En même temps , vu le titre , ce n'est pas un spoiler que d'annoncer qu'Ivan Illitch va mourir.
Donc, nouvelle 1: la mort d'Ivan Illitch. D'entrée dès la première page, nous apprenons qu'Ivan Illitch est mort.Il n'a pas eu une vie bien réussie et il rate sa mort. C'est à dire que ses "amis" viennent présenter par obligation leurs condoléances à la famille, qui les reçoit également par obligation, tout en pestant intérieurement contre cet abruti d'Ivan qui a eu la mauvaise idée de mourir le jour de la partie de cartes hebdomadaire, et ça dérange le train-train habituel.
Et le récit part à rebours, pour nous présenter feu son héros , sa vie morose de grand bourgeois convenable, juge, marié par convenance à une femme convenable mais acariâtre, qui a passé 20 ans de mariage à râler et à rendre son mari responsable de toutes les tuiles qui a pu leur arriver ( mutation en province, décès dans la famille... des choses sur lesquelles il n'avait objectivement aucune influence). Mais voilà que le juge qui avait pouvoir de vie et de mort, ou au minimum, d'envoyer les gens moisir jusqu'à leur mort en prison, doit affronter quelque chose qui lui échappe, réellement, et n'obéira pas à sa volonté: la maladie. Peu importe d'où elle vient, il la met sur le compte d'un accident domestique, la description ressemble plutôt à un cancer. Mais Ivan va mourir à petit feu, tout en découvrant l'abominable hypocrisie qui l'entoure, et la vanité de son pouvoir.Il se sait mourant, mais les médecins s'obstinent à lui cacher son état, sa famille chuchotte pour qu'il n'entende pas la vérité. Et Ivan n'en peut plus de tous ces faux-semblants. Sa seule consolation est la compagnie de son domestique Guérassime, le seul qui ne prenne pas de masque pour lui parler.
Et tout le récit est axé autour de ça: ce qui se passe dans la tête de quelqu'un qui se sait condamné et découvre soudain que toute sa vie a été basée sur le mensonge, qui se trouve soudain dans une situation sur laquelle il n'a pas de prise et dont l'issue est inévitable.
Et c'est très intéressant, psychologiquement.
Nouvelle 2: maître et serviteur. Le maître, Vassili Andréitch, est un propriétaire riche et roublard, toujours à l'affût d'un nouveau moyen de s'enrichir. El n'est pas méchant, mais est d'autant plus insupportable qu'il est réellement persuadé de rendre service à ses serviteurs en les roulant. Le serviteur, Nikita, est un paysan, qui lutte avec grande difficulté contre un penchant pour l'alcool qui l'a mis plus d'une fois dans la mouise. Mais c'est un brave homme qui essaye sincèrement de changer et traite avec respect les animaux en général et son cheval en particulier.
Or, ce jour d'hiver, le maître a décidé de partir pour traiter une affaire dans un village voisin, affaire urgente, car il craint que la bonne affaire ne lui passe sous le nez. Même si celà les oblige tous deux à partir en pleine tempête de neige.
Par deux fois, ils s'égareront, tourneront en rond, aboutiront dans un autre village où on leur déconseille de partir de suite, la nuit tombe, ils risquent encore de se perdre, qu'ils restent au chaud, ils pourront toujours partir au matin.Mais Vassili s'entête et veut coûte que coûte partir, Nikita n'a pas d'autre choix que de suivre... et évidemment, ils vont se perdre encore et devoir passer la nuit dehors, en pleine forêt, dans une tempête de neige, avec les loups qui rôdent. Et là ce qui compte,c'est le changement que la peur, le froid et le danger vont opérer dans la tête de Vassili,qui va passer de pensées " je compte l'argent que je vais gagner", à " je ne peux pas mourir je suis riche, si j'abandonnais Nikita, lui peut mourir, il n'a pas une belle vie, contrairement à moi" à " je dois sauver coûte que coûte Nikita" . il faut un danger de mort pour que le maître se rende compte enfin, qu'il y plus important que l'argent, et qu'un serviteur est avant tout un autre être humain.
Nouvelle 3: les 3 morts.
La encore 2 personnages vont mourir: Un riche dame tuberculeuse qui refuse l'idée de la mort et s'obstine à vouloir partir au soleil en Italie, où elle est persuadée de guérir, en dépit des recommandations de son médecin et de sa famille. elle refuse d'accepter l'évidence, et en veut à la terre entière. Le second, est un vieux paysan qui agonise à la maison près d'un poêle. Mais il est en paix avec l'idée de la mort et ne se fâche pas lorsqu'on lui dit " je peux prendre tes bottes? Elles sont presque neuves et tu ne t'en servira plus".Parce qu'il a assimilé cet état de fait:la mort fait partie de la vie...
Le 3°.. je n'en dirai rien pour ne pas gâcher la surprise.
Je n'avais pas encore lu Tolstoï et j'ai beaucoup aimé ces nouvelles très intéressantes psychologiquement, presque violente dans leur récit clinique de la maladie et de la mort, mais empreintes d'un cynisme souvent drôle.Ce qu'il en ressort, c'est vraiment l'idée presque stoïcienne que la mortest inévitable, donc autant prendre ses précautions pour la succession, accepter cette idée et surtout vivre avant qu'il ne soit trop tard. C'est vraiment trop désespérant d'arriver au point de non retour, celui où plus aucune rémission n'est possible, en se disant " si j'avais su..."
Donc oui, je les classe parmi les nouvelles philosophiques, celles qui vont rester longtemps en mémoire et faire réfléchir au sens de sa propre vie.Et tout ça, sans lourde leçon de morale. Mystique un peu, mais pas prosélyte ( coucou Dostoïevski! Tu me gonfles avec ça).
Renseignement pris, il semble que Tolstoï a influencé Gandhi dans son concept de résistance non-violente. Et en effet il y a quelque chose de très oriental dans ce point de vue: la vie et la mort sont imbriquées, elles ne sont pas opposées, mais sont liées. La mort est la fin du monde pour celui qui meurt... mais n'est qu'un micro événement qui dérange à peine l'organisation d'une famille, et n'a absolument aucune importance à l'échelle du monde. C'est triste, mais la Terre n'arrête pas de tourner pour autant.
Depuis qu'il y a des gens sur terre, personne n'a jamais réussi à ne pas mourir. Et c'est parfois utile de le rappeller.
J'avoue que j'ai un peu de mal avec la littérature russe. Mais il me semble que ces nouvelles pourraient me plaire !
RépondreSupprimeroui, c'est tout sauf joyeux, mais effectivement, c'est peut être un moyen d'aborder la chose de manière moins abrupte que par le gigantesque Guerre et Paix ou les pavés de Dostoievski.
SupprimerSinon il y a Oblomov, que je n'ai pas encore eu le temps de finir mais qui est extrêmement drôle ( l'histoire un glandouilleur né au XIX° siècle) ou la pièce de théâtre " la malheur d'avoir de l'esprit" ( un peu la même idée que le misanthrope, mais dans les salons Pétersbourgeois du début du XIX°, le héros est un râleur invétéré, doublé d'un sens absolu de la vachardise)