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jeudi 25 juillet 2024

Colossale (BD 5 tomes) - Diane Truc et Rutile

 Voilà l'avantage de travailler en bibliothèque: je vois passer en emprunt et retour, ou je couvre et prépare des ouvrages qui seraient totalement passés sous mon radar sans cela.

Et c'est exactement le cas pour cette BD, que quelqu'un a rendue et que j'ai empruntée aussitôt, son sujet sortant de l'ordinaire m'a tentée.

BD, ou plutôt version papier d'un webtoon, que je ne connaissais pas, ce qui explique son format particulier (très gros tomes, découpés en chapitres, qui suivent et développent les personnages par petites touches). Après le style graphique est sympa, même s'il manque un peu de décors, mais très influencé par les manga. Et si je n'ai aucun problème avec les manga, j'ai un peu plus du mal avec le style et les références manga dans un cadre totalement européen, et il m'a fallu les deux premiers tomes pour m'y faire, suite à quoi ça se laisse lire très bien.


Le sujet? On y découvre Jade, 17  ans, elle est en fin de lycée. C'est une jeune femme issue d'une famille aristocratique, mais désargentée, et ses parents la poussent à fréquenter de sa catégorie sociale, dans l'espoir de la voir suivre le chemin tout tracé de ce qu'elle-même appelle avec un sens du sarcasme percutant "une dinde d'élevage": excellence lycéenne, suivie de, probablement, des études adaptées à sa catégorie sociale (on imagine droit, HEC, etc...), et surtout dès que possible, mariage  de convenance avec un jeune homme de même statut, pourvu qu'il soit riche. En attendant, on la pousse à écumer les rallyes mondains, à sympathiser avec des pimbêches et des m'as-tu-vu friqués qui la regardent de haut. Car Jade opte systématiquement pour des tenues ringardes, robes longues couvrantes, style bonne-soeur, qui la font considérer comme une sainte-nitouche. Mais il y a une raison à ce choix vestimentaire, qui n'est pas dicté par des convictions religieuses ou morale, mais par une nécessité: Jade dissimule ses muscles saillants, résultat d'une passion bien peu adaptée, dans l'idée de la société, à une jeune aristocrate. Elle est une fan absolue de musculation, et cache même cette passion à la limite de l'addiction à ses parents, leur faisant croire qu'elle va à la piscine. Alors qu'elle fréquente un gymnase, là encore, bien peu acceptable par ses pairs. On y trouve... des roturiers. Des fauchés. Des homos. Des femmes qui travaillent.
Ce qui donne à Jade une connaissance de la société que n'ont pas ses camarades, et bien qu'elle essaye de son mieux - mais avec beaucoup de gaffes - de cacher ce curieux loisir et sa force colossale, elle a quand même une certaine conscience sociale, qui la pousse a réagir lorsque ses vaniteux camarades se permettent d'humilier publiquement Alexandre, garçon d'écurie de la famille de l'insupportable et richissime Héloïse.
Tu las vois venir, la romance avec happy end entre la fille de famille noble et le roturier désargenté, liés par leur goût pour le sport?
Hé bien... pas vraiment, le scénario part dans d'autres directions, et si romance(s) il y a ce n'est pas ce que l'on pouvait attendre.


Et lorsque la famille de Jade la pousse, pour rattraper une énième bévue qui tourne en quiproquo général, à aller prendre des cours d'équitation chez Héloïse, elle accepte dans un seul but: revoir Alexandre, qui a attiré son regard. Alexandre est sympathique, grand, baraqué... et Jade s'est mis en tête non pas de le draguer, mais d'apprendre quel est son secret pour avoir réussi à développer une musculature aussi idéale (cherche pas Jade, les hommes et les femmes ne sont pas programmés pareil sur ce plan là, c'est la dure loi de la nature. D'ailleurs même à l'intérieur d'un même genre, nous ne sommes pas fichus pareil, c'est aussi la dure loi de la nature).
Cette rencontre va pourtant pousser Jade, tome après tome, vers une révolte qui couvait depuis longtemps. Depuis son enfance.
Elle voue d'ailleurs une admiration sans faille à sa tante Pénélope, ancienne banquière qui, suite à une grosse dispute avec son frère, a pris son envol vers le Brésil, pour assouvir son désir d'égalité et d'utilité en prenant part à des programmes sociaux. Pénélope est la seule qui se soit ouvertement opposé à son frère, le père de Jade, prêt à tout , y compris à sacrifier l'avenir de sa propre fille pour de l'argent. C'est grâce à Pénélope, à Léontine et Simon ses camarades de classe moins standardisés qu'il n'y paraît au premier abord, à Alexandre, et à ses amis du club de sport que Jade pourra trouver en elle la force, non plus physique, mais mentale, de s'opposer à ses parents et à ce qu'ils souhaitent " pour son bien", mais sans prendre en compte ses vrais souhaits à elle.

