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vendredi 2 septembre 2022

Ivan le Terrible ( film 1945)

Attention, monument du cinéma.. que je n'avais pas encore vu, et que j'aurais du analyser l'an dernier dans le cadre de ma première année de Master. J'ai profité des derniers jours avant le début du Master 2 pour lire les documents de l'an dernier. Et constater que donc, j'aurais dû l'année passée regarder le film et l'analyser, on a vu pire comme " devoir".


et.. et bien oui, il mérite sa réputation, et bien que long ( deux parties pour plus de 3h00), j'ai regretté que la 3ème n'ait pas été tournée. Les trilogies ça ne date pas de la guerre des étoiles!

Car au delà de son sujet de commande par le pouvoir soviétique - une réhabilitation de l'image d'Ivan IV dit le Terrible, en tant que souverain positif - c'est une reflexion extrêment intelligente sur le pouvoir et la manière dont il pervertit tout le monde: le tsar, ses proches, les nobles, les gens du peuble, les religieux.

Ivan, fraîchement couronné, et encore bien coiffé, va mener une ambitieuse politique réformatrice et ne plus se laisser marcher sur les pieds, pour mener son pays envers des lendemains qui chantent et...
on sent déjà que ça va partir en cacahuète assez vite.
(alors oui, l'acteur est un peu âgé -la quarantaine- pour camper le héros à 17 ans, mais ce qu'ont fait les maquilleurs par la suite est à la limite de la sorcellerie. J'ai eu du mal à croire que c'est le même qui tient le rôle du début à la fin)

Positif, oui, dans la première partie et c'est intelligent de montrer le personnage unaniment détesté de manière plus humaine, avec la nécessaire démonstration de pouvoir du nouveau souverain ( âgé de 17 ans, et manipulé toute sa vie par les nobles de hauts rangs , afin d'obtenir des avantages pour eux mêmes), afin de s'imposer. Ivan est couronné, sa première décision va être de mettre de l'ordre dans l'administration, dans les impôts,  dans le commerce aux frontières, face aux royaumes voisins... en s'appuyant sur la petite noblesse (pour raison idéologiques, remplacée par des gens du peuple dans le film).

Ceci est tout à fait vrai. On oublie assez souvent que celui qui a été surnommé "Le Terrible" était au début un souverain progressiste et dont les réformes ont rencontré beaucoup de resistance de la part de ceux qui auparavant de payaient pas d'impôts ( nobles et religieux), et ont soudain vu le vent tourner et une contribution pécuniaire leur être demandée. Il y a toujours des gens qui au nom d'une tradition qui leur est extrêment favorable, font tout pour éviter le moindre changement, quitte à fomenter moult attentats et assassinats.

oui, ça va très vite partir en cacahuète, tata Efrosinia et le cousin Vladimir ont l'air tout sauf ravis du couronnement de leur parent le plus proche.


Nota sur le surnom : traduit en français par Terrible ( au sens donc " qui fait peur") , le mot russe " Grozny" est plus vaste, et peut signifier le sévère, le menaçant, le puissant, "celui dont il faut se méfier" (c'est aussi le nom de la ville de Grozny en Tchétchénie..). Alors que terrible semble concerner plutôt son caractère personnel, le terme russe renvoie plutôt au politicien intraitable qu'il ne vaut mieux pas se mettre à dos.
Et nota bis, sur l'historicité. Un film ou un roman historique n'est pas toujours 100% fidèle à la réalité, on tord un peu l'histoire pour la faire rentrer dans un scénario de quelques heures.
Pour gagner du temps, voilà un extrait de mon cours qui explique les libertés prises par le scénario avec la chronique historique, ça me gagne le temps de résumer tout ça.

C'est ce qui est montré dans la première partie. autant dire que Staline a été entièrement satisfait du résultat de cette oeuvre de commande, qui montre que la fin justifie les moyens.

