Il était temps: le plus ancien livre de ma pile, qui attendait depuis 1995 que je me décide enfin à le lire. Acheté à la demande de la prof de philo, puis finalement elle avait abandonné l'idée de nous faire lire Freud au profit de Platon. et depuis, pas franchement envie, un peu peur aussi de me recolleter avec la philosophie, Freud ça inquiète un peu, est-ce que ça ne va pas être trop ardu, trop théorique, trop tiré par les cheveux?
Et finalement, bonne surprise: le texte, n'est pas trop dur à lire, même s'il se contredit parfois, les courts chapitres permettent de fractionner la lecture avant de saturer trop, la structure en est hyper classique ( faux débat avec un faux opposant, on fait comme ça depuis les grecs, la structure n'est pas du tout aussi abrupte que je le craignais.
Et même, chose à laquelle je ne m'attendait pas du tout, il y a de l'humour! Oui! quelques petites vannes subtiles ici ou là, sur le communisme en plein essor ( le texte date de 1927), , sur l'intolérance, ou un peu d'auto dérision vis à vis de la vaine gloire, ou des remarques antisémites qu'il a appris à encaisser depuis belle lurettes- en gros " sifflez, j'm'en fiche!":
" le seul à qui cette publication puisse nuire c'est moi-même. Je m'apprête à entendre les reproches les plus désagréables, on va m'accuser d'être superficiel, d'avoir l'esprit borné, de manquer d'idéalisme et de la compréhension des intérêts les plus élevés de l'humanité. Mais d'une part, ces représentations ne sont pas nouvelles pour moi; d'autre part quand on s'est placé, dès son jeune âge, au dessus de la désapprobation de ses contemporains, en quoi cette désapprobation peut-elle importer lorsqu'on est devenu un vieillard et qu'on est certain d'être bientôt soustrait aux effets de la faveur ou de la défaveur des hommes? Il en était autrement aux siècles passés: de telles allégations vous assuraient l'écourtement de l'existence et vous fournissaient une occasion toute proche de faire des observations personnelles sur la vie future" (p52, j'adore cette dernière pique!)
Donc, de quoi est- il sujet qui puisse attirer ainsi les foudres du bourgeois bien pensant, De religion. J'avoue que j'avais un peu peur d'y trouver les sempiternelles références aux frustrations sexuelles qu'on ressort systématiquement vis-à-vis de freud, mais non, on passe à côté, il a écrit d'autres choses, ouf!
Donc, la religion. Freud nous explique donc que, du point de vue psychologique d'un thérapeute, rien ne distingue la religion d'une névrose obsessionnelle. Mieux, elle est une névrose obsessionnelle façonnée au fil du temps par des générations d'humains, pour calmer leurs angoisses face à une nature hostile contre laquelle il ne peuvent rien, et dont ils ne peuvent pas accepter les lois, la première étant la mort.
Alors oui, on sait, on va tous mourir, ça n'est pas nouveau tout ça.; Mais rappellons le contexte: 1927: l'Europe sort d'une guerre, les gens sont encore traumatisés, beaucoup sont encore croyants et pratiquants, à l'époque l'opuscule a du faire l'effet d'une vraie bombe. Maintenant encore, il suffit de voir les intégristes pour se dire que finalement de la pratique religieuse à l'obsession, il n'y a qu'un pas.
Donc le problème pour Freud est que le fait religieux ( animiste, puis monothéiste) est une névrose, mais une névrose commune, intégrée , transmise, à tel point que plus un croyant ne se pose de question sur la symbolique des rites, le pourquoi, le à quoi ça sert, le comment ça se fait. Et donc une névrose d'autant plus difficile à extirper, surtout à une époque et dans un pays , ou l'enseignement religieux fait partie intégrante de l'enseignement tout court.
Rassurez-vous (ou non) vous ne trouverez pas dans ce court texte de réponse définitive au problème religieux. Mais c'est une bonne surprise, une lecture finalement intéressante qui ne découragera pas le croyant pur et dur de croire, mais rassurera un peu l'athée ou le sceptique qui se sent moins seul à se dire que la religion avec ces " fais-ceci, fais pas ça, "est un peu trop infantilisante à son goût.
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