Ca reste une lecture légère, ce n'est pas non plus un roman graphique qui développe des thèmes profonds. Même si on découvre au fil des pages que la vie des autres n'est pas si rose non plus. La fille riche mais roturière peut s'épuiser en efforts, elle ne sera jamais pleinement intégrée chez les aristos. contrairement à la noble geek, qui est bizarre, mais quand même du "bon" milieu. Léontine, élevée dans une famille catholique pratiquante, bien qu'étant l'aînée, n'est "que" la fille d'une fratrie de garçons, donc, l'élément secondaire auquel ses parents ne prêtent même plus attention.

Et mine de rien, après 3 tomes plutôt axés sur la comédie sentimentale lycéenne, ce sont des sujets sociaux qui apparaissent: Alexandre est d'origine étrangère ( espagnol), élevé par une mère divorcée qui survit de petits boulots et a dû lui-même travailler dès la majorité, exactement le type de personne que la bonne société fait mine de ne pas voir. Simon est un "transfuge de classe", un petit bourgeois de fortune moyenne, qui, à force de dissimulation et de mensonges, a réussi à se faire passer pour noble et tremble de peur que ce secret ne soit un jour découvert. Pénélope a tenté d'aider, à sa manière, à rectifier la pauvreté dans le monde, mais en appliquant des techniques managériales pas du tout adaptées et s'est retrouvée en burn-out.
On y évoque aussi le mariage pour tous, qui ouvre les yeux de Jade sur le fait que les deux homosexuels qui se marient, alors que cette union était réprouvée pendant des siècles, sont un symbole de bonheur conjugal, tandis que la société dans laquelle elle vit ne cesse d'évoquer la "sainteté" des liens du mariage, tout en vendant ses enfants au plus offrant.
Ca reste humoristique, mais les appendices très clairs à ce sujet et, entre un chapitre bonus délirant et un tuto "musculation pour les noobs", parlent ouvertement de promotion sociale, de plafond de verre, de "l'industrie du bien être" et de ses dérives sectaires, de l'utilisation des produits dopants dans le sport. Et ce de manière plus du tout comique, car ce sont des sujets qu'il est important de traiter avec sérieux. En commençant le tome 1, je ne m'attendais clairement pas à trouver dans les appendices du tome 5 une références à la Miviludes. Et je suis à peu près sûre que les autrices ne l'avaient pas non plus en tâte au départ, le tome 1 faisait quand même plutôt penser à une comédie de type shojô.
Elles se permettent même de citer la chaîne youtube G Milgram, que je ne peux que conseiller. Il s'agit d'une chaîne qui  dénonce les arnaques pyramidales et les babioles de bien être hors de prix, qui peuvent avoir des effets catastrophiques quand un malade du cancer s'en remet à une arnaque quantique (version 2.0 de "magique") lui promettant mots et merveilles, au lieu de prendre ses médicaments.
Là encore, je ne pensais pas trouver une telle mention en commençant et c'est une excellente surprise dans l'ensemble. Il n'y a que 5 (gros) tome, et la série est finie, donc là aussi, c'est quelque chose qui a un début, une évolution et une conclusion, et non un nombre effarant de tomes indépendants.

Ici, une interview des autrices ( avec plein de fautes de frappe, parce que C News n'est pas très regardant!)

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