Un curieux livre que celui-ci, trouvé sur l'étagère commune du travail. Très court, imprimé assez gros..
Mais le sujet de départ me tentait bien..
L'auteur entreprend de tracer un portrait de sa mère, quelques mois après son suicide et de déchiffrer quelles sont les éléments dans sa vie qui ont pu l'amener là, sans que personne n'ai vu venir la chose.
La mère était une personnalité effacée, même dans le récit on ne saura jamais rien d'elle, même pas son prénom, tant son identité est floue et insaisissable même pour son fils, pourtant une des personne la plus à même d'en parler.
Mais même lui a des difficultés à cerner quelqu'un qui d'un point de vue littéraire, au delà du drame personnel, est un défi: raconter le quotidien vide et morne d'un personnage qui s'est efforcé de laisser le moins possible transparaître quoi que ce soit.
Du coup, le récit alterne avec des ruptures où l'auteur évoque son métier et ses difficultés.
La mère donc: une petite fille née dans une ferme autrichienne peu après la première guerre mondiale. L'auteur nous parle un peu de ses ancêtres, car le malaise de la mère vient de loin, précisément de son éducation, précisément du fait que son grand-père à elle, ancien serviteur dans une ferme, a accédé à l'indépendance financière en épousant la fille d'un riche fermier. Une éducation stricte et catholique, où toute manifestation de joie est considérée comme déplacée, surtout pour les femmes, où le seul critère de réussite est "la possession", d'un lopin de terre, d'une entreprise.. peu importe. L'avoir l'emporte sur l'être.
Et seuls les frères de la dame sont autorisés à faire quelques études: elle devra se contenter de l'éducation de base qui se termine à 12 ans environ, et malgré son désir d'apprendre, se verra confinée au rôle traditionnel qu'on attend d'une femme dans la campagne autrichienne de la première moitié du XX° siècle: une bonne épouse et une bonne ménagère. Un destin tout tracé dont elle essaye pourtant de s'échapper en devenant apprentie cuisinière ( mais là aussi, les perspectives sont trop limitées pour elle, la cuisine, on en a vite fait le tour), puis arrive l'avant guerre, et la guerre, qui renvoie encore les femmes à leur rôle de cuisinières et de maîtresses de maison. Kinder, Kirche, Küche. Là encore elle prend des voies de traverses, en fréquentant un homme marié qui lui fait un enfant.. mais, effrayée de sa propre audace, bloquée par les barrières mentales qui lui ont été inculquées dans son enfance, se range vite à l'opinion extérieure en épousant au final, par dépit un homme qu'elle n'aime pas mais qui l'accepte avec son enfant. Un vie morne se profile pour elle, où elle étouffe peu à peu volontairement toute sa personnalité enjouée. Où elle finit par étouffer vraiment, avec comme seule perspective pour sortir du lot, la dépression nerveuse ( mais là encore, on est à la fin des années 60 et quelqu'un qui fait une dépression nerveuse n'est pas considéré comme une victime, mais comme un fautif. On préfère abrutir les patients de cachets au lieu de chercher l'origine du problème).
L'idée n'était pas mal, et m'a même bien intéressée: la chronique d'une dépression nerveuse, de ses origines antérieures même à la naissance de la malade, jusqu'à l'issue fatale, connue dès le début du récit. L'incapacité à surmonter son éducation et à envoyer bouler tout ce qui l'empêche d'être elle même. Après la guerre, elle aurait pu opter pour une remise en question. a plusieurs reprises, elle montre les signes d'une tentation de changer, sinon de vie, du moins de regard sur la vie: en lisant, en voyageant..mais voilà, remettre en question, c'est aussi remettre en question ses croyances et son éducation, et elle n'a même pas l'idée d'aller jusqu'au bout. Vouloir être soi même, c'est déjà s'opposer aux autres et à ce qu'ils veulent que vous soyez, et c'est trop difficile pour une femme isolée et désocialisée. Ou plutôt qui évolue en vase clos dans une société fermée et traditionaliste.
Il y a la des choses très intéressantes, et toujours d'actualité ( combien de fois j'ai entendu " tu ne devrais pas faire ça, tu es une femme" ou " non, mais je suis une femme, je ne peux pas le faire". en soi c'est toujours d'actualité et ça le restera, tant que les femmes seront persuadées qu'avoir une paire de nichons les empêche - et justifie qu'on les empêche - de faire ce qu'elles veulent. Le pire enfermement est celui qui est consenti).
Par contre je n'ai pas spécialement apprécié le traitement entrecoupé du récit, par les digressions littéraires de l'auteur. C'est un livre court , qui se lit en une petite matinée, mais ces digressions font souvent perdre le fil. Après c'est la forme qu'il a choisie pour évoquer son drame personnel, probablement celle qui lui convenait le plus pour essayer de se distancier, quelques mois après le suicide, de sa tristesse. Mais justement, la distance prise avec la situation, qui donne une impression d'être écrite au fil de la plume, et c'est surement le cas, fait que bon.. en tant que lectrice, je me suis un peu ennuyée.
Quelques mots du titre. "le malheur indifférent" en français, ça m'évoque à priori, le fait que le malheur tombe comme ça, sans distinction sur n'importe qui, donc plutôt la situation du fils. Mais il s'agit bien de la mère pourtant. Le mot mal-heur, évoque quelque chose de négatif et soudain, qui peut s'éterniser certes, mais qui arrive un peu d'un coup.
Wuschloses Unglück, le titre d'origine, est assez intraduisible, mais l'intention est assez différente du résultat en français.
Glück, c'est la chance, en général autant que le bonheur. Même s'il est couramment traduit par malheur, d'un point de vue étymologique, Unglück n'a pas le côté franchement négatif du mot malheur, c'est en substance " le non-bonheur", et fait plutôt penser à un état permanent qu'à quelque chose qui arrive d'un coup.
Wuschloses a un sens par contre plus fort qu "indifférent". "Wusch" le souhait,"los" sans "sans souhait, sans désir, sans volonté. Un privation de souhaits, de volonté qui amène un non-bonheur. Et là, c'est tout à fait la situation de la mère. La traduction était très difficile, je le reconnais, mais du coup, elle affadit beaucoup le titre original
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