Et à la lecture de cet opuscule, édité chez Points, je vois mieux pourquoi.
Parce que ce que nous dit Jane Gardner, c'est que, justement la mythologie romaine est à la fois très semblable sur le fond à la mythologie grecque, mais assez différente en pratique.
Les dieux sont quasiment les mêmes que les dieux grecs, vu la propension à la religion romaine à intégrer facilement les dieux des pays conquis, et dans un cadre polythéiste, ça ne posait franchement de problème à personne d'en rajouter un ou deux de plus, c'était même la réponse classique des devins en cas de conflits, épidémies, catastrophe naturelle: créer un nouveau culte.
Mais également, ce qui intéressait le pratiquant romain, ce n'était pas de savoir quel dieux avait quelle parenté avec quel autre, ni leurs conflits, etc.. mais seulement quel dieu invoquer pour gagner une guerre, ou éloigner la maladie, ou avoir des enfants, et comment l'invoquer. D'où une flopée de sources sur les dates des fêtes religieuses, les rites extrêmement précis, mais rien en particulier sur les dieux en général. Ce qui conduisait parfois les gens de l'époque a adopter une religion plutôt théorique, j'ai presque envie de dire une superstition pure et simple: faire ceci pour tel résultat, ne pas faire cela pour éviter telle catastrophe etc... du moment qu'on se concilie les dieux, ils peuvent bien faire ce qu'ils veulent de leur côté.
Donc pas de généalogies divines farfelues, pas d'histoires truculentes à leur sujet. en fait, j'ai presque l'impression que ça n'était pas nécessaire, les romains lettrés connaissant le grec et les mythes grecs pouvaient assez facilement se référer aux sources grecques, d'où pas besoin d'en rajouter.
En fait, nous explique l'auteur, ce qui compte c'est la grandeur de Rome, de ses familles patricienne, et le vrai sujet des quelques légendes tourne toujours autour de ça, quitte à enjoliver pour mettre en valeur un ancêtre et faire remonter les plus illustres familles aux temps héroïque, afin de justifier la prise de pouvoir. Ce n'est jamais que ce qu'on fait quelques bons siècles plus tard nos monarques de droit divins: la gens Iulia était très fière de se dire descendants de Iule, alias Ascagne, fils d'Enée, petit fils d'Anchise et Venus.
Un héros et une déesse dans les ascendants, il ne restait plus qu'à faire intervenir Mars à un autre endroit de la généalogie pour justifier la prise de pouvoir du Jules le plus célèbre, qui a très logiquement fini lui même divinisé en triade avec ses deux ancêtres, par Auguste, son neveu, qui rappelait à l'occasion à tout le monde sa propre légitimité à régner. Fûté!
Aucun souci donc pour les chroniqueurs à tordre plus ou moins un mythe pour mettre en valeur par exemple son protecteur ( l'auteur nous parle de Virgile, qui n'hésite pas à reprendre la description du bouclier imagé d'Achille dans l'Illiade , pour en donner une version à la gloire d'Auguste). Ou a reprendre au compte de Rome des légendes locales Etrusques, Volsques, Sabines en donnant le beau rôle aux romains.
D'où une profusions de versions différentes d'un même mythe, exemple, la fondation de Rome (soit par Enée, pour ceux qui veulent mettre en avant des origines grecques, soit par Romulus et Rémus pour les descendants de peuples locaux, soit une version hybride qui fait de Romulus et Remus les descendants d'Enée, en trafiquant un peu la temporalité pour combler les trous entre deux légendes qui se passent à plusieurs siècles d'écart.
Le but étant toujours de mettre en valeur soit Rome en tant que lieu élu des dieux, soit l'esprit romain et ses valeurs. l'autre grand courant des légendes met donc en scène un héros, ou une héroïne particulièrement courageux/ honnête/ généreux...en général à la demande d'une famille patricienne qui espère que la gloire d'un ancêtre célèbre rejaillira sur elle (je suis même prête à parier que beaucoup de ces ancêtres héroïques ont été créés de toutes pièces par un chroniqueur contre argent sonnant et trébuchant)
Et troisième type évoqué: les légendes explicatives, crées de toutes pièces ou sur la base d'une vague ressemblance de nom, pour expliquer une toponymie dont plus personne ne connaît l'origine ( l'exemple donné est celui de la roche tarpéienne, ou étaient exécuté les coupables de trahison. On ne sait pas pourquoi elle s'appelle comme ça, donc on brode l'histoire de Tarpéia qui aurait trahi son peuple lors de l'enlèvement des sabines). Ou un surnom familial: la gens Scaevola ( le gaucher) préférait faire remonter son surnom a un ancêtre ayant perdu une main dans une circonstance héroïque, en servant la patrie, plutôt que dans des circonstances douteuses qui peuvent faire penser à une punition de crime.
Et donc, on reste dans le même cadre: le mythe doit servir la grandeur de Rome, au moins en théorie, et non les ambitions personnelles, bien que le détournement politique soit fréquent.
Cet ouvrage court est assez, intéressant, car il met en avant tout ce cadre politique, c'est, je pense, une bonne mise en condition avant d'aborder les mythes eux-mêmes, qui sur un plan purement légendaire risquent de paraître platounets en regard de leurs modèles grecs
prochaine étape romaine donc: j'hésite entre l'Eneide ( qui parait logique, puisque je suis en train de finir l'Illiade), ou peut être les vies des douze Césars (personnages historiques, certes, mais bien dans la logique de mythification du fait politique, puisque plusieurs d'entre eux on été divinisés et en tout cas, remaniés pour paraître héroïques). a moins de trouver quelque chose de spécifique sur les Etrusques.
et aussi, une lecture pour le défi Rome de Céline!
billet rétrospectif |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire