Donc j'inspecte la rangée des M à tout hasard.. "la rebelle".. c'est peut être ça.. ha non pas du tout mais le sujet " femme médecin au moyen-âge" à l'air sympa, je vais l'emprunter, on verra bien.
Autant dire que je n'en attendais pas grand chose: ce n'est pas celui que je cherchais au départ, je n'ai jamais entendu parler de l'auteur, le titre est d'une banalité assez consternante et la couverture.. très moche!
La tête de la femme qui semble flotter au dessus du reste, son maquillage trop moderne pour le XIII° siècle.. dire qu'un graphiste à bossé là dessus, ça me désole.
Tel quel, j'ai l'impression de voir la jaquette d'un DVD de téléfilm au titre un peu pipeau ( ou d'une série genre " Dr Quinn" ce truc multirediffusé, qui partait d'une bonne idée mais se noyait vite dans les bons sentiments un peu gentillets pour ne pas dire cucul la praline)
Mais passons, ça c"était le gros point négatif. Mais comme il ne faut pas juger un livre à sa couverture, je dois dire que c'est au final plutôt une bonne surprise. Je craignais le cucul-la-praline et... non.
Ca commence d'entrée par une activité totalement illicite au XIII° siècle à Paris ou ailleurs: un vol de cadavre dans un cimetière. Deux étudiants en médecine déterrent une pendue pour le compte de Rolando, célèbre médecin milanais très en vue dans la capitale française, qui s'apprête nuitamment à procéder à une autopsie pour montrer à son étudiant l'agencement du corps humain. L'étudiant a juste le temps d'apercevoir une troisième personne avant de s'évanoir: un garçon aux traits très fins, presque féminins. Et pour cause, la troisième personne est Caterina Da Colleaperto, une femme médecin. Aussi incroyable que ça puisse paraître, il y a eu quelques femmes maîtresses en médecine au Moyen-âge. Caterina, d'origine italienne, a étudié à Montpellier, une des seules universités en Europe acceptant les étudiantes (et une des rares acceptant les maîtres de médecine orientaux aussi). Caterina part du principe que pour bien soigner les malades, il faut connaître le fonctionnement du corps humain, et pas seulement se contenter de diagnostics plus ou moins précis, et d'établir des ordonnances que les apothicaires vont confectionner.
( Ceci était déjà évoqué dans Fortune de France qui se passe 3 ou 4 siècles plus tard)
En tout cas à l'époque, pas question pour un médecin de se salir les mains: les fonctions de médecin et chirurgien sont bien séparées et empiéter sur le domaine de l'autre c'est risquer d'être mis au ban de sa propre corporation. arracher les dents, soigner les abcès, réparer les fractures, remettre un os en place, faire des saignées, tout ce qui est salissant en fait, c'est le domaine des chirurgiens-barbiers ( autant dire aller se faire soigner les dents par son coiffeur).
Grâce à l'appui de Rolando qui est un peu plus que son collègue, Caterina a réussi a trouver un emploi comme médecin à l'Hôtel-Dieu et une petite clientèle prestigieuse de dames de la haute société qui préfèrent parler de certains problèmes gênants à une autre femme ( telle une comtesse qui cache une calvitie avancée).
Mais une première erreur va être commise par Caterina: sauver la vie de Marion, une femme enceinte en danger de mort en pratiquant une césarienne. Elle a outrepassé ses droits en pratiquant la chirurgie, sa hiérarchie n'attend qu'une deuxième erreur pour s'en débarrasser. Le fait que la patiente ait survécu n'entre pas en ligne de compte pour les responsables de l'hôtel-dieu, c'est même presque une circonstance aggravante: Marion est une domestique engrossée par son employeur - coucher avec le patron faisant quasiment partie de la fonction de femme de chambre à l'époque, impossible de s'y soustraire - et renvoyée lorsque sa patronne découvre son état. Autant dire dans la conception de l'époque, à peine mieux qu'une prostituée. Marion et Caterina vont devenir très proches, la seconde révoltée par cette situation engageant la première.
C'est alors que les catastrophes s'enchaînent pour Caterina: enceinte de Rolando, elle découvre qu'il a une femme légitime en Italie et qui s'apprête à le rejoindre, donc rupture de la part de celle qui compte bien garder son enfant et l'élever seule. Mais c'est aussi le moment ou l'autopsie est découverte: Belle occasion pour Rolando ( qui est par ailleurs le genre de personne à assassiner la patiente d'un collègue qui a plus de chance que lui d'accéder à un poste à responsabilité pour le discréditer, en mélangeant du poison aux remèdes de l'autre médecin.. charmant personnage!), belle chance de se venger de celle qui vient de le plaquer en acceptant de lui laisser porter l'entière responsabilité de l'autopsie. Seule solution pour échapper à la prison: Caterina doit fuir et accompagnée de Marion, se joint discrètement à une caravane de marchands en partance pour Milan.
Ca c'est pour le premier fil directeur. il y en a un autre, et le récit alterne entre les deux - qui vont bien sûr finir par se rejoindre. A Milan, La Colombetta, une confrérie religieuse un peu à part, sorte de secours populaire avant l'heure, qui travaille avec des laïcs décide de monter un dispensaire pour les malades pauvres de la ville, ceux qui n'ont pas les moyens d'aller se faire soigner à l'hôpital. ils s'adjoignent les services d'un chirurgien barbier de la ville un peu versé en médecine, mais qui se retrouve débordé et le dispensaire manque d'un vrai médecin. On devine vite que les religieux de la colombetta ne vont pas hésister longtemps à engager un médecin compétent peu importe son sexe, dans une ville qui par ailleurs est plutôt rétive à ce genre de chose. A Caterina donc de réussir à gagner la confiance des pauvres de la ville pour commencer une nouvelle vie.
La troisième intrigue tourne autour de Marco, le tailleur milanais, qui fait la jonction entre les deux: celui-ci cache un lourd secret, plutôt deux lourds secrets chacun pouvant lui faire perdre tout crédit et potentiellement la vie: soit par exécution car il est homosexuel, un crime puni de mort, soit par accident, car il est adepte d'un fortifiant qui lui permet de travailler plus longtemps et plus vite. Une drogue donc, à base d'arsenic, qu'il achète à des gens louches...une erreur de dosage et c'est la mort par empoisonnement.
Tout ceci est intéressant, parfois un peu décousu, surtout au début où les chapitres alternent entre Paris et Milan avec toute une foule de nouveaux personnages, dont on ne sait s'ils seront récurrents ( Silvestro le gamin des rues ou frères Marcello, Rufo le chien) ou vont juste apparaître et disparaître aussi vite( Agnès
D'autres ne seront là que pour évoquer la vie médiévale, particulièrement celle des classes populaires et des miséreux, la condition des femmes en particulier: une femme qui a bien du mal a surmonter sa honte à s'adresser à la Colombetta pour obtenir de quoi ne pas mourir de faim et de froid, une autre qu'on retrouve morte lapidée ( herboriste, elle a eu le malheur de ne pas réussir à soigner des malades. Si elle avait été un homme, on aurait dit que dieu les avait rappelés à eux, pour une femme, on parle de sorcellerie et de mauvais oeil et on l'assassine).
La condition des serviteurs aussi est intéressante: Marion est devenue la maîtresse de son patron parce que ça faisait quasiment partie du travail et pour éviter la rue, la mendicité et la misère, Mikail, le secrétaire du tailleur acheté enfant au marché aux esclaves, est devenu l'amant du patron... pour éviter la rue, la mendicité et la misère. Homme ou femme, un serviteur n'est là que pour le bon plaisir de son employeur. La condition du patron homosexuel n'est pas non plus reluisante, à une époque où tout ce qui sort de la norme établie par l'église est rapidement mis à l'écart, si possible derrière de solides barreaux ( on est en pleine guerre des Guelfes et des Gibelins, l'inquisition va commencer à faire parler d'elle et déjà des prédicateurs s'érigent contre le goût du luxe et de l'ostentation. Ce ne sont pas encore les bûchers de vanités de Savonarole, mais ça va venir, un siècle plus tard))
Donc non, on est pas dans les bons sentiments, c'est même assez violent parfois. Lors d'une étape en montagne avec la caravane, Marion est violée par un serviteur de la troupe, avec l'habituel " on est en pleine forêt, inutile de crier, personne ne t'entendra". Mais le chien qui accompagnait la femme attaque l'agresseur et le blesse. Il ne peut marcher et compte donc sur l'aide de sa victime pour l'aider à redescendre vers la vallée. que fait la douce, la gentille, la soumise, la pieuse Marion qui a toujours subi l'humiliation? Elle l'aide à se relever et l'aide à redescendre. Vite fait. Directement. En le poussant bien fort du haut du ravin près duquel ils se trouvent. Si on ne l'a pas entendue crier elle, on ne l'aura pas entendu crier, lui non plus.
Merci, merci à l'auteur, je ne vous dis pas ma joie à lire cette vengeance qui m'a fait un immense plaisir.
La rebelle, c'est tout autant Marion qui décide de ne plus subir que Caterina qui décide de tenter sa chance ailleurs quand le vent tourne. On m'objectera qu'elle s'enfuit. Oui. Mais pour pouvoir continuer à exercer son métier dans un milieu profondément machiste. On ne peut pas changer les mentalités en quelques mois, et dans un monde fait par les hommes et pour les hommes, c'est en louvoyant qu'on peut gagner peu à peu son autonomie. Et encore, ça n'est jamais entièrement gagné, il suffit de regarder le XXI° siècle pour voir à quel point les acquis sont fragiles et ... simplement pas encore acquis à certains endroits.
Donc une bonne surprise, beaucoup moins gnangnan que ne le laissait craindre sa couverture et son titre. L'auteur s'est documentée visiblement sur le moyen-âge et les différents corps de métiers, et malgré une narration un peu ardue au début, on se laisse vite embarquer, ça se lit vite et facilement malgré quelques passages un peu redondants qui auraient pu être écourtés.
Un site à consulter pour en savoir un peu plus sur la situation politique qui sous-tend ce roman: L'Italie à la fin du Moyen-âge.
Bon hé bien ça m'a donné envie d'aller visiter Milan en tout cas, j'ai vu Gênes et Turin, mais pas encore Milan.
oui, oui, Milan est à voir (bon, moi, je ne connais pas les 2 autres!)
RépondreSupprimerAu moins ça a l'air un peu palpitant, loin de l'horrible couverture à l'allure Barbaracartlandienne...
RépondreSupprimeryep, c'est pas le livre de l'année non plus, mais disons que la couverture et le titre laissaient présager un pire qu'on évite largement... pour aller plus vers le côté misère, crasse et épidémies. Pas vraiment un moyen-âge de carte postale. Donc bonne surprise.
Supprimeralors que Soie, que tout le monde a encensé est plutôt une déception, parce que tout le contraire: le sujet était tentant, mais le traitement, platounet.