Et je n'avais pas encore eu l'occasion de découvrir l'auteur pourtant célèbre ( même si j'ai vu il y a des années une adaptation filmée de son Portrait de femme qui ne m'a pas vraiment laissé de souvenir impérissable).
Et comme son texte le plus connu est disponible en édition numérique libre de droits, j'ai sauté sur l'occasion.
illustré d'un tableau de John Sargent, qui aurait bien trouvé sa place dans le livre sur le Noir. Il faut que je fasse des recherches sur ce peintre.. |
.. qui est aussi l'auteur de ce portrait d'Henry James |
Le tour d'écrou est un texte de la fin de sa carrière, daté de 1898. Je savais qu'il s'agissait d'une histoire de fantômes et de sales gosses.. mais je ne m'attendais pas à ça. J'ai été surprise, étonnée, dans le meilleur sens possible et j'ai bien aimé cette longue nouvelle aux multiples niveaux de lecture.
L'histoire de base est simple: la narratrice, institutrice dont on ne saura jamais le nom a été embauchée à Londres par un homme riche, qui lui fait forte impression et pour qui elle en pince un peu au premier coup d'oeil, pour donner des cours à son neveux et sa nièce, orphelins. Leur précédente institutrice est morte subitement, il a besoin d'une remplaçante qui accepte la condition suivante: tout régler elle-même, et ne jamais, jamais chercher à prendre contact avec lui, quoi qu'il se passe.
Condition étrange, mais que la femme accepte, en y voyant l'occasion d'impressionner son patron par son efficacité, sans penser bien sûr que son mérite ne sera jamais reconnu par quelqu'un qui ne veut pas en entendre parler. Oui elle est naïve à ce point! (Et assez orgueilleuse aussi, elle fanfaronne et s'autocongratule beaucoup, mais la narration est assez subtile pour faire ressortir le ridicule de cette autosatisfaction).
Arrivé au lieu où elle doit enseigner, elle déchante vite: le manoir est vieux, terne, habité d'une poignée de domestiques. seule consolation, ses élève, la petite Flora 8 ans, rejointe par son frère Miles 10 ans, sont adorables. Mignons, polis, travailleurs.. des élèves parfaits. Trop parfaits. Aussi lorsque Miles est renvoyé de son collège, l'institutrice ne prend même pas la peine d'éclaircir la raison de ce renvoi, par peur d'apprendre quelque chose qui ternirait l'image de petit ange du garçon. Mauvais choix, ce n'est pas en laissant traîner les choses qu'elles s'arrangent.
D'autant que des choses suspectes se passent: elle commence à voir des fantômes qu'elle décrit à la cuisinière. Ce sont l'ancienne institutrice et un ancien domestiques morts l'année d' avant, des gens très peu recommandables. qui reviennent forcément faire du mal aux enfants. L'institutrice s'attribue donc la mission de régler le problème, sans avertir l'oncle. Mais les gamins, que voient-ils? et sont ils vraiment si parfaits que ça?
Ca c'est le premier niveau. Des enfants innocents dont l'apparente sagesse commence à se fracturer, un manoir un peu sordide, des revenants.. assez classique en somme, sauf dans la manière d'instaurer un doute sur les enfants eux-mêmes et la prétendue innocence de l'enfance. Ca, je ne sais pas si ça avait été fait avant.
Et maintenant , comme je ne peux pas dire que j'ai aimé ce livre sans expliquer pourquoi et que je ne peux pas expliquer pourquoi sans risquer de faire du spoil pour ceux qui ne m'ont pas lu, c'est le moment de ressortir ma pancarte:
Deuxième niveau de lecture: il n'y a pas de fantômes. Ils peuvent fort bien être un effet d'auto suggestion de l'institutrice dont les descriptions assez vagues (un homme impressionnant aux cheveux roux, une femme brune inquiétante) correspondent à peu près aux deux domestiques décédés qui étaient de mauvaise réputation. Mais comme elle est la seule à les voir, rien n'est sûr. Elle se convainc que les enfants les voient aussi.. du fait même qu'ils ne disent jamais rien ne parlent pas des disparus, et ne donnent aucun signe de les voir. Déduction éminemment boiteuse. Mais pour elle, c'est parce qu'ils sont trop délicats, et s'ils ne veulent rien dire eux mêmes, c'est parce qu'ils la ménagent. Il ne faut donc pas les interroger car ils ne diraient rien par respect pour elle/leur rang...Ses arguments prennent l'eau de toutes parts et ne tiennent pas la route. Solution 2: cette femme perd la boussole, ce que les enfants exploitent en jouant sur leur image de chérubins irréprochables. Elle est folle, et les enfants sont des monstres!
