Quand un professeur de philosophie, et procrastinateur assumé décide de ( mettre des mois à ) consacrer un article à son défaut principal.
Je ne sais pas trop pourquoi j'ai pris ce livre à la couverture très sobre, la thématique, la 4e de couverture qui annonce de l'humour... mais c'est une bonne pioche. Et je m'y suis beaucoup reconnue.
Et ça fait plaisir de voir quelqu'un parler de notre défaut ( encore que) commun, mais sans en faire des caisses ou suggérer mille manières (non efficace) d'en venir à bout. Mais en en citant les inconvénients ET les avantages avec, je confirme, un humour sarcastique et une mauvaise foi assez réjouissantes
Comme John, je suis une procrastinatrice structurée . Bon, je suis même moins pire que lui, parce que je ne laisse pas passer les délais lorsque quelqu'un me donne une date butoir, maiiiis je vais effectivement le faire le plus tard possible. en terminale, nous avions cours de philo presque tous les jours et la spécialité de la prof était de nous refiler à l'issue du cours du lundi le sujet de la dissertation à lui rendre impérativement le lundi prochain. Je trouvais son cours assommant - pas la philo en elle-même, mais le cours - et je détestais le principe de la dissertation. Donc comme je n'avais rien à dire, j'attendais évidemment le dimanche après midi pour m'y mettre. Mais à ma décharge d'autres profs nous donnaient des exercices du mardi pour le jeudi, donc prioritairement prioritaires. Des listes de vocabulaires de 6 à 8 pages à apprendre d'une semaine à l'autre, donc, pas d'autre moyen que d'en apprendre une par jour tous les jours.
Clairement la philo n'était pas ma priorité malgré le coefficient 7, et je préférais que ça me pourrisse mon dimanche après-midi entier plutôt que tous les jours au goutte à goutte. Je n'avais pas plus à dire ( et quand j'ai retrouvé mes devoirs notés des années après, je n'ai plus rien compris à ce que j'avais écrit. Pourtant, parfois j'avais la moyenne, j'ai eu un 11 providentiel au bac)
En plus c'est typiquement le genre de chose que je ne peux pas faire en la coupant en petit morceaux: l'exercice de la dissertation ne s'y prête pas, donc une fois lancée, autant y passer quatre heures de toute façon, ce sera ça les conditions de l'examen autant s'y habituer ( je sais depuis que c'est comme ça que je suis efficace: je préfère me concentrer longtemps sur UN truc, sans distraction, plutôt que passer d'une activité à l'autre une fois que je suis lancée. La surcharge cognitive nécessaire pour s'y mettre est déjà assez pénible pour ne pas s'imposer ça tous les jours)
A priori ça me réussit assez bien.
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je savais qu'elle me servirait un jour. Quand ça me saoule, difficile d'entretenir une motivation déjà très ténue. |
Je me retrouve aussi dans l'organisation horizontale: L'auteur part du principe que l'organisation verticale ( en dossiers, bien classés et rangés dans un placard) ne convient pas à tous et qu'il a besoin d'une organisation horizontale, qui permet d'avoir tout tout le temps sous la main. Je suis tellement d'accord. J'ai là aussi depuis pris conscience que c'est probablement dû à mon absence presque totale de mémoire visuelle: si je ne vois plus quelque chose, pour mon cerveau, ça n'existe pas et n'a jamais existé. J'ai donc l'excuse parfaite: non mon bureau n'est pas en bordel ( et de toute façon, en matière de pagaille, je suis loin de Georges Dumézil. Si la pagaille avait une échelle de mesure, ce serait l'échelle Dumézil, avec "Georges" comme degré ultime). Mais je sais d'expérience que rien ne sert d'aller à l'encontre de ma nature et d'avoir un rangement standard quand mon cerveau ne fonctionne pas de manière standard. Et qu'il n'y a aucun moyen de la standardiser.
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Georges Dumézil est probablement le croquemitaine que Mari Kondo voit dans ses pires cauchemars. C'est ma caution " tant que ma pagaille n'atteint pas le plafond, j'ai de la marge " |
Par contre je confirme , on repousse des trucs importants jusqu'à ce qu'on n'ait plus la possibilité de repousser ( comme le devoir de philo sous peine de prendre une bulle), mais nous ne sommes pas improductifs pour autant. Nous abattons une quantité impressionnante de tâches, j'ai presque envie de dire " de quêtes" annexes, en termes de RPG, pour éviter de se coller à celle importante mais pas d'une urgence vitale, et qui nous gave. Dans mon cas, les courriers administratifs ( niveau "noix vomique" sur l'échelle de la purge), ça va beaucoup mieux depuis que j'ai appris à les faire rédiger par l'IA en lui fournissant les données, le style voulu, etc... Je n'ai pas besoin que chat GPT fasse de l'art ou pense à ma place, je lui demande juste de me rédiger mes courriels de relance pour bouger les fesses de mon directeur qui n'a toujours pas répondu à ma demande de temps partiels ( à fournir avant fin avril, je la lui ai donnée, en bonne procrastinatrice, le 25 avril, c'est vers la fin, mais dans les délais, merci encore Chat GPT pour ton aide). Je le soupçonne de procrastiner parce qu'il ne veut pas donner de réponses et ne sait pas comment me refuser un temps partiel de droit, preuves fournies à l'appui, et que ça le gave.
