étaient pas tous politiques, mais l'auteur est aussi mort à la guerre, la suivante).
Je pense sincèrement que si j'avais fait une maîtrise d'anglais en fac, c'est sur les War Poets que j'aurais arrêté mon choix pour un mémoire.

Peut-être aussi que ça me parle parce que ces textes donnent une réalité justement à quelque chose qui m'est totalement étranger: j'en parlais là déjà il y a deux ans: étant d'une région totalement épargnée par la Première Guerre mondiale, pour moi pendant des années, ça n'a pas eu d'autre réalité qu'une succession de dates de batailles, un nombre faramineux de victimes qui dans le fond ne sont que des noms sur une liste...
c'est tout à fait autre chose de se retrouver au milieu d'un cimetière militaire avec ses centaines de steèles toutes semblables, ou de visiter les lieux de combats. Là, on commence à avoir une idée plus précise. Et encore faute de temps je n'ai pas pu aller voir les lieux vraiment imposants ( Mémorial Canadien de Vimy ou Anneau de la mémoire de notre Dame de Lorette)

C'est aussi pourquoi j'ai tenu à intégrer les portrait de tous ces gens, justement pour pointer le fait qu'au delà des noms, hé bien, justement, c'était des gens. Avant tout. Et souvent tragiquement jeunes.


2 commentaires:

  1. Quel beau billet instructif et poignant! je ne connaissais aucun de ces poètes, merci de parler d'eux, Purple!

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    1. oui, ça m'a beaucoup marquée, et je pensais que justement, c'était un genre trop méconnu, je n'en ai vraiment entendu parler que par hasard ( parce que déjà la traduction de la poésie est un exercice risqué et puis parce que les témoignages de guerre , ce n'est pas forcément grand public je pense. La poésie " non sentimentale" en général non plus. Les éditeurs ne vont pas se risquer sur quelque chose qui intéressera peut être un millier de personnes tout au plus)
      et c'est bien dommage, car ces textes ont non seulement leur valeur de témoignage, mais aussi des qualités littéraires à noter.
      "The stuttering riffles rapid rattle" est une allitération très expressive je trouve.

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