Troisième hypothèse: il y a des fantômes .. ou pas, mais ça n'a pas d'importance, le coeur du sujet n'est pas là. Il est dans le récit que fait la cuisinière des relations de Miles avec Peter le domestique à la réputation douteuse. Il est clairement question de leurs relations inappropriées, de leur familiarité honteuse pour la réputation de la maison ( entre un domestique et un noble) que tout le monde le savait mais que personne n'a rien dit pour protéger l'honneur de la famille.
Oui.Ca n'est jamais dit clairement, mais pour moi c'est transparent, le sujet sordide caché derrière l'histoire de fantôme, n'es pas du à leur statut mais à la nature de leurs relations. Et pour une fois, je ne pense pas surinterpréter.
Si Miles a été "tripoté" par un adulte, ses bizarreries s'expliquent d'autant mieux, ainsi que les paroles ambigues de la cuisinière. D'ailleurs l'institutrice même n'est pas claire : les enfants ne sont vus que par son témoignage. Flora est sans cesse présentée comme un bébé: elle a un petit lit blanc mignon dans la chambre de la femme, ses jeux sont plus ceux d'un enfant de 3 ou 4 ans, elle était trop jeune pour se souvenir de son institutrice disparue quelques mois auparavant.. etc.. on en vient à oublier son âge réel. Tandis que Miles est toujours présenté comme mature, adulte pour son âge, mignon mais avec des réflexions d'homme, charmeur... On en vient aussi à oublier qu'il n'a que 10 ans et non un ado. Et la femme est souvent à deux doigts de la déclaration d'amour à son élève qu'elle câline abondamment même lorsqu'elle devrait le réprimander. Pour finir par se débarrasser complètement de Flora qu'elle envoie à la ville avec la cuisinière et ne rester qu'avec SON Miles, son petit chéri, etc..
Alors?peut être un peu des trois, l'auteur est assez malin pour ne jamais prendre parti et laisser libre court au lecteur pour se faire une idée.
C'est passionnant. Tant de possibilité d'interprétation pour un texte assez, court, j'aime beaucoup. Je penche bien sûr pour les explications les plus psychiatriques. C'est glauque, c'est noir, c'est sordide, le non-dit est beaucoup plus terrifiant que ce qui est dit. La monstruosité n'est pas dans le fantastique loin de là.
Le seul reproche que je ferai, c'est que l'héroïne est d'une naïveté absolue, souvent à claquer ( mais je pense que c'est voulu par l'auteur et que ça participe beaucoup de l'impression de dérangement mental qu'il insinue à son sujet) et que le premier chapitre ne sert pas à grand chose ( une réunion de convives où un dénommé Douglas qui ne revient jamais se propose de raconter cette histoire.. Ca aurait eu une raison d'être s'il y avait eu une conclusion reprenant le premier chapitre, les auditeurs donnant leur avis, etc.... là pour le coup, l'introduction du récit n'est pas du niveau du reste, et donc par contrecoup l'impression qu'il manque une conclusion)
Lu il y a deux ans je crois, et je dois dire que j'ai été déçue, j'en attendais probablement trop, du fait de la réputation de l'auteur. Je ne me souvient pas de grand chose. Il faudrait que je le relise pour voir si j'interprète comme toi! :)
RépondreSupprimerpas mal ton système "en blanc'. Il faut que je le relise, je me souviens l'avoir "écouté" il y a quelques années, mais j'ai dû rater des étapes
RépondreSupprimerje l'ai lu au début du mois, un livre très mystérieux finalement!
RépondreSupprimerJ'avais été déçue... Et comme toi, j'avais trouvé l'héroïne horripilante !
RépondreSupprimerMaintenant, ayant lu la partie avec spoiler, j'ai juste envie de le relire. J'avais apprécié ma lecture mais avec l'impression très forte de passé à côté de quelque chose.
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