J'avais lu ces nouvelles de temps de la fac,si ma mémoire est bonne, donc ça fait plus de 15 ans. Et à part le côté absurde et la charge contre la bureaucratie je ne m'en souvenais pas vraiment.
Et c'est avec un vif plaisir que j'ai redécouvert ces histoires grotesques, qui utilisent un ressort fantastique pour mieux se moquer de la bureaucratie russe du XIX° siècle ( et d'expérience, je peux vous dire que la bureaucratie française du XXI° siècle n'est guère plus logique, j'ai l'impression d'être au quotidien employée dans un roman de Kafka ou donc , une nouvelle de Gogol).
Avec cerise sur le gâteau, un humour volontiers noir et grinçant qui est totalement mon truc.
Le manteau: Où l'on découvre Akaki Akakievitch ( approximativement Acacia fils d'Acacia, l'explication sur son nom peu courant nous est donnée, histoire de bien nous faire comprendre qu'Akaki est marqué par la malchance dès le jour de sa naissance ) fonctionnaire terne de Saint Petersbourg, donc le train-train quotidien va être bouleversé par un manteau neuf.
Le brave Akaki est un quinquagénaire routinier, ne vit que pour son travail pourtant fastidieux de copiste dans une administration. Il est régulièrement la cible des moqueries de ses collègues, en particulier parce qu'il traîne depuis des années au manteau ridiculement usé. Jusqu'au jour où, l'hiver approchant,il se rend enfin compte qu'il va falloir investir dans un manteau neuf. Pour lequel il économise sou après sou.
Et le manteau lui est volé le jour même de l'achat.
Akaki désespéré va donc passer au dessus de sa réserve et de sa timidité naturelles pour la première fois de sa vie, et essayer, lui le petit fonctionnaire, de mettre en branle l'administration pour faire enregistrer sa plainte et essayer de faire valoir ses droits. Mas ça n'est pas parce qu'on travaille pour l'administration qu'on y arrive plus facilement que le commun des mortels. Il y a toute une hiérarchie à faire bouger, chaque échelon étant seulement préoccupé ... d'en faire le moins possible.
Il mourra de froid avant que que ce soit ne se passe ( quand je vous parlais d'humour noir)..mais l'histoire n'est pas finie pour autant. Car son fantôme revient hanter les lieux du vol, pour dépouiller à son tour les passants de leurs manteaux.
j'ai adoré cette histoire, finalement bien triste, mais racontée avec une verve irrésistible qui charge à fond les rouages de l'administration et la paresse de ceux qu'on appelle maintenant les cadres. Akaki est un des rares personnages nommés, et le seul qualifié réellement d'"être humain". Bien qu'un peu ridicule il est le seul pour qui l'auteur a une certaine sympathie. Ceux qui ont un nom sont secondaires, et ceux qui sont caractérisés.. n'ont pas de nom ( le jeune employé" qui prend Akaki en sympathie se rendant compte que se moquer gratuitement de quelqu'un a pas de sens ne réapparaît pas et n'a pas de nom, le "haut fonctionnaire" lui a bon fond malgré son autoritarisme et ses colères et dont "le seul défaut est de ne pas laisser paraitre ses qualités, par orgueil" n'a pas de nom non plus)
Totalement noir, totalement cynique, on est bien dans un registre voisin de celui de Kafka.
Le nez: alors là, on oublie l'humour noir pour aller vers l'absurde et l'incongru. mais toujours en se moquant de l'administration.
Tout commence lorsque, fin mars, un barbier trouve dans son pain ( pourtant fraîchement cuit le jour même par sa femme).. un nez. Et pas n'importe quel nez, le nez d'un de ses clients. Se demandant s'il ne 'aurait pas coupé par accident, et pour éviter les ennuis,, il décide de s'en débarrasser en le jetant à la rivière.
Le même jour, Platon Kovaliov, le client en question, se réveille a sa grande surprise sans son nez.
Oui le nez de l'assesseur de collège ( mais il se fait appeler "le major", c'est plus ronflant) semble avoir décidé de se faire la malle en s'affranchissant de son propriétaire.
Mais le problème principal de Kovaliov, homme assez vain et orgueilleux et dandy très attaché au paraître, c'est qu'on ne peut pas se présenter dignement en société sans son nez. Comment peut on décemment aller à la soirée mondaine de la comtesse X ou au salon de madame Y et courtiser les jolies femmes lorsqu'on a un défaut qui se voit autant que le nez ( ou l'absence de nez) au milieu de la figure.
Pendant ce temps là, le nez en question voyage, et fait sa vie, se faisant passer.. pour un haut fonctionnaire.
Et personne ne semble trouver le fait incongru ( pas le même type de fantastique selon les définitions de Tsvetan Todorov)*
Et Gogol lui même reconnaît l'absurdité de la chose en proclamant ne pas comprendre comment des auteurs peuvent avoir des idées pareilles et les publier.
J'ai légèrement préféré le Manteau, tout simplement parce que j'ai un goût pour ce qui est noir et grinçant, par rapport à ce qui est simplement absurde, mais les deux se lisent bien, rapidement et avec plaisir. Mais voilà,pour moi le Nez n'atteint pas le niveau de cynisme du manteau.
Le nez date de 1836, le manteau de 1843, donc il y a peut être une évolution de l'auteur vers plus de noirceur et de cynisme. A vérifier, mais je n'en ai pas fini avec Gogol ( j'avais bien aimé une version raccourcie - pour le festival off - du Revizor il y a quelques années, donc, je lirais la pièce en entier à l'occasion)
* en voulant vérifier sa nationalité, je viens de voir que Todorov est mort le 7 février 2017, et que je ne le savais absolument pas. Je vous conseille son essai " introduction à la littérature fantastique", l'ouvrage de base pour qui s'intéresse au fantastique et à l'imaginaire
Oh voilà qui me plairait bien! D'autant qu'il me semble n'avoir jamais lu Gogol (ou que des extraits).
RépondreSupprimerLa première nouvelle, Le Manteau, me fait penser à une histoire du Moyen-Orient, mais inversée: les babouches d'Abou Kassem.
J'avoue avoir un peu de mal avec les auteurs russes, mais la première nouvelle me tente bien ! J'essaierai donc Gogol. Merci pour ta participation !
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