Je ne le fais pas souvent disais-je parce que soit je n'ai pas le temps ( quand le livre choisi est trop épais), soit il ne m'intéresse pas, soit, simplement je ne l'ai pas sous la main.
Et pour une fois, non seulement je l'avais en attente depuis l'an dernier, mais en plus il s'agit de nouvelles, donc compatibles avec un emploi du temps .. de déménagement.
Enfin, j'ai quand même attendu la fin du mois pour rendre ma copie, vous noterez..
Serpentine est un recueil de 10 nouvelles fantastiques. Le fait est assez rare dans l'édition contemporaine pour être souligné, QUE du fantastique. Dans le sens que Todorov donne au terme: l'irruption d'un élément mystérieux, irrationnel dans un cadre fantastique, mais surtout perçu comme non naturel par les personnages eux même ( pour dire vite: l'irruption de la magie ou des fantômes par exemple dans un cadre réaliste, qui va surprendre le héros, signale qu'on est dans un cadre fantastique. S'il y a de la magie, des fantômes etc.. mais que tout le monde trouve ça normal, on est dans les domaines voisins du conte de fée, du mythe, de la fantasy etc.. j'aurais l'occasion d'y revenir, je pense)
Et Serpentine se situe exactement dans ce domaine fantastique, qui a connu des heures glorieuses au XIX°siècle, avant d'être dépassé par la science-fiction et l'avènement, justement de la fantasy. Les auteurs contemporains se situent plus souvent à la frontière de différents genres, ou panachent les genres au sein d'un même recueil.
Là, non.
Du fantastique.
Et ça fait plaisir!
Et non, contrairement à ce que tente de nous faire croire Folio, ce n'est PAS de la SF. |
Comme dans tout recueil, il y a des nouvelles que j'ai aimé, voire beaucoup aimées, d'autres qui m'ont moins parlé, ou moins intéressée.
Serpentine:
Serpentine est le nom du salon de Nikolai le tatoueur. Un tatoueur qui est en contact permanent avec 4 autres collègues, tous partagent des encres un peu spéciales, capables d'influencer la vie de la personne qui sera tatouée avec. Mais attention pour avoir droit au tatouage spécial, il faut avoir une histoire intéressante à raconter, un problème particulier à résoudre. Et être présenté par un client de l'un des 5, le tatoueur enverra alors le futur client chez celui qui sera le plus à même de résoudre son problème ou de lui apporter satisfaction. C'est ainsi que par l'entremise d'Imène, une femme terrifiée par la peur de mourir dans son sommeil qui a obtenu un tatouage supprimant chez elle tout besoin de dormir, que Joseph arrive chez Nikolai. Et lui offre ce défi, auquel l'orgueilleux tatoueur ne peut résister: "dessine moi une pulsion"
Elegie: un matin, deux enfants disparaissent sans laisser de trace. Tout le monde pense à un enlèvement sauf leur mère pour qui le coupable est tout trouvé: C'est la faute de l'arbre sur la colline, qui aspire les gens, d'ailleurs si on regarde attentivement l'écorce, on voit comme des formes de visages. Entité malfaisante, ou simple illusion d'une femme déboussolée?
Nous reprendre à la route: alors qu'elle voyageait en bus vers Strasbourg, Anouk a été oubliée sur une aire d'autoroute. Ce qui est d'autant plus incompréhensible qu'elle ne se souvient même pas être descendue du bus, l'avoir vu partir ou même avoir bougé de devant la station service ou elle rencontre Leonore la punkette, qui va l'aider à se sortir de ce mauvais pas.
Rêve de cendre: Lorsqu'elle avait 7 ans, la petite Bérénice a vu dans une feu de cheminée un phénix et a voulu l'attraper, se brûlant gravement. Mais elle y croit dur comme fer, la marque de brûlure sur son bras est la preuve de son existence, un jour l'oiseau va revenir, et dans l'espoir de le revoir, la gamine développe une fascination maladive pour le feu, qui pourrait bien un jour virer à la pyromanie au grand dam d'une famille de plus en plus dépassée par la bizarrerie de leur cadette.
Matilda: Matilda était une chanteuse, une vedette, qui a arrêté sa carrière brutalement au désespoir de ses fans, lorsqu'elle a été victime d'une agression. On l'a même crue morte un moment. Un admirateur déséquilibré a tenté de la tuer en la poignardant. Mais Matilda revient sur scène... vivante, mais comme morte intérieurement, une pareille expérience l'a forcément changée. Ce n'est plus la même Matilda, ça s'entend dans son interprétation de ses chansons elle revient pour retrouver la personne qui lui a fait ça... et la faire payer.
(nota: le type de musique du groupe de Matilda n'est jamais mentionné, on sait juste qu'elle est américaine mais je ne sais pas pourquoi, la description de l'importance de la voix, de la chanteuse qui donne tout ce qu'elle a... dans mon idée, ce ne peut être qu'un groupe de jazz. C'est Nina Simone qui s'est imposée dans mon esprit, pour la voix. Avec un peu de People are strange ou Alabama song version Doors, et un rien de Tango till they're sore de Tom Waits pour le côté déglingué qu'on devine dans les chansons)
Mémoire des herbes aromatiques: La taverne de Colchide, un restaurant grec au décor de carton pâte, mais où l'on sert une nourriture des plus authentiques. Le vrai goût de la cuisine antique, préparée par Médée, servie par Circé. D'ailleurs les amateurs ne s'y trompent pas et parmi les clients anonymes , parfois, un immortel vient se rappeler le bon vieux temps. Le nouveau client qui vient d'entrer sur les conseils de Promethée, sans savoir qui est la propriétaire, se nomme Odysseus. Or entre lui et Circé, un vieux contentieux n'a pas vraiment été réglé...
Petit Théâtre de Rame: une soirée ordinaire dans un métro parisien. un photographe amateur à la recherche de l'insolite quotidien, une adolescente en charge d'une petite demi-soeur tardive qu'elle a encore du mal à intégrer à sa vie, et une chanteuse de métro se croisent. Entre eux un dénominateur commun: le type aux vêtements trop grands accompagné de son chien que personne, sauf eux trois ont remarqué. Qui peut-il être, et qu'a-t-il en commun avec les trois autres, pourquoi son image est-elle aussi différente dans la réalité et sur la photo?
Le faiseur de pluie: Ingrid et Noël sont deux enfants, des cousins en vacances en Italie dans la grande maison de la nonna qui est morte quelques mois plus tôt. Ils ne le savent pas encore, mais c'est le dernier été qu'ils vont y passer, les parents ont décidé de vendre la maison familiale. Et justement cet été là est incroyablement pluvieux, impossible de jouer dehors alors pour passer le temps, inspirés par leur oncle qui leur a raconté qu'une tradition italienne veut que les maisons anciennes soit toutes habitées par un esprit protecteur, même que leur grand-père prétendait l'avoir vu, ils s'amusent a dessiner l'esprit, surnommé "le faiseur de pluie". Or voilà que le lendemain, le faiseur de pluie leur apparaît, en tout point semblable au dessin de Noël, et il a un service à leur demander...
Le passeur: Anton est peintre et dessinateur.. il ne pratique plus depuis qu'il a assassiné Rebecca, sa maîtresse, son modèle et sa muse. Une zonarde, en rupture avec sa famille et ses anciens amis qui n'avait aucun lien avec personne , et dont la disparition est passée totalement inaperçue. Mais Rebecca le hante, sinon physiquement, du moins mentalement, et demande à ne pas être oubliée...
Ghost Town blues: Ambiance western cette fois, dans une petite ville américaine, une de ces villes champignons apparues soudainement lors de la conquête de l'Ouest, pour disparaître aussi vite. Une ville sans mémoire, où seuls quelques habitants se risquent dans les rues à la nuit tombée. Où parfois un voyageur égaré vient prendre un repas et une chambre au saloon, mais gare à lui s'il est repéré par "le brelan d'As", trois joueurs de poker qui ne le laisseront pas repartir aussi facilement que ça..
Alors pour commencer avec les choses que j'ai le moins appréciées: la narration à la première personne. Je comprend le concept, placer le lecteur immédiatement dans la situation du narrateur, lui faire voir les choses de son point de vue, mais c'est un procédé narratif auquel j'accroche difficilement. Malheureusement, c'est celui de beaucoup d'auteurs récents que j'ai lus. Parfois ça passe, parfois pour peu que je n'accroche pas plus que ça aux problèmes du narrateur - voire que je m 'en fous carrément, disons le - ça me conduira encore plus vite à l'ennui qui ne m'aurait pas submergée si je n'avais pas été en quelque sorte "obligée" de voir les choses à leur façon.
Ici c'est le cas pour Elegie et pour Rêve de Cendres. En fait, cet artifice narratif va passer pour un roman assez long lorsqu'on a le temps de voir d'autres personnages, même au travers du regard du narrateur, ou au contraire pour les nouvelles très courtes se passant sur un laps de temps de quelques heures (Ca marche pour Matilda, la durée d'un concert, vu par les yeux d'une fan, voire pour Serpentine, et Petit Théâtre,quelques heures aussi.. là, pas besoin de multiplier les points de vue, puisque l'action est concentrée)
Par contre dans les deux cas précités, plusieurs mois pour Elegie, dix ans pour Rêve, ça coince un peu, car l'évolution mentale du personnage est limitée dans les quelques pages de na nouvelles. Du coup, on ressent mal le désarroi de la mère et les différents états d'esprits par lesquels elle devrait passer, et Bérénice n'évolue pas d'un iota dans sa tête en dix ans. Et ce d'autant que ce sont les nouvelles où le doute sur la santé mentale des héros est le plus présent. Ca donne l'impression qu'ils basculent dans la folie du jour au lendemain, sans gradation et... du coup ça ne prend pas avec moi. alors qu'une narration externe aurait mieux marché pour moi. Dans le Horla de Maupassant, on sentait ce basculement graduel vers le dérangement mental.. mais la nouvelle était longue et donnait le temps suffisant à son narrateur d'évoluer. C'est ce qui manquait à ces deux titres là.
Tandis que pour les nouvelles condensées sur un laps de temps court, ça ne me choque pas, ça marche même particulièrement pour Petit Théâtre, dont chaque partie est une plongée dans un instant de chacun des 4 personnages qui se croisent, le résultat est fluide et particulièrement agréable.
J'ai beaucoup, mais alors beaucoup aimé aussi Mémoire des herbes aromatiques, parce qu'on sent, sur quelques heures, l'évolution dans la tête de Circé, les différentes pensées qui se bousculent sous son crâne, face à quelqu'un à qui elle en veut encore. Et puis donner la parole à un personnage secondaire de l'Odyssée pour lui laisser la possibilité de raconter l'histoire à sa façon, ça me plaît, forcément.
J'ai aussi beaucoup aimé Nous reprendre à la route, avec sa drôlatique danse macabre de fantômes en bordure d'autoroute au son de Jig of life de Kate Bush. C'est le genre d'humour que j'aime.
Matilda et Serpentine sont sympa, mystérieuses, bien dosées, mais j'ai juste un peu moins accroché.
Et encore moins au Passeur: pour celui là la raison est simple. Il est antérieur à Serpentine, et semble en être un premier jet (Anton, comme Joseph dans Serpentine, va se faire tatouer son obsession) et donc le fait d'associer dans une recueil deux nouvelles aux thèmes proches n'est pas à l'avantage de la plus ancienne, qui vraiment ressemble à une ébauche que Serpentine aurait développée
Le faiseur de pluie, je le mets à part, c'est la seule nouvelle du recueil qui soit à la narration impersonnelle et il n'y a pas à tortiller, je préfère ça, largement. J'ai l'impression d'avoir plus de liberté pour me faire mon tableau mental.
Pareil pour Ghost Town Blues, variation sur le vampirisme et la mémoire narrée à la première personne certes, au début en tout cas par le barman, extérieur au " Brelan d'as" qui raconte donc ce qui se passe sous ses yeux. La nouvelle est une des plus anciennes, donc moins aboutie que d'autres, mais pareil, je préfère ce système de narration extérieure
Après, j'ai bien aimé globalement, malgré les quelques petits bémols que j'ai mis sur deux des 10 nouvelles. Parce que l'auteur a un talent narratif intéressant. Ne pas confondre le talent narratif et le parti pris narratif, dans ma tête c'est différent, l'un étant l'art et la manière de raconter une histoire - et pour ça elle se défend bien - le second plutôt l'angle d'approche de l'histoire en question. Ce n'est pas parce que je n'adhère pas par moment à ce choix que je ne vois pas la qualité de l'écriture. Et il y a un fil directeur entre les nouvelles qui en fait un recueil agréable à lire et homogène, qui au delà des sujets fantastiques, tournent presque toutes autour de la mémoire: mémoire qu'on voudrait retrouver, qu'on préfèrerait perdre, événement traumatisés qui se gravent dans le corps à jamais
Une écrivaine à suivre, donc, d'autant quelle aborde à l'époque contemporaine un genre dont je suis particulièrement friande.
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