Oui, mais attention pas n'importe lequel, on n'est pas ici dans le gentil-mignon-rose-cucul-la praline, puisqu'il va être question de souffrance psychologique chez des lycéens.. et un prof.
La première que l'on rencontre est Rika, élève de terminale, ancienne championne de saut en hauteur de son lycée, qu'une blessure à la jambe a éloignée de la compétition pour quelques temps. Seulement voilà, si la blessure physique est guérie, le mental ne suit pas: elle n'arrive pas à se décider à reprendre, elle hésite elle cherche des faux-fuyants en prétendant se consacrer au bac, pour ne pas affronter sa peur. Aller au lycée chaque jour est devenu une véritable angoisse, car tout lui pèse, et surtout la sollicitude des camarades et de la prof de sport qui tentent de la convaincre de reprendre. D'autant que son petit ami vient de la quitter pour une autre athlète. Alors elle fait comme si. Comme si tout allait bien, comme si la rupture ne l'avait pas affectée, comme si elle était au régime pour expliquer son manque d'appétit .. et pour éviter de voir du monde, elle prend ses repas en salle informatique. Un jour, par curiosité, elle va aller voir le chat de l'intranet du lycée. Sous le pseudonyme de 11, elle lance la vague idée " le lycée m'ennuie, j'aimerais qu'il n'existe pas". Et certains vont prendre au sérieux cette idée, et la mettre en forme sur un chat personnel: puisque tous ont des problèmes liés au lycée, la solution est simple: le faire sauter, purement et simplement
Il y a "polaris", Nanaka au lycée, une fille très discrète, timide, qui ne se sent pas elle-même en uniforme, et change véritablement du tout au tout lorsqu'elle s'habille en Lolita gothique. Toujours sous pression, elle cache un véritable mal-être que la moindre petite contrariété peut pousser à des réactions violentes ou autodestructrices. D'autant que, même si ça n'est pas clairement dit, il semble que son caractère effacé au lycée fasse d'elle la "poire" idéale des corvées dont les autres veulent se débarrasser.
Il y a "Jangalian", M. Takano, le professeur de sciences naturelles, ce qui étonne les autres au premier abord. Mais lui aussi va au lycée à reculons: d'un caractère plutôt introverti, il n'aime que ce qui est "mignon", chose mal vue chez un homme au Japon, et cache donc le plus possible cette part de sa personnalité. Et ce d'autant qu'une de ses collègues le harcèle sexuellement- ou, en tout cas, il le ressent comme ça. Mais, comme Polaris, avec qui il s'entend au final très bien, c'est un personnage instable, pas taillé pour la lutte, et à qui le moindre événement quotidien peut faire péter un câble.
Et enfin, "Kin-san", Kumihiko, dont tout le monde se demande ce qu'il fait là: élève de première gentil, serviable, populaire, qui a de nombreux amis et de bons résultats scolaires. Alors pourquoi vouloir rejoindre ce projet explosif? En fait, il est le seul de la bande qui ait un réel problème, sérieux, et pas seulement dû à des nerfs fragiles ou a une perception des événements quotidiens trop exagérée. Un problème qui a priori n'a rien à voir avec le lycée ( enfant battu par une mère instable mentalement) mais voilà, il veut se rendre "utile à quelqu'un" - même si l'auteur sous entend qu'il trouve là un exutoire aux coups qu'il se refuse à rendre.
Mon préféré de la bande des quatre, car justement, le seul qui vit réellement une situation tragique, et n'en fait pas - pas assez- une montagne. Lui et Rika sont plus crédibles car justement, moins outrés, moins excessif que les deux autres. On sent qu'ils peuvent faire face, ce qui risque d'être beaucoup plus compliqué pour la Lolita et le prof hypersensible. Et pourtant, pour avoir vécu successivement le harcèlement moral au collège et au travail, les situations de Polaris et Jangalian me "parlent" plus.
Et donc voilà, 2 tomes seulement, où on assiste d'abord à la rencontre des différents personnages, et à la mise en place de leur projet dans le tome un. Vont-ils passer à l'action par la suite?
En fait, rien n'est moins sûr, car finalement, ces 4 laissés-pour-compte, qui souffrent de ne pouvoir être eux-mêmes au quotidien, peuvent se laisser aller entre eux à la tristesse, à dire leurs angoisses, à la crise de nerfs, ou simplement, compter les uns sur les autres. Ce qui fait le lien entre eux, c'est justement le fait d'avoir un projet dingue ( ils n'ont même pas conscience qu'en fait, ça s'appelle purement et simplement un attentat) et de trouver à chaque fois des raisons de le repousser. Car de complices, ils deviennent amis, ce qui leur manquait le plus à tous.
Donc un thème loin, très loin des amourettes habituelles, avec des sujets pas faciles, et en filigrane une critique de la société japonaise dans son ensemble, de la recherche de performance qui écrase les individus et leur sensibilité, de la nécessité de ne pas faire de vagues, même dans des cas graves, du harcèlement organisé ( l'ijime n'est pas implicitement cité, mais il plane dans le cas de Polaris). Le lycée est un microcosme carcéral - l'éditeur français fait référence dans la post-face à l'étude de Michel Onfray sur le décor carcéral des institutions d'enseignement- qui représente la société dans son ensemble. Les graphismes sont assez spéciaux, pas super mignons, mais c'est une caractéristique de cette mangaka très originale, donc on aime ou pas, mais elle a un style immédiatement reconnaissable, de série en série (à l'occasion il faudra que je parle de "l'infirmerie après les cours" de la même dessinatrice/ scénariste)
Le tome 2 est complété par "le dernier diner", un histoire de science-fiction par très réussie et un peu trop christique à mon goût: dans un monde ou n'existe plus ni pluie, ni soleil naturels, mais où l'on est habillé comme le petit Lord Fauntleroy, le bétail a été remplacé par des hybrides humains-bovins. Les vaches ont maintenant l'allure d'humains de très grande taille, doté d'oreilles de vaches. Et qui sont élevés pour leur viande. Un jeune humain va créer des liens d'amitié avec un veau, et refuser de le manger. Mouais, amitié sacrifice , tout ça, d'accord, mais le parti-pris de départ est quand même tiré par les cheveux: si on élève le bétail pour sa viande, en tout cas par ici, et si on le mange - enfin, à part les végétaliens - c'est bien PARCE QUE les bovins ne ressemblent pas à des humains. Donc des bovins humanoides, qui font preuve de jugement, de sensibilité, qui peuvent parler et essayer de fuir leur destin.. et tout ça sans que PERSONNE ne remette en cause cet état de fait, ben non, ça n'est pas convaincant. En fait, l'idée un peu boiteuse de départ aurait mérité paradoxalement d'être un peu plus développée ( un seul chapitre!) pour gagner en crédibilité. Là tel quel, on se demande où l'auteur veut en venir: allégorie sur l'esclavage? dénonciation de la consommation de viande? référence un peu relou a Jésus? ( car quand les japonais tentent d'exploiter les légendes - hé oui, je dis légendes! - chrétiennes, et c'est assez souvent, ça devient vite un gros bazar.
Donc, une courte histoire qui servait à faire le nombre de pages requises pour l'édition, mais tout à fait dispensable.
En tout cas hormis cet ajout peu convaincant, un manga que je recommande chaudement pour son sujet, sa dénonciation subtile de la pression sociale et ses personnages en marge qui tentent de s'en sortir.
Ca n'est pas un manga triste, mais il y est quand même question, même si les mots ne sont pas dits, de dépression nerveuse ( Rika), de pression sociale ( Polaris), de harcèlement au travail ( Jangalian), et d'enfants battus ( Kin-san). Sans compter leur projet d'attentat, et une petite référence à un problème de société japonais, juste incidemment mentionné, l'" enjo kôsai": les lycéennes qui "louent leur services" comme escort girls à des hommes plus âgés, en échange d'argent ou de cadeaux. Pas forcément toujours sans aller jusqu'à la prostitution d'ailleurs. donc oui, je crois que je tiens ma première (re) lecture à sujets " difficiles"
Après le seinen de janvier, un shôjo assez peu classique pour février. Je réfléchis pour mars: probablement de la SF
idée n° 10: une/des main(s): la main de Polaris, bien en vue sur le tome 1 |
Eh oui, tu avais plusieurs sujets difficiles. Tu as attisé ma curiosité sur cette lecture! Tu crois que c'est raisonnable comme première approche de manga?
RépondreSupprimerPourquoi pas.. Il a l'avantage d'être court, concis, sans traîner en longueur. Bon, il faut accrocher au style graphique un peu étonnant de l'auteur, et au fait de lire un livre en "commençant par la fin" mais oui, ce n'est clairement pas du manga shojô scolaire gentillet comme on pourrait s'y attendre.
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