Par contre la seconde a été interdite, Staline a compris le danger qu'il y avait à laisser passer une oeuvre qui montre un souverain manipulé, et le fait que le pouvoir rend n'importe qui fou : Ivan entouré de complots et de traîtres, méfiant, paranoïaque.. mais paradoxalement manipulable par des gens habiles, isoléet à la recherche d'un soutien, d'un ami fiable, ne voit pas d'où viennent réellement les menaces.C'est à dire de très près. Il ne soupçonne pas, pendant très longtemps, sa tante Efrosinia, d'être le cerveau des tentatives de renversement. Efrosinia est si dévorée d'ambition politique, qu'elle ferait tout pour reverser son neveu, et mettre à la place son propre fils Vladimir, gentil benêt et fantoche idéal, à la tête de l'état, afin de pouvoir elle-même diriger le pays à sa guise.
Quitte à en passer par l'assassinat. Tata, qui tient beaucoup de la vieille sorcière, a un plan simple: puisque le seul appui d'Ivan, la seule personne en qui il a confiance est sa femme Anastasia, faisons en sorte d'envoyer Anastasia ad patrès. Mieux, faisons en sorte qu'Ivan l'empoisonne lui-même à son insu.

Et c'est précisément Vladimir, le plus inoffensif de tous, qui se retrouve in fine victime " collatérale" de cette course au pouvoir entre la tante et le neveu ( on parle ici de Vladimir le personnage du film, non du vrai cousin historique, mais il fallait pour la narration shakespearienne, montrer que la soif du pouvoir sacrifie tout le monde, y compris ceux qui n'en veulent pas). Tous sont, sans discernement, victimes d'un système politique, qui broie les individus. Pire les roturiers de la garde rapprochée d'Ivan sont aussi montrés comme des profiteurs. On devait montrer un tsar fort  mis au pouvoir par la volonté du peuple, on voit le même peuple manipuler le tsar en proie au doute pour obtenir sa part du gâteau.
Vous voyez le problème en URSS en 1945, le "camarade Staline" l'a vu aussi. Joseph, parano lui-même, se serait-il senti visé personnellement, lui qui s'était identifié au tsar réformateur de la première partie?
Autant dire que la censure n'a pas autorisé la diffusion de la seconde partie, et encore moins le tournage de la conclusion, qui aurait été suivant la progression, d'une noirceur absolue, chacun allant de plus en plus loin dans la traîtrise et la folie.

Graphiquement c'est splendide. Le réalisateur et son chef opérateur font ce que j'adore: l'image, le cadrage, la mise en scène, le montage, le découpage ont du sens. Le décor est employé à la manière théâtre pour enrichir le sens du jeu des acteurs et des dialogues:
le mysticisme complètement délirant d'Ivan, persuadé d'être investi d'une mission divine, n'est pas dit, il est montré par des icones toujours plus grandes, toujours plus écrasantes, aux personnages toujours plus monstrueux.
non, ce n'est pas une séquence de magie noire, mais un enterrement...
regardez le plafond...

là, c'est plus clair... honnêtement ce ne sont pas les motifs qu'on voit habituellement sur les peintures murales orthodoxe, plutôt sur les danses macabres européennes. La crosse du pope semble être la faux du squelette...
photo de tournage, vous voyez ce que je veux dire avec les décors et les personnages monstrueux. Ce soleil est flippant. Les motifs d'yeux, menaçants, sont partout ( l'oeil de Moscou!)

Ivan lui-même ressemble de plus en plus à un de ces prédicateurs demi-fous, dont le plus mémorable a été Raspoutine. L'acteur fait un travail incroyable, j'ai vraiment du mal à croire que c'est le même qui tient le rôle du tsar dans la séquence d'ouverture et pendant le film, chapeau aux maquilleurs aussi!

Oui c'est le même, la nécessité était qu'il ressemble le plus possible au portrait imaginaire d'Ivan peint par Vasnetsov

Donc tante Efrosinia qui tient de Baba Yaga et Ivan ressemble à Koschchei l'immortel.

La profondeur de champ, le décor, les effets d'ombre et de lumière, les rappports de taille visiblement faussés entre premier et second plans, tout est calculé pour dire quelque chose - notamment des complots qui se trament.
exemple type d'image à double sens: le tsar au premier plan, démesuré, a quitté le pouvoir mais va revenir à l'appel de la foule des roturiers, venus le chercher dans sa retraite. On peut le voir en sauveur, en "petit père du peuple" légitimé par la population humble (ce qu'à compris Joseph)
on peut aussi le voir comme une menace gigantestque, un type à l'égo démesuré, qui se prend pour un dieu et veut qu'on l'implore de revenir.

