Lorsque j'ai décidé de rejoindre le Défi "une année en Russie", beaucoup de souvenirs de l'époque du lycée me sont revenus. J'ai donc décidé de sonder ma mémoire à leur recherche.
J'ai appris donc le Russe au lycée, entre 1992 et 1995. Comme il s'agissait de nous former à l'oral du bac, autant dire que je ne me souviens pas de grand chose en ce qui concerne la langue Russe, hormis ses difficultés. Pourtant un texte, qui n'avait pas été appris pour l'oral m'est toujours resté en mémoire ""Не жалею, не зову, не плачу"
("Nie Jaleyou, nie Zavou, ne platchou" - je ne regrette rien, je n'appelle pas , je ne pleure pas), un poème de Sergueï Essenin qui me plaisait, et me plaît toujours beaucoup.
Dans notre petite salle de russe, il y avait un portrait au dessus de la porte, représentant un jeune homme qui fume la pipe. Je ne sais pas pourquoi ce portrait me dérangeait un peu. Le fait qu'il soit juste au dessus de la porte, comme pour surveiller la salle? le fait que sa pipe paraisse totalement incongrue sur le portrait de quelqu'un de si jeune... ou plus probablement, que sa coiffure me rappelle un peu les photos de jeunesse de mon père.. Je pense que c'est surtout cet élément qui me mettait mal à l'aise.
Bref, la curiosité m'a donc poussée à demander à la prof des renseignements au sujet du type qui nous regardait depuis son cadre, elle nous a donc raconté sa vie.
il s'agit de Sergueï Essenin, célèbre écrivain et poète des années 1910/1920, mort comme il se doit pour un auteur russe, dans des circonstances très mystérieuses
Suicide officiellement, assassinat possible, il ne faisait pas bon à cette époque être trop populaire auprès du grand public.
J'ai pu retrouver la photo en question, la voici. C'est incroyable, mais 18 ans après, cette photo me fait toujours un peu peur.. il a une bonne tête, mais.. il m'inquiète toujours autant ( classique, une photo frontale, le sujet semble vous regarder et essayer de vous sonder l'esprit, brrrr..)
Je ne vais pas entrer dans les détails de sa biographie tumultueuse, on peut les trouver ici
Toujours est-cil que contrairement à son camarade Maïkovski, Essenin, fervent révolutionnaire, passait plutôt son temps à louer dans ses textes les joies de la vie à la campagne, et se morfondre.. ha! les états d'âmes d'un dépressif chronique.. bref, ça faisait un peu tâche pour le parti, à n'en pas douter.
continuant sur sa lancée, la prof nous a donc proposé un poème , trop dur pour être étudié en russe, mais à titre d'exemple culturel, en nous le traduisant. Et j'ai adoré ce ce texte. Ce qui est exprimé, n'est pas nouveau mais la façon de le dire m'a beaucoup plu. Je ne l'ai jamais oublié. Il est apparemment considéré en Russie , comme l'un des plus beaux poèmes jamais composés en russe.
Не жалею, не зову, не плачу,
(je ne regrette rien, je n'appelle pas, je ne pleure pas)
Все пройдет, как с белых яблонь дым.
( tout passera comme la vapeur blanche des fleurs de pommiers)
Увяданья золотом охваченный,
(envahie d'un déclin doré)
Я не буду больше молодым.
( Je ne serais plus jamais jeune)
Ты теперь не так уж будешь биться,
( Tu ne battras plus comme avant,)
Сердце, тронутое холодком.
( coeur saisi par le froid)
И страна березового ситца
( Et le pays du coton et des bouleaux)
Не заманит шляться босиком.
( ne m'entraînera plus à danser pieds nus)
Дух бродяжий! Ты все реже, реже
(esprit de l'errance! de plus en plus rarement)
Расшевеливаешь пламень уст.
(animé de paroles enflammées)
О, моя утраченная свежесть,
(O, ma fraîcheur perdue)
Буйство глаз и половодье чувств.
( fureur des yeux, et plénitude des sens)
Я теперь скупее стал в желаньях.
( je suis devenu de plus en plus pauvre de souhaits)
Жизнь моя, иль ты приснилась мне?
(Ma vie, est-ce que je t'ai rêvée?)
Словно я весенней гулкой ранью
( comme une course sur un cheval rose)
Проскакал на розовом коне.
( dans l'aube sonore du printemps)
Все мы, все мы в этом мире тленны,
(Tous, tous sur terres destinés à nous faner)
Тихо льется с кленов листьев медь…
( La sève cuivrée des érables s'écoule lentement)
Будь же ты вовек благословенно,
( soit à jamais béni)
Что пришло процвесть и умереть.
( ce qui est venu fleurir et mourir)
Bien évidemment, traduction imparfaite et frustrante, mais toujours meilleure que celle que j'avais trouvée dans un livre, qui tordait le texte en tout sens pour lui redonner de fausses rimes en français, principe que je déteste. Mieux vaut à mon sens passer d'un texte en vers à un texte en prose qui va en garder le sens, que de recréer des rimes artificielles, souvent en vers de mirlitons qui s'éloignent terriblement de l'intention de l'auteur.
Mais ce texte me plaît toujours autant, ça m'évoque des tableaux de Chagall, bref.. ça me plaît donc!
Et je viens justement de trouver une version mise en musique de ce texte, je ne la connaissais pas du tout,elle n'est pas mal, même si je préfère toujours un poème en simple lecture.
http://www.youtube.com/watch?v=WL2Pw9Sp0z0(avec un montage sur des photos, films et écrits de l'auteur, joli hommage
Pour la petite histoire, si je me souviens bien de ce qu'avait dit ma prof, Essenin était un auteur tellement populaire,qu'en 1987, lorsque les autorités ont décidé de détruire l'hôtel d'Angleterre, lieu de son supposé suicide, la population s'est mobilisée pour une énorme manifestation. Devant l'ampleur de la mobilisation le gouvernement a reculé, l'hôtel a été conservé, et simplement rénové...