Après Pouchkine, Tchekho, 3° auteur: Tourgueniev. Ca tombe bien j'avais lu quelques titres de cet auteur que j'avais plutôt apprécié. apparemment, il ne laisse pas indifférent, un de mes correspondants russes le déteste.
Mais donc 3° essai, sur un texte encore plus long que les deux précédents, et je confirme deux choses que j'avais supposées: l'auteur est plus à l'aise sur les récits longs, et il fait preuve d'un humour assez noir auquel j'accroche bien. Je m'étais demandé si c'était le fait du traducteur, mais.. 3 ouvrages, 3 traducteurs différents de différentes époques et 3fois le même ressenti, Donc ce doit bien être une question de style personnel. Qui fait que j'ai définitivement abandonné mon préjugé d'un auteur de romans un peu mièvre dans la veine du romantisme à l'eau de rose.
Du bon sentiment il y en a mais.. pas étouffant, pas omniprésent, pas " cucul-la-praline"
Des descriptions de paysages magnifiques , il y en a aussi mais peu importe l'action, ils ne sont pas là pour refléter les états d'âmes d'un personnage geignard (René, oui c'est à toi que je pense!)
Et en fait,j'ai presque eu l'impression par moment de lire du Maupassant , et de fait, Tourgueniev est classé parmi les auteurs réalistes, est venu en France et a sympathisé avec des gens comme Flaubert, Zola, Daudet et Maupassant entre autres. Donc le rapprochement n'est pas absurde.
l'étudiant Arkadii Nikolaievitch, 24 ans, rentre dans sa famille pour les vacances, flanqué d' Evguenii Vassiliev Bazarov, camarade légèrement plus âgé, qui rentre dans son village après avoir passé son diplôme de médecine. comme Bazarov se rend un peu plus loin, Arkadii, qui l'admire et le considère comme une sorte de mentor, l'a invité à faire une halte et à passer quelques jours chez lui avant de poursuivre le voyage.Voilà pour la génération des fils.
Le père d'Arkadii , Nikolai est un brave homme, un veuf qui vit avec une jeune femme d'origine modeste qu'il n'a pas épousée mais avec qui il a eu un enfant, et son frère Pavel. Nikolai et Pavel sont de petite noblesse désargentée,et vivent à la campagne, mais bien que d'âge proche, ils sont très différents.
Nikolai représente le courant romantique, il vit à la campagne, admire les plantes et les couchers de soleil, joue du violoncelle pour se détendre et anticipe les réformes agraires qui annoncent l'abolition du servage.
Pavel est un gentilhomme raide comme la justice, d'une élégance raffinée héritée du temps où il vivait en ville qui parait vaguement ridicule et le fait passer pour un original. Il déteste le désordre et a des principes moraux stricts qui font qu'il voit d'un mauvais oeil le ménage "à la colle" de son frère avec une fille de la campagne (oubliant un peu vite son passé de séducteur). Pavel c'est l'incarnation de l'époque de l'anglomanie et de la gallomanie, qui truffe ses phrases de références érudites et de citations en français.
Arkadi et Bazarov sont des "hommes nouveaux", plutôt slavophiles et .. nihilistes. Enfin,surtout Bazarov, Arkadii suit le mouvement, et Bazarov n'hésite pas à se moquer régulièrement de lui en lâchant le pire qualificatif possible:"Romantique!"
Autant dire qu'entre Bazarov le nihiliste athée qui ne respecte rien et ne jure que par la science et l'oncle Pavel qui ne comprend même pas que l'on puisse être athée, la situation est vite à couteau tiré d'autant que Bazarov est un peu parasite pique-assiette, du genre à s'incruster pour longtemps.
Tandis que Nikolaï et son fils qui sont un peu dans le même état d'esprit s'entendent à merveille ( Nikolaï est un père comme j'aurais aimé avoir: sympathique,de bonne humeur, bienveillant.. tout le contraire de ce qu'était mon sinistre paternel) et essaye autant que possible de limiter les frictions entre deux caractères aussi opposés.
Les deux étudiants finiront par partir lorsque Bazarov qui s'ennuie à la campagne se souvient qu'il doit aller voir ses propres parents, de braves roturiers pauvres, mais qui l'adulent - ce qui est encore pour lui d'un ennui mortel. La visite aux parents Bazarov sera tardive et courte, car entre temps, les deux compères vont s'incruster ailleurs, chez la riche veuve Odintsov et sa soeur, Arkadii parce qu'elle lui plaît et qu'il espère la séduire, Bazarov pour s'occuper, manger et boire à l'oeil. Madame Odintsov les a invités surtout car , en tant que dame de la noblesse campagnarde, la fréquentation des citadins lui manque, et le nihilisme des " jeunes" l'intrigue et l'amuse. Cette rencontre sera le point de départ d'une brouille ou plutôt d'un détachement progressif entre Arkadii et Bazarov qui se lasse d'un acolyte qu'il ne peut pas entièrement mouler à son envie. et Arkadii qui se rend vite compte qu'en amitié aussi " loin des yeux, loin du coeur"
Et donc, parfois, une lecture imposée s'avère une bonne surprise. Parce que Tourgueniev détourne les motifs littéraires habituels: un duel parfaitement ridicule, pour un motif ridicule, et qui se finit de manière ridicule ( et parodie donc celui d'Eugène Oneguine, qui était déjà traité avec un certain détachement satirique par Pouchkine), une tombe solitaire d'un homme mort jeune, qui est forcément un écho à la description de celle de Lenski dans Eugène Oneguine donc. A ce détail près que si chez Pouchkine, les passants on une pensée émue pour le personnage mort tristement jeune, chez Tourgueniev, la tombe solitaire est régulièrement visitée par les moutons qui paissent dans le champ d'à côté ( détail qui, je pense, en dit long sur le décalage avec le mouvement romantique). Le personnage qui git d'ailleurs sous la dalle, que tout le monde pensait promis à un brillant avenir est d'ailleurs mort dans une circonstance particulièrement ironique.
Et l'auteur conclut son histoire " deux mariages et un enterrement" avec un "là, normalement je devrais arrêter mon récit, mais c'est toujours frustrant de ne pas savoir ce que deviennent les personnages".. et hop quelques pages pour nous expliquer qu'ils vécurent pour la plupart une vie passablement terne et ennuyeuse ( du style "la riche veuve a fini par se remarier avec un homme jeune particulièrement inintéressant. Peut être finiront-il avec un peu de chance par s'aimer un jour,qui sait...")
Oui j'aime bien ce genre de situations qui cassent le quatrième mur et montre que l'auteur n'est pas dupe de son métier d'écrivain et met le lecteur dans la confidence de ne pas trop prendre tout ça au sérieux.
Puisque de toute façon, tout au long du récit, tout le monde est ridiculisé ou se révèle l'opposé des conventions à plus ou moins brève échéance ( même la gentille Katia : douce, gentille délicate, timide, effacée devant son impressionnante soeur dont le charisme lui fait un peu peur... l'incarnation de la jeune fille pure et idéale... qui révèle un caractère inflexible et un orgueil rare: " puisqu'il qu'il paraît que j'ai de joli pieds, il rampera devant eux avant peu!")
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