Bienvenue amis curieux!

Pourquoi le Cabinet de curiosités?

Tout simplement parce qu'on y trouve un peu de tout, par ordre de pagaille. Cette idée de collection sans thème déterminé me plaît...

Vous trouverez donc ici un peu de tout, de ce qui fait ma vie, mes loisirs: musique, lecture, voyages, etc...
Bonne lecture

Qui passe par ici?

Flag Counter

dimanche 2 février 2025

Avoir et se faire Avoir - Eula Biss

 Curieux titre qui m'a interpellée, il s'agit d'un faux roman/ récit, composé de minis chapitres qui ont plutôt la forme de chroniques qui pourraient être publiées dans des journaux, chacune étant une piste de réflexion de l'autrice. Jusqu'alors locataire dans un quartier pauvre et assez mal famé de Chicago, elle son déménagement dans une maison qu'elle vient d'acheter dans un quartier même pas riche ni bourgeois, mais disons " classe moyenne" est l'occasion de réflexions variés sur la consommation, le fait d'être propriétaire ( c'est encore un graal social aux Etats Unis), d'avoir des objets pratiques ( machine à laver, voiture, meubles..) mais non vitales, choses qu'elle n'avait jamais eu auparavant - moins par moyens que par choix de vie - est l'occasion de diverses réflexions sociales. Parfois basées sur une discussion avec un voisin, un objet vu en vitrine ou chez des amis, une lecture,  un slogan absurde vu dans un catalogue, etc...

Et bien que l'autrice soit une américaine blanche de Chicago, sa réflexion l'emmène souvent à interroger, mentionner les conditions de vies des afro-américains, donc je l'intègre dans le mois afro américain en marge des auteurs pleinement afro-américains, d'autant que beaucoup de ses références sont féministes et antiracistes. En tout cas j'ai découvert quelques noms d'auteurs et d'autrices à chercher.

Consommation:

Le quartier pauvre était le royaume de la débrouille et de l'entraide, le nouveau quartier, où tous sont propriétaire, est beaucoup plus froid, humainement.. Est-ce que le gain de confort n'a pas été la perte d'une plus grande richesse, humainement. Est-ce que je vais devenir une connasses en convoitant des objets. Eula analyse donc les changements que cause chez elle ce nouveau statut de propriétaire;: habituée à la précarité, elle n'arrive pas à se décider pour du durable, passe des heures à choisir une peinture murale parmi des centaintes de teintes quasiment pareilles aux noms si absurdes qu'ils en deviennent poétiques, réfléchit aux sens des mots " consommation", au surnom du liseron " possession vine", qui enserre et étouffe les autres plantes, s'intéresse aux théories de l'économie et du capital et se découvre - avec pas mal d'angoisse - des désirs futile autant qu'irrépressible pour la possession d'objets absolument inutiles. De plus ou moins marxiste, elle se découvre un penchant capitaliste, et ça la met très mal à l'aise. Quelle est la part du gôut personnel et celle du conformisme social dans ce virage?

"Dans l'appartement de son père il y avait sur la table de chevet un bol rempli de magnifiques cerises en verre, que j'ai secrètement convoitées.Molly les trouvait ridicules, emblématiques de la richesse: des fruits qu'on ne peut pas manger"

 
Elle évoque aussi une de ses connaissances, qui a développé une rancoeur face à des membres de sa familles, parce qu'ils ont un joli tapis ancien, qu'elle aimerait avoir sans jamais le leur avoir dit, qu'elle estime que le tapis devrait être à elle, et donc que sa famille, sans rien en savoir, la "spolie" de "son" tapis, qui pour eux n'est qu'un objet.
A travers ces réflexions, c'est tout le rapport ambigu de la société américaine envers la possession et le capitalisme qui est passé au tamis du sarcasme: sa maison est vide car elle n'a pas encore acheté de meubles, un grand magasin veut la louer en y mettant ses meubles, pour reconstituer un "intérieur de grand mère afro-américaine" pour une campagne de publicité. Un intérieur fantasmé par l'Amérique blanche. A côté habite une authentique grand mère noire qui aurait bien besoin de cet argent, mais qui ne correspond pas au cliché souhaité. Car oui, on parle beaucoup de racisme, de sexisme, de luttes des classes: la possession est finalement encore et toujours un marqueur social, donnant l'illusion de prendre un ascenseur social en panne, quitte à s'endetter. Acheter des choses dont on n'a pas l'utilité juste pour épater ses invités pour un dîner lui donne mauvaise conscience, mais c'est presque obligatoire. De fait, la précarité existe, souvent masquée sous l'opulence acquise à crédit.
Evidemment certains points ne sont absolument pas transposables en Europe: nous n'avons en général pas besoin de nous endetter pour faire des études ou aller chez le médecin, et même si le racisme existe, il n'est pas si endémique qu'aux USA (un sujet dont nous débattons souvent avec une copine noire Américaine qui revit littéralement depuis qu'elle habite la moitié du temps en France, voyant la possibilité que sa fille encore mineure, puisse faire un jour des études sans avoir à rembourser ensuite pendant 20 ans ses frais de scolarité). Car si le crédit, et son cortège de dettes, sont aussi répandus en Amérique, c'est parce que toute la société est bâtie autour de la vie à crédit. Le mode de vie frugal et exempt de dettes de Eula est plutôt l'exception.

Travail
Quelle est la différence entre le travail et le labeur, et me donne une piste expliquant pourquoi je suis à peu près inapte à avoir un travail vraiment lucratif: le déguisement. La nécessité de se déguiser, de jouer le rôle qu'on attend de l'employé, du cadre modèle. Je suis une très très mauvaise actrice, et ça me met hors-jeu dans Monopoly social. Ce qui ne me dérange pas, pour moi la richesse est ailleurs que dans l'accumulation d'objets ou la validation sociale.
De manière très intéressante, un parallèle est tracé entre l'apparition des chasses aux sorcières en Europe au moment où le droit de gagner de l'argent avec son travail a été réduit pour les femmes, leur tâche se restreignant à être domestiques de leurs maris et à produire des enfants ( des vieilles femmes, des célibataires, des insoumises.. considérées comme improductives au sens où elles ne produisaient pas de nouveaux travailleurs mâles), au même moment où à commencé la colonisation de l'Amérique; la spoliation des autochtone, et l'emploi d'une main d'oeuvre esclave importée d'Afrique : femmes, esclaves africains, amérindiens expulsés: les laissés-pour-compte d'un capitaliste pensé par les hommes blancs pour les hommes blancs, en se reposant sur le travail gratuit et l'appropriation de tout jusqu'aux corps et à l'esprit des individus.
Bon, suivant ce principe en tant que célibataire sans enfants, je suis aussi une sorcière. Pas grave, je m'en accommode aussi. Et milite ouvertement contre le sexisme, le racisme, l'homophobie et autres -ismes ou -phobies inacceptables. Si on regarde la proportion de riches et de pauvres, on en arrive à la conclusion que oui, les luttes pour légalité sont indissociables les unes des autres, les laissés pour compte sont bien plus nombreux que les dominants. Mais le problème est que pour renverser les dominants, il faut s'allier... mais ne pas créer ensuite un nouveau rapport de domination*

Investissement
: Là encore, Eula se retrouve un peu coincée entre ses opinions marxistes, la nécessité d'avoir un compte en banque, et la conscience de ne pas savoir vraiment à quoi sert l'argent qu'elle y laisse, de ne pas vraiment pouvoir choisir: soit il est investi par la banque dans des actions de pétrochimie, soit on peut demander qu'il ne finance pas les énergies non renouvelable, mais dans ce cas il risque de servir à des entreprises qui ne respectent pas le code du travail, etc... Et ça la met mal à l'aise. C'est un problème pour moi aussi, bien que je n'aie pas un tas d'argent digne de crésus. Et comme elle j'ai un profil d'investisseur le plus bas possible, avec le moins de risques possible ( au grand dam de la conseillère bancaire qui n'a jamais réussi à me convaincre de risquer plus.
Mais en même temps impossible de se passer de banque, et Eula a mauvaise conscience, puisqu'elle veut avoir à la fois des vacances, du temps pour écrire et une retraite un jour lointain (ce n'est clairement pas la nana qui veut être riche, juste vivre décemment. Mais ce décemment ne peut se faire qu'en transigeant avec sa conscience, surtout en étant devenue propriétaire.
J'ai choisi: je refuse d'être propriétaire tant que je peux l'éviter. Malheureusement avec les lois en France, il est parfois plus simple d'acheter un logement que de le louer ( le fameux " gagner 3X le montant du loyer". Je touche 1600 euros par mois, ce qui est très confortable, tant que je partage un loyer avec ma mère. Mais si je devais me loger, je ne pourrais pas dépasser 530 euros, et dans ma région, ça signifie pas vraiment plus qu'un studio au ixième étage dans ascenseur. Donc j'économise, tant que je peux

Comptes: ici, elle fait un peu le bilan de tout le reste, de l'activité d'écrivaine, de sa tentation de démissionner, pour vivre en accord avec ses principes. Mais il est difficile de renoncer au confort quand on s'y habitue. De retourner au vélo quand on a une voiture. Mais il y a aussi tout une réflexion intéressante sur le bénévolat, la gratuité et les femmes. Précisément sur le fait que beaucoup d'activité sont un don ou un échange, des participations bénévole dans des associations, et que , comme par hasard, les bénévoles des associations sont presque toujours des femmes, qui font donc don de leur temps pour le bien commun, temps qui est souvent plus précieux que l'argent ( d'expérience, je dirais qu'en Europe, c'est peut être 75% de femmes, à la totalité selon le domaine d'action de l'association: sport, musique: il y a des hommes. Aide aux gens et animaux, nettement moins. Et lorsqu'il s'agit du bureau qui fait marcher l'association, alors là, les gars se défilent très souvent). Les femmes gagnent moins d'argent que les hommes, MAIS on attend d'elles qu'elles investissent aussi leur temps dans des activités qui bénéficient à d'autres.


Que voilà un ouvrage inhabituel et intéressant, car non seulement il part de réflexions quotidiennes qui peuvent tous nous arriver, mais aussi, explore avec presque gourmandise le vocabulaire et le sens, y compris dans plusieurs langues. Et ponctue son discours de références musicales. Etymologie, linguistique et musique, je ne pouvais que kiffer.
Est-ce qu'un livre peut avoir une bande son? Oui, car certains titres sont mentionnés directement; et donc, la voilà!
Elle convoque autant les Beatles que des comptines ( y compris frère Jacques - en français- tâtonné sur un piano), Dire Straits que RuPaul

Mentionnés sans titres précis
Sade, Genesis, Chaka Khan, Human league, Wu-Tang Clan

Quelques points culturels qui méritent précision:
Kudzu: plante asiatique devenue invasive en Amérique, particulièrement au Canada
culture shaker: sous-branche des quakers, prônant la frugalité et entre autres l'égalité de genres dans le travail, mais aussi le célibat volontaire qui a entraîné in fine leur inévitable disparition. Ils sont connus pour leur design qui rappelle le design épuré scandinave en Europe
culture haïda, culture kwakwaka'wakw: peuples autochtones canadiens
Graphiques du NY times sur la mobilité sociale:  très bien fait, on peut comparer  en choisissant les  catégories sociales d'origine, le genre et les origines ethniques.
The landlord's game
: prototype du Monopoly, inventé par une femme ( qui n'a pas touché un rond de droits d'auteur) et dont ironiquement l'objectif était d'apprendre aux gens à gérer raisonnablement son argent dans une optique socialiste. Double ironie, il est basé sur un jeu du peuple kiowa, et dénonce la spoliation des terres, dont les amérindiens ont été les premières victimes.
Mierle Ukeles: artiste qui s'est intéressée aux tâches de maintenance et en fait le coeur de ses oeuvres.
Marianna Mazzucato : économiste qui prend partie pour le secteur public et non le secteur privé dans le domaine de l'innovation
spy vs spy: comics présentant deux espions, similaires, aux allures d'oiseaux.
The americans : série D'espionnage où des espions du KGB infiltre les USA et doivent apprendre à vivre dans l'american way of life pour passer inaperçu, malgré leur culture soviétique
Toni Cade Bambara: réalisatrice de documentaire , activiste sociale
peuple uduk: ethnie du Soudan
Danica Phelps: Plasticienne et dessinatrice qui représente visuellement ce qu'elle  gagne et dépense sous forme de dessins et de barres.

* J'y repensais en écoutant des podcasts sur la ségrégation aux USA. L'un mentionnait que la plupart des textes de lois stipulaient que les mariages étaient interdits entre un noir et une blanche. Et quasiment jamais l'inverse. Qu'un noir pouvait être lynché pour avoir parlé à une blanche, mais il n'était pas non plus relaté de lynchages de noires qui aurait parlé à des blancs (au contraire, ils allaient s'encanailler auprès des prostituées des quartiers noirs).
Je pense que ça vient d'un clash de domination qui faisait bugger le cerveau des législateurs blancs: pour eux home> femme et blanc> noir. Qu'un homme blanc domine une femme noire, c'est normal , puisque les deux dominations sont cumulées et vont dans le sens choisi un homme blanc est deux fois supérieur à une femme noire.
L'inverse en revanche devait les faire vriller, puisque si homme> femme et blanc> noir, les deux dominations s'annulent, on ne peut imaginer une femme supérieur à un homme ou un noire supérieur à une blanche, diablerie! Une union blanc + noire allait malgré tout dans le sens de l'ordre social, alors qu'une union noir+ blanche le défiait ouvertement. Et comme on supposait les femmes comme inaptes à décider pour elles-mêmes, il fallait légalement les "protéger" de la convoitise de gens considérés comme inférieurs. Supposer qu'elles puissent choisir elles-même consciemment leurs conjoints pour leurs qualités, sans tenir compte de leur origine ethnique était probablement même impensable.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire