Nouvelle session Masse Critique Babelio. J'ai donc reçu " Muss" de Curzio Malaparte. Je ne connaissais l'auteur de de (plus ou moins sulfureuse ) réputation, je n'ai que peu d'italiens dans mes lectures, et en plus, un essai sur Mussolini tombait parfaitement dans le cadre des défis "Rome" et "Histoire".
Editions de la table ronde |
Donc le petit ouvrage de Malaparte comprend deux essais, tous deux centrés sur Mussolini. Un personnage historique sur lequel, finalement, j'ai appris peu de choses durant ma scolarité, hormis quelques grandes dates. contrairement à Hitler.
Dans Muss, tout d'abord, Malaparte entreprend de tracer le portrait du dictateur. Non pas un portrait politique, mais dans un cadre plus large, le portrait de l'Italie mussolinienne et de l'époque qui a permis l'émergence de la dictature. Et il faut reconnaître que l'auteur n'y va pas de main morte avec ses compatriotes. Car pour lui, Mussolini est avant tout un italien, avec les défauts qu'ils considère inhérents aux italiens en général. Et en particulier le mysticisme catholique, qui était pour lui la condition majeure pour l'établissement du culte de la personnalité.
Car dans le fond, le Mussolini qu'il nous montre est un homme ambigu: un orgueilleux narcissique , mais timide et influençable. Un type qui se veut à la fois homme du peuple et César. Un pauvre type, sans envergure. Un petit chef qui s'est retrouvé presque par hasard propulsé à la tête de l'état, et qui, comme tout petit chef parvenu, a vite pris le chemin de l'abus de pouvoir.
La position de Malaparte aussi est ambigüe. Ayant rencontré Mussolini à plusieurs reprises, il oscille entre compassion pour l'homme tout court derrière l'homme politique, et haine franche pour le dictateur qui l'a fait emprisonner.
Le problème de ce texte, inachevé, est qu'il a été rédigé sur une vingtaine d'années, avant et après l'exil de l'auteur, remanié. D'où cette hétérogénéité, pas franchement gênante, mais qui donne l'impression de se contredire par moments.
Muss est complété par un court texte issu de " il y a quelque chose de pourri", où Malaparte parle de sa mère, fervente admiratrice de Mussolini. C'est elle d'ailleurs qui le surnommait Muss. Il y est également question de la mort de Mussolini. Ou plutôt de ce qui a suivi: le dictateur mort, trainé dans les rues,le cadavre livré a la vindicte populaire, conspué par ceux qui le soutenait encore quelques jours plus tôt, puis à la morgue. Ce passage est incroyable, le ressentiment de Malaparte envers le comportement indigne et ridicule de ses compatriotes est presque palpable. Pas tant la question du manque de respect au mort que celle de l'hypocrisie des italiens, de leur facilité à se rebeller contre un mort après s'être comporté avec complaisance envers la dictature pendant des années ( il y a quand même sur ce point là pas mal de mauvaise foi de la part de l'auteur, et justement , d'après lui quelques pages plus tôt, la mauvaise foi est un des principaux défauts collectifs des italiens). Toujours est-il que cet extrait prend une dimension extrêmement contemporaine, car l'histoire est un éternel recommencement. En lisant les description de la mort et de l'autopsie de Mussolini ( et malgré sa photo sur le bandeau), ce n'est pas sa tête à lui que j'ai vue, mais celle de Khadafi. Quelque 65 ans plus tard, mes circonstance, même réactions du peuple. Presque au détail près. Ca rend par contre coup le récit de Malaparte encore plus visuel.
Quand au "grand imbécile ", c'est encore Mussolini, qui perd son appellation affective de Muss pour n'être plus que le Grand Imbécile. Cette fois, Malaparte aborde le problème sous un angle plus bouffon, imagine le Grand Imbécile ridiculisé par une chatte. Partant d'une tradition ( qui a tout l'air d'une légende) qui veut que lors d'un siège, les assiégés envoient une chatte se promener sur les remparts de la ville. A charge aux assiégeants de convaincre le félin du bien fondé de l'attaque. La chatte de Malaparte devient en quelque sorte l'allégorie de la résistance, qui doit se faire non par la violence en tuant le tyran, mais par la rigolade, en le ridiculisant. En effet, on retrouve en germe l'idée de "quelque chose de pourri": Tuer un tyran au moment ou il est affaibli n'a rien de glorieux, tout au contraire, c'est ridicule et facile, c'est s'abaisser au même niveau que celui dont on veut se débarrasser. Seules la dérision et l'humiliation publiques sont une vraie victoire. Les passages où le Grand Imbécile, pérorant sur en costume militaire, tente de faire entendre au greffier des concepts comme " gloire", "grandeur', "patrie", "aigles de Rome", et se voit opposer des "Miaouuuu" pour toute réponse, sont savoureux.
Autant Muss a été écrit sur plusieurs années, autant Le Grand imbécile est concis et homogène, écrit en 1943, au moment de la destitution du tyran. C'est assez intéressant d'avoir d'une part le témoignage d'un témoin direct des événements, et d'autre part, de voir son opinion évoluer au fil du temps: de la sympathie et de la compassion ( relatives) dans Muss, du mépris ouvert dans le Grand imbécile, du désenchantement total dans "quelque chose de pourri". Les trois textes se complètent et s'explicitent l'un l'autre, c'est une très bonne initiative de les avoir rassemblé. Tout ça se lit facilement, je craignais qu'une biographie d'homme politique soit un peu plus rébarbative, mais l'écriture de Malaparte est très vivante. Un document fort intéressant.
Merci à Babelio et aux éditions de La table Ronde.
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