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lundi 10 mai 2021

L'Inde pour touristes - la cas de la Bayadère

 Parce que dans la foulée de la découverte de ce défi indien, j'ai dit à Hilde " le seul sujet que je pourrais faire pour le moment, c'est autour de la Bayadère, j'ai du regarder ce spectacle pour un cours, et c'est vraiment l'Inde pour touristes, vue par les gens du XIX° siècle".

Et dans le fond, ce n'est pas une si mauvaise idée. Parce que c'est assez symptômatique d'une époque, où il suffisait de transposer les normes européennes dans un autre pays, on dit que l'histoire se passe là-bas, on donen des noms inhabitueles - mais pas indiens pour deux ronds- aux personnages, on colle vaguement un turban au héros, une tenue qui rappelle un sari à l'héroïne, on dit qu'il revient de la chasse au tigre et est invité chez le Maharajah et hop! C'est indien!

Et ce genre d'orientalisme a touché pas mal de pays, au fur et à mesure qu'on les découvrait: Perse, Arabie, Chine, Japon... Il fallait que ça soit loin et différent, mais pareil quand même. Que ce soit en littérature, en peinture, en théâtre, en danse et que sais-je encore.
Rembobinons.
A l'automne dernier, je parlais de Giselle, spectacle inspiré d'une légende allemande sur une musique d'Adolphe Adam, un argument de Théophile Gautier, où une danseuse trompée par son petit ami, meurt et revient se venger sous forme de spectre.
Quel rapport?
On prend la même histoire, presque à la ligne près, on transpose ça en Inde, on rajoute un serpent et de l'opium, et hop, ni vu ni connu!
Un général nommé Solor ( oui, je vous l'ai dit, c'est pas super indien) fréquente une danseuse de temple, nommée Nikiya. Sauf qu'il va se marier avec Gamzatti ( on dirait une marque de voiture italienne, mais bon), la fille du rajah local. Evidemment, les deux femmes  sont en rivalité et l'humiliation arrive lorsqu'on demande à Nikiya de danser pour les noces de sa rivale avec son Jules à elle. Lors de la fête Gamzatti qui fait genre " on fait la paix", fait remettre à sa rivale un beau panier de fleurs pour la remercier. Panier de fleurs dans lequel il y a un serpent, qui la mord, et elle meurt.
Le héros, qui n'a pas trop compris ce qui s'est passé est quand même un peu horrifié de voir sa nana mourir sous ses yeux, et se réfugie courageusement dans la fumette pour oublier. Mais il fait un mauvais trip, et voit le fantôme de Nikiya qui revient le hanter accompagné de plein d'autres danseuses fnatpomes et..
Hé bien, ça finit là, apparemment il y avait à l'origine une suite, plus axée sur la vengeance des dieux , qui a été aggloméré au 3° acte, donc on conclut vite fait*

Autant j'avais bien aimé Giselle, qui n'était pas trop long, autant là, j'ai eu beaucoup beaucoup plus de mal. Justement parce que je me suis auparavant intéressée à la danse indienne. Et que là..
Donc ça dure 2 heures, 3 actes, et encore, le spectacle d'origine en faisait 4, il a été raccourci. Le problème est le second acte très long et qui n'apporte pas grand chose narrativement, la mort de la danseuse arrivant dans les 5 dernères minutes après une successions de tableaux d'animations sans liens entres elles au banquet du rajah ( je comprend, on a un corps de ballet entier, faut que tout le monde passe sur scène, mais...pfff, tu regardes ta montre). alors que j'ai bien aimé l'acte 1, narratif, et le 3° un peu long, mais narratif aussi.
En tout cas je ne m'attendais pas à voir le héros se fumer un narguilé d'opium sur scène, c'est punk, cette histoire!

* enfin, conclussion.. ça dépend de la version que vous regarderez, il y a deux fins différentes, comme souvent dans ce genre de spectacle
Version 1: Le héros se réveille après sa nuit de fumette, constate qu'il est foutu, contraint de se marier avec la fille du Rajah, et les dieux, qui n'ont pas trop apprécié qu'on assassine une de leurs danseuses sacrées, font s'écrouler le palais sur la tête des invités. Hop, mort de tout le monde.
Version 2: le héros fait une overdose à l'opium.

En cherchant pour voir le spectacle en entier, je suis tombé sur la seconde version, qui est plus couramment mise en scène. Ca m'a paru bizarre. J'ai vérifié, c'est rigoureusement impossible.
Et pour cause, on s'endort avant. On peut se blesser suite à une fumette, parce qu'on tombe en s'endorman, ce qui est exactement la raison pour laquelle les gens fumaient couchés sur des coussins. On peut être malade par accoutumance, avoir de gros problèmes de santé, être dénutri... mais ça ce n'est pas possible, surtout qu'on ne parle pas d'une grand mère au coeur fragile, mais d'un héros jeune et solide.

Et c'est un des problèmes: cette histoire est un gros patchwork et les coutures se voient. on prend tout ce qui évoque de près ou de loin l'Inde, et on l'utilise, sans trop se poser de questions de vraisemblance.

Nikiya est une bayadère, terme qui n'a absolument rien d'indien mais vient du portugais, mais sous lequel étaient désignées en occident les Devadasi, les authentiques danseuses de temple. Problème des devadasi, il y en a .. des quantités de sortes, selon la manière dont elles étaient entrée dans leur carrière: de leur plein gré par dévotion, par pauvreté ( pour être logées et nourries), parce qu'elles étaient orpheline et n'avaient donc pas de famille pour s'occuper d'elle, par contrat ( et donc salariées..)
Celle du spectacle est présentée comme une sorte de nonne à l'européenne qui a donc fait voeu de célibat et ne peut pas fréquenter un homme. Problème: la réalité est inverse. Les devadasi avaient des avantages absolument supérieurs à ceux de la majorité des femmes indiennes, mariées de force par leurs parents, et puvaient sortir avec qui elles voulaient - bon probablement dans la limite de ne pas officialiser la chose, ou que le monsieur ne soit pas marié par ailleurs, mais déjà, c'était une grosse différence avec les autres.
Ce qui vu au prisme de l'Angleterre coloniale à donné " femme qui peut choisir = femme facile => prostituée". Surtout dans le pays du kamasutra. Evidement, qu'avec la liberté de choix, certaines voyant arriver de riches anglais n'ont pas eu de scrupules à arrondir les fins de mois. Qui leur en tiendrait rigueur...
Mais comment faire une histoire avec une femme qui peut sortir sans problème avec qui elle veut, il n'y aurait pas d'intrigue! Et puis ça aurait choqué les bonnes moeurs, il faut de plus absolument que l'héroïne soit pure chaste et tout le tableau pour .. rendre sa rivale, riche et caractérielle, qui triomphe ouvertement encore plus détestable aux yeux du public.
Mais cette histoire a transité par.. l'Allemagne, car elle s'inspire en fait ( si j'en crois la personne qui a organisé le cours auquel j'ai assisté) de Der Gott und die Bajadere, un texte de Goethe. Qui a été adapté au théâtre, en danse, etc.. et a tourné en Europe pendant le premier tiers du XIX° siècle, popularisant l'image d'Epinal de la danseuse hindoue comme symbole du pays au même titre que les tigres et les éléphants.
Autre adaptation bien connue à l'époque, Sakountala de.. ho qui voilà, mais c'est Théophile Gautier qui a adapté une pièce de théâtre d'un auteur indien du V° siècle, inspiré par une tournée en Europe d'authentiques danseuses indiennes, dont les danses lui ont beaucoup plus, certes, mais dont il ne devait pas franchement avoir les clefs de compréhension.

Donc que se passe-t-il quand on a un sujet à la mode, propulsé par un auteur en vogue. Il ne faut pas longtemps pour voir apparaitre tout un tas de variations autour du même sujet dont le public, friand  d'exotisme, redemande: il y a des pépettes à se faire.
Et on se retrouve donc avec ce spectacle complètement hybride: une histoire qui se passe en Inde, inspirée d'un poème allemand, et d'un livret d'un auteur français d'après une pièce indienne, montée sur scène en Russie par un chorégraphe marseillais sur une musique d'un compositeur autrichien, dans les décors d'un italien.

photo du décor de 1900. Y'avait des moyens au théâtre, à l'époque!

Parce que oui, crevons l'abcès et parlons de la musique. Elle est parfois très sympa. Mais absolument pas d'inspiration indienne. Pas une note ne sonne indienne. Par contre elle évoque très bien le jour de l'an à Vienne, Leon Minkus est un pur contemporain de Johann Strauss fils, et de ses frères. Et sans préciser le nom de l'auteur, la confusion serait très facile. (Je suis pliée de rire en voyant que le même a composé une musique de scène pour un spectacle intitulé "les Pilules magiques". Il y a comme une thématique avec le narguilé et l'opium, non?)
Mais ça n'aide franchement pas à apprécier.
Version du théatre Bolchoï un peu dépoussiérée. Avec la fin n°2. En 2010.


Donc voilà, la danseuse qui tient le rôle de la.. danseuse se nomme Nadjeda Gratchova, la fille du rajah se nomme Maria Allash, et le héros.. je ne le présente plus :)  Il va sans dire que j'ai cherché une version où j'ai au minimum une raison de regarder jusqu'au bout. Donc oui, vous avez deviné: le grand Kolia. Mais même avec son talent, il m'a fallu couper l'oeuvre en trois, je n'ai pas encore atteint le stade de regarder un spectacle entier de danse classique d'un coup.

Et pour compléter: la fin N°1, avec une petite cerise sur le gâteau ( toujours théâtre Bolchoï, mais en 1997. Le même, 13 ans plus tôt). Là il y en a pour 2minutes 50, et vous verrez tout de suite ce que je veux dire en parlant de la musique pas du tout indienne. Le passage est très beau, la flûte a un son magnifique, mais...c'est de la musique symphonique 100% européenne.

Attention les yeux, wow!
Ce qu'il fait à la toute fin est de la pure improvisation, tellement bien amenée qu'on jurerait que ça a été prévu comme ça.. et il s'est fait sonner les cloches pour avoir osé improviser.

Il y a une petite anecdote: Il expliquait par ailleurs qu'il s'agissait d'un petit pied de nez aux critiques qui venaient au spectacle, ne suivaient pas l'intrigue, s'extasiaient bruyamment dès qu'une danseuse montrait un brin de souplesse, au mépris de tous les autres spectateurs. Et se désintéressaient a peu près totalement de tout le reste. Ah, vous voulez de la souplesse? :D Talents d'acteur, sens de l'humour et dos en caoutchouc, oui, c'est une vedette, à tous les sens qu'on donne à l'expression en français. J'assume totalement ma fanitude!
(Soit dit en passant en voyant ça j'ai enfin compris comment faire le pont, les gymnastes vont trop vite pour qu'on décompose le mouvement, et on ne me l'avais jamais expliqué quand je faisais de la gym! Je partais des lombraires en cambrant au niveau de la taille, du bas vers le haut, il part en cambrant au niveau des dorsales, du haut vers le bas le mouvement est plus fluide et, je suppose, moins risqué. Magnifique! Bon je n'ai plus la souplesse nécessaire pour faire le pont, mais au moins j'ai compris)

Je reconnais, les deux principales danseuses sont aussi très bien et font vivre leurs personnages. Mais pffff ce second acte.

Il y a d'ailleurs un passage du qui attire en ce moment les foudres de pas mal de monde pour cause de ... racisme: la danse des négrillons, où les petits rats, dansent grimés en petites servantes noires. Donc blackface, ça ne va pas.
Le passage a été renommé " danse des servantes" pour essayer de calmer le jeu. Bon le problème reste, ça ne passe plus au XXI° siècle. Mais on peut aussi pointer que tout est cliché dans cette histoire. Les indiens pourraient franchement se plaindre de la manière dont sont dépeints leur pays et leur traditions, et du monceau de clichés pour touristes. Donc que faire, enlever tout ce qui n'est plus possible de nos jours? supprimer simplement le spectacle du répertoire? Le garder tel quel en faisant de la pédagogie et en expliquant aux gens que les moeurs ont changé depuis le XIX° siècle? Le présenter comme un témoignage moins sur l'Inde que sur l'orientalisme et la manière de penser l'étranger à une époque où on commençait à peine à découvrir les cultures étrangères, et où fatalement on les adaptait aux goûts du public? a
Je pense que cette dernière option serait bien plus intéressante que la censure " on met tout sous le tapis et on fait comme si ça n'avait jamais existé"


Le thème du séminaire auquel j'ai assisté était passionnant, " Les transferts culturels entre France et Russie à travers l'exemple de la danse" ( il y avait un autre sujet sur le tango en URSS, un sur le cas du prélude à l'après midi d'un faune, etc..) et autant j'ai trouvé le spectacle peu convainquant, autant j'ai adoré en savoir l'histoire.
Je me creuse la cervelle d'ailleurs pour trouver un sujet de mémoire de master qui exploite cette idée de transfert culturel, peut être via la musique, c'est tout à fait dans mes centres d'intérêts via ma formation de FLE.



6 commentaires:

  1. Oui j'avais bien aime Giselle....mais lala je ne sais pas....toute ton explication est vraiment complete et parfaite...;)

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    1. Le prochain sujet musical sera vraiment indien et en lien avec la mythologie en plus :)
      oui là de mon point de vue, le souci est moins le côté cliché que les longs moments non narratifs qui cassent le rythme. Au théâtre, ça passe mal. Un peu comme si dans un film, l'action s'arrêtait, le temps que tout le monde passe faire son monologue.

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  2. Et bien voilà un bien joyeux "pot pourri" si tu me passes l'expression ;-) En effet, il n'y a pas grand-chose d'Indien là-dedans mais je me suis régalée à te lire. Et je te rejoins dans ta conclusion!

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    1. merci. Et en effet, je trouve que justement ce contexte historique a son intérêt. Le bon, qui fait que des gens ont gratté au delà des clichés, pour aller voir vraiment ce qui se passait ailleurs et c'est toujours enrichissant mentalement. Comme le mauvais (l'enrichissement sous forme de pillage des pays étrangers pour se faire un maximum de pognon). Evidemment pour moi la vraie richesses, c'est la première.

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  3. Donc si je résume bien, beaucoup de clichés et une œuvre pas tellement indienne au final si on enlève le turban et le sari ! ;) Je viens de regarder quelques extraits et bien que je n'ai pas l'habitude de voir des spectacles de danse, ça me donne envie d'y accorder un peu plus de temps, pour y déceler les représentations que tu évoques.

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    1. il faut un début à tout. Je t'ai quand même choisi le top niveau en matière d'interprétation :)

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