Et voilà une lecture inattendue qui s'est glissée dans mon programme halloween.
Pour les besoins d'un examen sur l"'autobiographe en littérature russe", j'avais une liste de titres possibles. Un à choisir et une analyse à en faire ( stylistique, ce qui impose de le faire sur le texte d'origine en VO). Mais comme je n'ai vraiment pas le niveau piur un long texte en russe, j'ai en parallèle lu la traduction.
Après avoir d'abord cherché si la médiathèque de ma ville disposait d'un des ouvrages à choisir ( et sur la dizaine de titres, il n'y en avait aucun), j'avais d'abord opté pour " journal d'une écolière soviétique": en rupture de stock. Puis la prose autobiographique de Marina Tsvetaeva: un pavé à plus de 25 euros.
donc Boulat Okoudjava était mon troisième choix et par chance, il s'agit d'un recueil de nouvelles, plus facile à lire quand on manque de temps. Mais évidemment, après l'exament de juin, j'ai traîné, traîné et.. oups, faudrait peut être que je le finisse avant de partir quand même...
Mais double bonus:
d'une part j'ai parlé de cet auteur dans le sujet sur la Géorgie, et ça me permet de marquer le coup de l'anniversaire de l'indépendance par une lecture d'un auteur russophone, mais non russe. Et les nouvelles se passent pour certaines à Tbilissi.
D'autre part c'est l'occasion de découvrir une autre facette de l'auteur, que je connaissais comme chanteur/ compositeur, extrêmement important dans la culture de l'époque soviétique: l'écrivain de prose.
Une lecture pour accompagne la dégustation des aubergines aux noix ( sujet précédent!) |
Première nouvelle: La femme de mes rêves. Ce n'est pas ce que vous croyez. Derrière ce titre d'histoire d'amour se cache une... histoire d'amour. Familiale.
Le narrateur, dans la vingtaine, va retrouver sa mère, qu'il n'a plus vue depuis l'âge de 12 ans, et se demande à quoi elle va ressembler. Pour lui, qui a beaucoup changé en 10 ans, étant devenu adulte, il imagine une petite vieille, très différente de la mère de ses souvenirs d'enfant. C'est bien sûr cette mère presque irréelle, la femme de ses rêves.
Mais "la femme de mes rêves" est aussi le titre d'un film allemand qui passe à Tbilissi, une comédie. Le narrateur a donc prévu d'amener sa mère au cinéma voir le film, pour lui changer les idées et en guise de retrouvailles.
La mère n'a pas beaucoup changé physiquement, mais elle a beaucoup changé mentalement. elle ne répond pas aux questions ou très laconiquement et semble mutique. Le film allemand la met mal à l'aise. Ce que le fils, tout à sa joie de la retrouver n'a pas compris, car on lui avait caché l'endroit où elle se trouvait: soupçonnée d'espionnage elle a a été retenue prisonnière en camp pendant tout ce temps. Elle a appris à se taire et se méfier de tout et de tous pendant 10 ans, ce n'est pas facile de reprendre une vie normale . (situation tout à fait authentique arrêtée à la mère de l'auteur, arrêtée quand il avait 14 ans, et qui de l'a revue que 10 ans plus tard)
Et cette nouvelle est adorable: le fils et la relation avec sa mère, son envie de tout faire au mieux, sa joie de retouver " sa maman à lui", son enthousiasme et son expression enfantins, ses espoirs un peu naïfs, l'humour ironique mais affectueux de la narration... c'est une très jolie découverte, si le sujet est sérieux, il est traité avec un ton léger. En tout cas la sincérité de l'auteur, via son narrateur, ne fait aucun doute.
Alors petit problème cependant, en comparant le texte d'origine et la traduction, beaucoup de passages n'ont pas été traduits, et c'est dommage, parce qu'on perd des clefs de lecture ( le narrateur fait un parallèle entre l'actrice du film qu'il a adoré, et sa mère, les deux se brouillent dans sa tête, de même la raison pour laquelle il a choisi précisément ce film et pas un autre est élidée, c'est quand même ballot. Alors oui, il y a des répétitions et ça peut paraître anecdotique au milieu du reste, mais l'auteur ne l'a pas écrit pour rien, et c'est son style, pour montrer que le personnage souffre tellement de la séparation qu'il se raccroche à ce qu'il peut pour ne pas déprimer. La nouvelle est assez courte, le livre en français fait 181 pages en tout, une ou deux de plus n'auraient pas été de trop)
Les deux suivantes " le matin dore d'une tendre lumière..." et " leçons de musique", sont encore plus ouvertement autobiographiques ( puisque le nom "Okoudjava" y est mentionné, déformé en Okoudjabo par un militaire russe un peu borné, qui ne se fait pas à l'idée que ce nom de famille géorgien puisse désigner un homme. La déclinaison en -va des noms de famille russes étant en effet féminine, mais c'est différent en géorgien. La langue ne connait pas les genres grammaticaux, donc son nom n'est ni féminin, ni masculin. Et il n'est pas plus déclinable en russe que les noms en -vili ou en -dze courants en Géorgie, car le russe ne dispose pas de cette possibilité: les noms de famille étrangers se teminant par une forme possible en russe sont déclinables, les autres noms ne le son pas. Mon nom français qui se termine en -et, prononcé "é", est transcrit " e" et.. indéclinable)
Le matin tire son poétique titre d'une chanson soviétique et nous raconte comment le narrateur et un ami, âgés de 17 ans, ont fait des pieds et des mains pour être enrôlés volontaires dans l'armée, lors de la seconde guerre mondiale, alors qu'ils étaient trop jeunes pour être réquisitionnés.
Leçons en est la suite directe et raconte la formation militaire à la dure du narrateur, qui ne se rend pas vraiment compte que le miitaire borné a pitié de lui, maigrichon et mal nourri, et tente de le dissuader d'aller au front, préférant en faire un instructeur pour les nouvelles recrues, souvent plus âgées que lui. La "musique ici " sont les consignes maintes fois entendues de l'instructeur, qu'il doit à son tour "entonner" pour les nouveaux. Consignes qui lui font l'effet d'une chanson, chantée par un autre voix que la sienne, tant elles sont en décalage avec sa réalité humaine.
La vie privée d'Alexandre Pouchkine ou le nominatif dans l'oeuvre de Lermontov: oui c'est le titre! On retrouve notre peu lorieux narrateur après ses études de lettres, mollement poursuivies, se livrant tout entier à son penchant pour la flemme. Et pourquoi se démener, quand le fait d'avoir été blessé au front lui ouvre toutes les portes? Il se voit déjà chargé d'un bon poste à Moscou, prend le melon, et pourtant, il se retrouve envoyé comme professeur de littérature en province, ce qui lui déplaît. Pour éviter ça, il prétend devoir rester en ville pour écrire une thèse sur "le nominatif dans l'oeuvre de Lermontov". Le pipeau ne prend pas, il se retrouve nommé titualire de chaire de littérature à l'université de Trouperdu-sur-Gadoue, et son premier fait d'armes sera d'apporter la connaissance aux masses laborieuses, c'est à dire de faire une conférence devant des employés de kolkhoze. Au pif, il déclare vouloir la faire sur la vie privée d'Alexandre Pouchkine, ne prend pas la chose au sérieux, ne préparer rien et se retrouve le jour de la conférence. Le malaise et la honte qui s'emparent de lui lorsqu'il doit improviser vont un peu le faire redescendre sur terre et enterrer son orgueil. Ca rappelle un peu la conférence sur "les méfaits du tabac" de Tchékhov. En tout cas l'auteur ne cache ni sa bétise, ni son arrogance passées et ne se donne pas le beau rôle.
Quelques échecs parmi de totales réussites: Et on continue, notre orgueilleux est maintenant professeur dans une école de banlieue, vivote avec un petit salaire, mais vient quand même de se payer un beau manteau d'occasion, étranger. Ce qui le fait visiblement passer pour plus riche qu'il n'est. Et lorsqu'il décide avec un ami d'aller draguer des filles à Moscou, pour essayer de se dégotter une petite amie, il va tomber de haut: entre celles qui ne le regardent même pas, celles qui font semblant d'être intéressées mais se pour se moquer des deux don juan de pacotille, et celle très malhonnêtes qui se font inviter dans le restaurant le plus cher, prennent les plats les plus onéreux et se font entretenir... les réussites du titre son bien évidemment ironique. Le séducteur déconfit va devoir laisser son manteau en gage pour payer la note du restaurant. et ne reverra jamais aucune des donzelles qu'il a régalées. Mais dans le fond, on peu difficilement le prendre en grippe: c'est un sentimental, qui se fait pigeonner car il vit dans ses rêves et ne voit pas la rouerie, persuadé qu'il est de ne pouvoir tomber que sur une femme bien. Et de nouvelle en nouvelle, la vie se charge de lui donner les coups de pieds aux fesses mentaux, pas forcément mérités, mais nécessaires.
Le manteau: Voilà un titre qui fait immédiatemment penser à Gogol. Et de fait pour le narrateur/ auteur, la quête d'un nouveau manteau va devenir une obsession. Pas n'importe quel manteau, il en a un déjà: chaud, mais très moche et peu digne d'un enseignant, même d'un enseignant de province.Il rêve d'un manteau de cuir ( sans cacher que c'est surtout par orgueil qu'il fait ce caprice) Le mari d'une de ses collègues de travail va l'entrainer dans uen aventure rocambolesque: acheter des peaux de veau non tannées à l'abattoir, les saler pour les conserver et les amener chez un tanneur, assez loin de là, qui les leur préparera. Evidemment rien ne se passe comme prévu, et pire, les deux compères, considérés comme suspects, parce qu'ils ne sont pas de cette ville, sont repérés par la milice. L'autre gars arrive à s'esbigner discrtement, mais le malchanceux Boulat va passer la nuit chez les flics, sans savoir même ce qu'on lui reproche. car le fond de la nouvelles, moins que la quête non aboutie du manteau, c'est bien l'ambiance permanente de suspicion qui régnait en URSS dans les années 50. Il est d'ailleurs fait régulièrement référence à "l'autre géorgien moutaschu", celui qui souriait partout dans un cadre et que le narrateur se refuse à nommer.
Comment Ivan Ivanitch rendit tout un pays heureux: LA seule nouvelle du recueil qui ne soit pas à la première parsonne. Elle met en scène Ivan Ivanytch, employé d'une société, au moment de la perestroïka. Il n'a rien qui sorte de l'ordinaire, c'est un type normal, le plus banal du monde, souffre-douleur de son directeur, qui n'aime rien tant qu'écraser les plus faibles que lui. Mais Ivan Ivanytch a un loisir: fabriquer des cadres en bois sculptés, et il est excellent dans ce domaine. Un de ces cadres tombe on ne sait comment dans les mains du directeur d'une grande société japonaise, dont la passion est la peinture. Le cadre est parfait pour une de ses oeuvres, il décide donc d'inviter Ivan Ivanytch qui n'est jamais allé ailleurs qu'en URSS, à venir au Japon pour l'anniversaire de la firme. Le directeur est mortifié, car au bon vieux temps de l'URSS, c'est lui qui y serait allé, et non un employé insignifiant.
Maix voilà, Ivan, accepte l'invitation et découvre un tout autre monde, où son travail est apprécié, où les gens sourient ( au départ il prend les hôtesses de l'air pour folles, car un diction russe dit " celui qui sourit sans raison est soit un fou soit un idiot"), où son point de vue est écouté...
Evidemment, c'est une allégorie: un soviétique moyen qui n'a jamais connu que l'URSS arrive par hasard à découvrir un pays étranger, qui n'est pas le monde de perdition qu'on lui a fait croire.
Et le symbole de cette découverte est La matriochka: Ivan n'a pas eu le temps d'en acheter pour les gens qui l'ont invité, .. mais il va découvrir un magasin russe au Japon qui en vend. Et le symbole de son pays lui parait être là-bas terriblement factice, ces poupées, toutes les mêmes, toutes inexpressives comme le sont ses compatriotes n'ont aucun succès au Japon ( si Ivan avait su que.. véritablement, le symbole de la Russie est inspiré d'un objet traditionnel précisément japonais, quelle ironie!)
Une très sympathique lecture, j'ai bien choisi ( et j'ai réussi un magnifique 20/20 à mon épreuve de l'ittérature, en analysant la première nouvelle, ça ne m'était jamais arrivé en fac, trop fière de moi!). elles sont plus profondes et ironique qu'il n'y parait à première vue, et il s'en dégage souvent quelque chose de tragique derrière l'humour.
Bravo pour ton épreuve ! Tu sembles avoir passé un bon moment de lecture.
RépondreSupprimeroui, et ce n'est pas courant de pouvoir lire de la littérature géorgienne même si l'auteur était d'expression russe ( et multiculturel, puisque le petit neveu du poète arménien Vahan Terian... que je n'ai pas lu, et je ne suis pas sure qu'il soit traduit en français, tout ce que hje trouve ce sont des traductions en anglais.
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