Et le billet anglais du jour est. .. américain ( jusqu’à
il y a peu, j’étais d’ailleurs quasiment sure que Tracy Chevalier était
anglaise, mais non !), MAIS, comme les personnages sont anglais et l’action
anglaise, c’est bon.
Entre 1807 et 1825 à peu près, deux femmes vont faire
connaissance dans la petite ville balnéaire de Lyme Regis, devenir amies, se
brouiller et se réconcilier .
L’aînée, miss Elizabeth Philpot , la trentaine, vient d’emménager sur
la côte avec ses deux sœurs, Margaret la fêtarde, et Louise, la silencieuse.
Toutes trois ont dû quitter Londres, ville trop onéreuse pour trois femmes
célibataires. Car bien qu’issue de la bonne société ( le père était juriste),
la famille n’avait pas suffisamment d’argent pour assurer une dot, et donc un
mariage, aux quatre sœurs Philpot, et seule l’aînée a pu trouver un prétendant.
Dans une société qui ne considère la valeur d’une femme qu’à l’aune de sa
fortune en premier lieu, et si vraiment elle en manque, de sa beauté ou de sa
conformité à la norme attendue pour une
femme, les 3 cadettes sont bien mal parties : pas riches ( encore qu’avec
une pension de 150 livres à l’année, géré par leur frère, à se partager en 3, elle soient assez aisées
pour la province), pas franchement jolies et surtout, aux caractères trop peu « présentables »
en société : Louise est silencieuse et passionnée de botanique. Elizabeth
se fiche des conventions de son rang et
s’enthousiasme pour le ramassage de fossiles sur la plage ( une activité
considérée comme salissante, peu féminine et même sacrilège dans un pays qui
croit encore fermement que le monde a été créé en 6 jours, à une date extrêmement précise calculée par
une chanoine). Margaret, plus jolie, aurait pu trouver un mari provincial, sauf
que les prétendants fuient à toutes jambes lorsqu’ils rencontrent leurs
potentielles belle-sœurs si peu présentables en société.
La cadette, Mary Anning, est une fille d’ouvrier de Lyme, a 8 ans lorsqu’on la rencontre la première fois. Une autre passionnée de
fossiles, qu’elle part ramasser sur la plage avec son père artisan et son
frère. Mary est une forte tête, qui se fiche aussi des conventions, ce qui est
bien sûr aussi mal vu dans le milieu populaire que dans le milieu bourgeois. Et
bien sûr elle vont se rencontrer sympathiser et partir ensemble à la chasse aux
fossiles, ce qui va faire dégoiser la ville : Elizabeth « se commet »
avec des gens du peuple à la réputation douteuse, Mary ne devrait pas
fréquenter « les vielles filles bizarres ». Pour la famille de Mary,
les fossiles ne sont qu’une source
En fait, au travers du parcours de ces deux femmes, qui ont
réellement existé , d’ailleurs, Mary Anning a eu droit à son doodle ( ci dessus) en mai dernier,
de leur lutte pour se faire reconnaitre dans la société en tant que femmes ET
pionnières de la paléontologie ( les fossiles qu’elles trouvent sont achetés et
portent le nom, non pas des découvreuses, mais des riches collectionneurs qui
les ont achetés, ou portent la mention « don Philpot » afin d’éviter
de mentionner leur genre). Ce qui est encore plus difficile pour Mary la
prolétaire, qui doit lutter contre les préjugés dus à son sexe, mais aussi à sa
catégorie sociale.
Les « prodigieuses créatures » sont au final autant
les ammonites, bélemnites, ichtyosaures et plésiosaures qui sont trouvés sur la
plage que Mary et Elizabeth elles-mêmes
Un livre que j’ai trouvé plutôt agréable, rapide et facile à
lire, même si Mary m’a assez souvent tapé sur les nerfs : butée, mais
surtout elle est volontiers mesquine voire gratuitement méchante. Elle le
reconnait elle-même, lorsqu’elle oblige une de ses camarades à rester sur la
plage à la marée montante sachant qu’elle a peur, lorsqu’elle lance des pierre
à un chasseur de fossile rival, lorsque, aveuglée par un homme qui lui fait du
charme pour se faire offrir des fossiles, elle refuse de croire Elizabeth qui a
vu clair dans le jeu du monsieur , et lui dit des choses particulièrement
vexantes.
Elizabeth quant à elle ose, mais n’ose pas : elle ose s’opposer
et se mettre en colère contre un noble du coin qui fait des plus-values sur les
fossiles, ose aller seule dans la rue ( et à l’époque, sortir sans escorte, c’est
limite du dévergondage), mais n’ose pas s’opposer à Mary, car elle a un
complexe d’infériorité : Mary trouve de gros fossiles, quand Elizabeth se
concentre sur les poissons, qui attirent moins l’attention des collectionneurs
et de la presse. Elizabeth se minore elle-même, et n’exprime jamais clairement
ce qu’elle ressent, ni ce qui s’est réellement passé lorsqu’elle sauve la mise
à Mary à plusieurs reprises ( Mary est du genre plutôt passive, à attendre que
les choses se règlent d’elle-même, c’est bien sur Elizabeth qui prend le
taureau par les cornes, mais elle ne le dit jamais. Mary croit donc juste que
la chance lui sourit et que rester à
bouder dans son coin jusqu’à ce que les choses changent est la réponse adéquate…
Je ne sais pas quel était le caractère de la vraie Mary, mais celle du roman
est quand même assez souvent tête-à-claque.Et Elizabeth, bonne poire, quand
elles auraient du mettre les choses à plat et se serrer les coudes.
De même, le vrai Thomas Birch n'était peut être pas vraiment un mufle. De même Elizabeth Philpot n'était pas aussi inconnue du milieu de la géologie que ce qu'elle l'est dans le roman. J'apprécie d'ailleurs la postface ou Tracy chevalier cite ses sources et fait la part de ce qui est réel de ce qui est romancé.
Ceci dit, un livre qui parle de paléontologie, et de
changement dans la condition féminine, je ne peux qu’adhérer. Imaginer seulement
vivre à une époque où sortir seule fut-ce pour aller à la boulangerie du coin
est un acte audacieux, et se promener seule sur la plage, un acte téméraire
voire insensé, brrrr. Je suis bien contente d’être née à la fin du XX° siècle ! et la remise en question des dogmes religieux est passionnante.
lecture commune: Tracy Chevalier |
et comme je suis en ce moment à dans un coin où il y a pas mal de fossile ( lecture doublement thématique) j'en profite pour illustrer par la dalle aux ammonites (qui n'est pas au bord de la mer, mais doit assez ressembler au "cimetière d'ammonites" de Lyme.)
Elle est grande, et maintenant fortement inclinée, car ce qui était le fond de la mer au Jurassique s'est relevé avec la surrection des Alpes. Toutes les petites irrégularité son des ammonites de diverses sortes, il y en a vraiment beaucoup.
les pentacrines " lys de mer", de forme étoilée
des rostres de belemnites ( ici trouvés en ligne ), j'en ai quelques uns à la maison, de quelques cms de long seulement.
Et pour voir à quoi ça correspond sur la bête ( une sorte d'os de seiche en fait).. l'animal est en fait beaucoup plus gros que ce qu'il en reste.
Très chouette billet et c'est vraiment passionnant de voir tes photos de falaises pleines de fossiles ! Pfiou, Mary Anning et Elizabeth Philpot devaient galérer à l'époque pour les extraire ! Merci beaucoup.
RépondreSupprimerJ'avais beaucoup aimé ce livre ! Quelle chance de voir tous ces fossiles ! J'ai lu récemment une bio de darwin et je suis déçue de ne pas être devenue naturaliste !
RépondreSupprimer