Jolie trouvaille aussi, le dallage en échiquier où se tient l'audience du roi de Pologne, entouré de sa cour, avec le traître, lequel fait valoir au roi que renverser le tsar et mettre à sa place quelqu'un qui serait l'allié de la Pologne, moi par hasard... - au delà de la simple action. 
j'ai eu du mal à saisir que c'était le roi de Pologne, avec sa fraise et sa tenue au summum de la mode Renaissance, j'ai pensé à un dignitaire espagnol ou des Pays-bas.
Mais le roi de Pologne, si élégant soit-il, est rongé de la même ambition que les autres, simplement c'est un mal qui prend encore la peine de se camoufler sous des atours de respectabilité.

voilà ce que je veux dire, les ombres ne sont pas cohérentes, ce n'est pas un hasard, ni le globe, ni le dignitaire n'ont d'ombre portée. Eisenstein est passé par le dessin et le théâtre il sait donc ce qu'il fait avec ce profil méphistophélique...

.. avec ce genre de plans.
le complot a échoué, le détenteur du pouvoir est hors champ, inatteignable, encore plus intangible que les peintures murales, l'égal de dieu le père ( des peuples)
Mais... il n'est aussi plus que l'ombre du jeune souverain du début. Il a conqui le pouvoir et vaincu ses proches, mais au prix de sa propre âme.

La parodie de coronnement finale fait écho à la première séquence d'ouverture, les plats en forme de cygnes noirs de l'avant dernière séquence - un banquet - font écho aux plats en forme de cygnes blancs de la seconde séquence - un banquet aussi. La fête est malgré les apparences, beaucoup plus sinistre.
Une autre chose qui m'a sauté aux yeux, parce que j'ai travaillé dans un musée de peinture religieuse, où il y avait beaucoup de tableaux représentant la cène: le banquet avant la fin est une cène. Ivan au milieu, en sombre Jésus, son cousin ivre finit affalé sur ses genoux dans la posture habituellement dévolue à Saint Jean (enfin, mi-saint Jean, mi-toutou docile pour le coup).. Et après la cène, c'est implicite, quelqu'un va mourir. Mais pas celui qu'on croit. Or, faire du sale type parano le "Jésus" de cette cène, c'est assez culotté, mais aussi c'est le présenter comme la victime de l'histoire pour qui ont peut ressentir de la compassion..

Vladimir le benêt est vraiment le personnage qu'on ne peut pas détester, celui qui ne ferait de mal à personne et dont le sort est parfaitement injuste.
ah, ce n'est aps une erreur, la séquence finale est en couleurs, on peut supposer qu'elle servait de poiunt de bascule avant le 3° film. Ou plus prosaïquement, que l'équipe avait enfin mis la main sur des pellicules couleur. Le budget du film était illimité, mais le maréiel manquait quand même pendant la guerre.

J'ai toujours eu l'impression sur ce genre de tableaux que Saint Jean était en fait rond comme une boule de billard.

Donc on est bien au delà de la seule critique du pouvoir contemporain qui a chiffonné le camarade Staline, on est vraiment dans la parabole du pouvoir en général dont la première victime est précisiément celui qui s'y enferme en l'exerçant. 

Mais que ça fait du bien de voir ça, une image construite, porteuse de sens, pas juste là pour faire joli, mais pour faire réfléchir. On est vraiment dans la continuité de l'expressionisme allemand, autant dire que j'adore.

Et une autre référence qui m'est venue en tête, mais que je trouvais trop tirée par les cheveux, concernant les trognes patibulaires jusqu'à la caricature, le découpage et le cadrage est aussi avancée ici: celle du dessin animé ( du temps où Disney faisait dans l'horreur). Efrosinia et la sorcière de Blanche neige ont pas mal de points communs. en tout cas les deux réalisateurs se connaissaient, Eisenstein était dessinateur et appréciait beaucoup le travail de son confère américain.
En fait, entre nous, ça me manque , ces films ou tout le monde n'était pas beau-standard, sexy et tout le tintouin. Où il y avait des vraies gueules de cinéma.

Et je n'ai pas encore parlé de la structure, proche de l'opéra, la séquence d'ouverture fait incontestablement penser à celle de l'opéra Boris Godounov, autre célèbre personnage pris dans les mailles du pouvoir, beau-frère du fils et successeur d'Ivan, et proche lui. La comparaison entre ces deux oeuvre qui ont le pouvoir, la folie et la même famille comme thèmes me parait légitime, et je pense que la similarité des séquences d'ouverture n'est pas un hasard. en tout cas, Prokofiev s'est chargé de la musique du film et l'a clairement conçue comme un opéra, avec séquences musicales intégrées à l'intrigue. tout y est menaçant, y compris la berceuse que chante Efrosinia à son fils  adulte, pour le convaincre qu'elle ne veut pas le sacrifier (il y est question d'un castor qui va être chassé, tué et dépecé pour faire un manteau pour le couronnement du futur tsar Vladimir.. lequel comprend plutôt, comme l'auditeur, qu'il est le castor allégorique qui va être sacrifié au pouvoir)

Donc oui, vraiment, il mérite son statut de pierre angulaire du cinéma mondial. Je vois pas mal de sites américains contemporains qui font un parallèle avec Game of thrones ( mais je pense qu'ils doivent faire le pari de le caser partout dès qu'il est question de lutte pour le pouvoir, en 1980, on nous aurait collé Dallas), evidemment pour dire que Game est plus amibitieux, plus esthétique, plus sexy, plus violent, plus réaliste. Et conclure que le film qui date donc de presque 70 ans est "le game of throne" soviétique , tout comme les rois maudits est " le game of throne à la française".
alors déjà, qu'on soit bien clair, one ne peut pas comparer des choux et des carottes, comparez avec un fill sur le même sujet de  1945. Tiens, le Hamlet de Laurence Olivier, 1947. Ben, c'est kif kif. La violence reste hors champ.
Et faire "sexy" n'est absolument pas le propos ici, les histoires d'alcôve, on s'en fiche. C'est la politique qui compte Le traître voudrait bien se taper Anastasia, et tente sa chance surtout à partir du moment où elle risque d'être veuve, et où son fils nourrisson n'a pas l'âge de régner. Draguer la possible veuve est un moyen simple de mettre ses fesses sur le trône.

allez, ça m'a faite rire: pause clope sur le tournage, la "morte" en grille une, en attendant ses funérailles.

Pour aller plus loin  après la version d'Eisenstein et son acteur Nikolaï Tcherkassov, après les portraits cauchemardesque de Vasnetsov et d'Ilia Repin ( qui le présente comme un petit vieux, alors qu'il est supposé avoir 51 ans au moment de la mort de son fils), ou une version plus récente en série.
Bref à quoi pouvait il ressembler réellement?
A une force de la nature, une armoire à glace de presque 1m80 et 90 kilos, donc fort impressionnant  - même si François Premier le dépassait en hauteur et Henri VIII, en largeur.

L'enquête menée sur son squelette a permsi d'estimer sa taille, son apparemence , mais aussi de confirmer ce qu'on soupçonnait, ses violentes sautes d'humeur n'était pas uniquement dûes à un caractère paranoïaque mais aussi à un empoisonnement chronique au mercure, alors utilisé pour soigner diverses maladies. Un remède pire que le mal on est d'accord, et j'en reparlerais d'ici peu pour un autre personnage, réputé lui au contraire pour son calme, sa discrétion, et son caractère amical, les effets secondaires sont très variés, mais les sautes d'humeur violentes en sont un, répertorié.

Ici plusieurs étapes de la reconstruction jusqu'à obtenir un buste (article en russe, mais photos) basé sur le squelette, les descriptions d'époque, les icônes - forcément irréalistes, les portraits de ses parents et grands parents, que les gens comparent à un lutteur professionnel à la retraite.
et du buste  au portrait robot. Les commentaires sont déçus " on dirait Ashot ( nom arménien) qui va au marché", apparemment il parait trop oriental pour beaucoup ( même si sa grand  mère était byzantine, donc.. ce qui est maintenant la Turquie) Par contre les descriptions d'époque le décrivent ayant les yeux gris, donc.. ça reste un débat ouvert et houleux de savoir à quoi ressemblait le tsar. Probablement parce que devant la multiplicité des images proposées, et celle du film ou des tableaux sont marquantes chacun a déjà choisi " le sien".
il coche deux catégories que j'ai déjà validées: film en noir et blanc et tournage compliqué ( pendant la guerre, déménagement des studios à plusieurs reprises, surveillance  du tournage pour que le film respecte la ligne du parti... )

Et il n'y a pas de catégorie " film mythique"

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