Il faut dire qu'en général, je n'ai pas beaucoup d'affinités avec Victor Hugo: j'ai du m'enfourner dans le crâne ses loooongs poèmes quand j'étais à la primaire et les analyser au collège. Ces alexandrins parfaits, aux hémistiches bien réguliers, aux rimes plates ( et rarement le terme de rime plate ne m'aura paru plus adapté au propre comme au figuré) ou au mieux enchâssées, aux thèmes qui ne m'intéressent pas ( et avoir du me taper un commentaire de texte au lycée sur Booz endormi et ses 22 strophes n'aide pas).
SAUF, 2 poèmes: les djinns pour sa forme graphique qui préfigure un peu les calligrammes, et demain dès l'aube, où il laisse enfin tomber la mythologie et l'ancien testament pour un sujet simple qui le concerne, sans artifices.. et donc je me sens plus convaincue aussi.
Pour les romans, c'est à peu près pareil, j'ai souvenir d'un ennui profond à la lecture de Notre Dame de Paris et ses descriptions en long et en large de Paris depuis les tours de Notre Dame.. Au Moyen-âge, à la Renaissance, puis au XIX° siècle, tiens ce bâtiment la a été détruit par machin, en telle année, et avant il y avait ça... et pour des phrases aussi lourdes que que "L'un de ces deux squelettes, qui était celui d'une femme, avait encore quelques lambeaux de robe d'une étoffe qui avait été blanche, et on voyait autour de son cou un collier de grains d'adrézarach avec un petit sachet de soie, orné de verroterie verte, qui était ouvert et vide."
Dis-moi Vic', tu étais payé à la page, ou au mot non?
Par contre j'ai toujours préféré ses textes politiques, que je trouve beaucoup , beaucoup plus intéressants et percutants. Et lors qu'il s'attaque aux problèmes sociaux, là, oui, j'adhère. Enfin, pas à 100%, mais c'est déjà plus mon truc.
Claude Gueux, je ne l'avais jamais lu, mais de mémoire j'en avais vu une adaptation en téléfilm il y a quelques années, qui mettait surtout en avant l'engrenage dans lequel Claude l'ouvrier se retrouve pris, devenu voleur par nécessité pour ne pas mourir de faim et condamné à 5 ans de prison pour ça, et le cheminement qui l'amenait à commettre eu meurtre. Donc une version qui mettait surtout en avant la disproportion de la punition face au crime ( vol pour se nourrir), le harcèlement moral dont il est victime et l'idée centrale était donc l'idée que le crime résulte avant tout de la misère.
Or j'ai de bons copains qui font du théâtre et l'ont mis en scène en prenant une orientation tout autre.
Donc après avoir vu leur version, je me suis procuré une édition e-book gratuite, la nouvelle fait 38 pages.
C'est donc parti pour la nouvelle:
Claude Gueux, un ouvrier pauvre mais sensé est contraint par la misère de voler pour nourrir sa famille. Le résultat sera 3 jours de nourriture pour la famille et 5 ans de prison pour Claude, qui se retrouve interné dans une prison atelier où il travaille en plus de purger sa peine. Comme Claude est un ouvrier travailleur et efficace, il gagne vite l'estime de ses codétenus sur qui il prend un ascendant que lui envie le directeur de la prison, un type mesquin, un fonctionnaire borné et étriqué, qui malgré sa position sociale, n'a jamais pu se faire obéir. Le directeur déteste donc Claude qui a une influence que lui n'a pas, et se met à faire du harcèlement moral sur lui, jour après jour, mois après mois, et le sépare d'Albin, un autre détenu, le seul ami que Claude n'ai jamais eu. Ni les supplications, ni les prières, ni rien ne peuvent infléchir le fonctionnaire jaloux, qui continue à narguer les prisonniers, la seule solution que Claude voit pour arrêter cette torture mentale est aussi simple que très bête: assassiner le directeur. Sous les yeux de nombreux témoins, ce qui évidemment équivaut à se condamner à mort, et la conclusion donnée par Victor Hugo est à la fois une charge contre la justice aveugle qui au XIX° siècle ne connait pas l'idée de circonstances atténuantes ni de légitime défense, contre la peine de mort et le bagne, et contre les mesurettes prises par les divers gouvernements qui préfèrent punir plutôt que guérir. L'enchaînement de circonstances qui conduit un ouvrier honnête au vol, à la prison et pour finir au crime est cause de la misère , certes mais aussi du manque d'éducation. Et pas seulement de la population en général, la bêtise crasse des édiles ignares en prend pour son grade.
Il me semble bien que la version TV évacuait presque totalement cette idée de lutter cotre la misère par l'éducation.
L'affiche de 2014, mais le spectacle a été repris la semaine dernière, en tout cas, voilà l'intention de la compagnie. et leur page facebook |
Celle mise en scène par la compagnie de la Mouvance se concentre davantage sur cette idée de donner à la population ouvrier des clefs pour s'en sortir via l'éducation... Ce qui est tout à fait dit dans la nouvelle, une manière de lutter contre le plafond de verre en quelque sorte, un concept qui s'il n'avait pas encore ce nom, existait déjà, la ségrégation sociale: tu es né pauvre, reste-le.
Par contre, là où la nouvelle se contente de narrer l'histoire de façon objective, la solution retenue au théâtre est de donner la parole directement à claude, et de transformer le discours final d'Hugo en plaidoirie de l'avocat de Claude. Solution simple, mais efficace pour une mise en scène à un seul acteur.
L'autre bonne idée est d'évacuer ce qui m'a quand même gênée aux entournures dans la nouvelle: un angélisme un peu datées, une présentation de Claude un peu trop christique ( le passage où il partage ses maigres affaires entre ses camarades avant d'assassiner le directeur est une transposition de la cène qui crève les yeux tellement elle est peu subtile, avec une jeune ouvrier qui se met à pleurer façon saint Jean l'évangéliste), et la conclusion qui se focalise sur une seule éducation: religieuse. C'est écrit noir sur blanc: le livre à lire c'est la bible, et les ouvriers miséreux ne sombreront pas dans le crime si ont remet aux centres de leurs préoccupations le paradis et l'espoir d'une vie future meilleure.
QUOI?
Oui, je pourrais critiquer cette vision simpliste en long et en large, je vais me borner à souligner que la nouvelle date de 1834, et que l'histoire s'est chargée de prouver en 1834 à Lyon, en 1848 et en 1871 à Paris, pour les dates les plus connues, que lorsque le peuple en a vraiment marre de la misère, ce n'est pas en lui parlant de religion et de bible qu'on arrive à le calmer. Du coup, si le texte est toujours percutant et a gardé son caractère novateur au niveau de l'idée, c'est, au vu de ce qui a suivi, la solution prônée par Hugo qui semble une emplâtre sur une jambe de bois, et une demie-mesure pas plus efficace que celles prises entre les élus que critique Hugo.
Un jour il faudra que je lise les Misérables, mais la longueur m'a toujours un peu dissuadée. Mais au moins pour voir comment l'auteur a remanié ses propositions un poil naïves à l'aune de l'actualité de son époque.
En tout cas la solution: remettre la bible et le paradis au centre des préoccupations des ouvriers n'est plus possible pour une adaptation TV ou théâtre au XXI° siècle, donc c'est une bonne chose que les deux versions aient mis en avant les autres problématiques soulevées par le texte (les passages contre la peine de mort auraient pu être dits textuellement au XX° siècle, puisque le dernier condamné à été décapité en 1977, et la peine de mort abolie en France en 1981 seulement)
Mais malgré tout, j'apprécie beaucoup, beaucoup plus la plume de l'auteur quand il décide d'être sarcastique, contre les fonctionnaires, contre les idiots, contre les édiles qui regardent le peuple de haut. On n'est pas encore dans l'engagement d'un Jules Vallès, mais les choses s'amorcent.
Ah, oui que ce soit clair, avec un texte pareil je vais encore avoir des demandes de collégiens et lycéens donc: non, je ne fais pas de résumés, non, je ne fais pas vos devoirs, ce n'est même pas la peine de demander, je ne répondrai même pas.
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