Je le soupçonne aussi plus généralement et vu sa propension à coller 2 réunions ensembles, d'être tête-en-l'air et d'avoir atteint sa limite de Peter ( par contre il est toujours d'attaque pour répondre aux sollicitation politiques... je devrais le surnommer Kiwi, le spécialiste du cirage de pompes)
Donc j'ai envie de faire de ça mon commandement numéro UN " chaque fois que tu peux te délester d'une corvée administrative sur l'IA, fais-le. Vérifie, mais, utilise-moi cet outil intelligemment, c'est son objectif premier"
L'IA n'existait pas pour ce genre de tâches quand John Perry a écrit son ouvrage, mais je suis à peu près sûre qu'il s'en sert maintenant. En tout cas, son sens de l'humour me plaît et il m'es extrêmement sympathique. En tout cas ses cours devaient être autrement plus intéressants que ceux de la terminale! Je vais essayer d'écouter son emission " philosophy talk", ça me fera pratiquer l'anglais.
Et donc pour l'ami John, la procrastination est surtout un effet secondaire de deux choses: le perfectionnisme, qui fait qu'on repousse parce qu'on ne veut dans le fond pas rendre un devoir/ manuscrit/ travail bâclé.. jusqu'au moment ou " bon, zut, de toute façon, ce sera bâclé, je n'ai pas le temps de fignoler" et donc c'est une manière de tromper notre cerveau qui croit que la perfection existe et se refuse à rendre quelque chose de non parfait. Là, on a au moins l'excuse de se dire " c'est bâclé, parce que je n'ai pas eu le temps, je m'organiserais mieux la prochaine fois" tout en sachant que la prochaine fois ce sera exactement la même histoire. Parce que...
Parce que deuxième facteur: nous faisons les choses vraiment urgentes qui peuvent avoir des conséquences désastreuses ( déclaration d'impôts, surveiller ses comptes, payer ses factures, et pour la majeure partie d'entre nous ne pas traîner à aller se faire soigner quand ça ne va pas. Aller faire pipi quand c'est pressant est aussi quelque chose qu'on peut difficilement remettre). Par contre quand quelque chose est moyennement urgent, et n'a pas d'enjeu vitale, nous traînons la patte, par manque de raisons , de challenge, d'intérêt...
John rajoute encore la curiosité insatiable dans le lot et je suis tout à fait d'accord: je ne scrolle pas indéfiniment sur les réseaux sociaux, je ne passe pas mes soirées devant des talks shows, mais je passe un temps équivalent sur des vidéos qui m'intéressent VRAIMENT ( bonus : quand une collègue te dit " mais comment tu sais ça toi?" et que tu lui dit " ben j'ai écouté un podcast à ce sujet, et comme j'ai une bonne mémoire auditive, je m'en souviens". Inconvénient: à force les gens s'attendent à ce que vous sachiez tout sur tout et sont déçus quand vous leur avouez " ha non, je n'ai absolument pas vu cette série, tu sais je n'ai pas Netflix et je n'aime pas les séries" ou " oui je connais les lois de la thermodynamique, mais non, je n'ai absolument aucune connaissance de la mécanique auto, je n'ai pas de voiture et aucune intention d'en avoir une un jour") Cette curiosité insatiable est d'ailleurs un piège, puisqu'on commence tout un tas d'activités par curiosités et soit on laisse tomber ( le meilleurs cas, puisqu'on n'y reviendra pas), soit on s'accroche à notre nouvelle passion et notre temps libre se réduit d'autant plus.
A noter que l'ouvrage est une réédition, augmentée d'un appendice de 2020, sur la procrastination pendant le confinement. John Petty avoue avoir passé un temps assez colossal devant les infos comme beaucoup d'autres gens, culpabilisant de ne pas enfin faire ce qu'il n'avait jamais le temps de faire.
En 2025, j'ai un autre point de vue: il y a les gens qui sont extravertis, qui l'ont très mal vécu, n'ont rien pu faire parce qu'ils étaient en état de choc.
et les introvertis, pour qui le confinement est sinon un mode de vie, du moins absolument pas un problème. C'est mon cas. A ce moment là, j'ai bouclé en un temps record mes révisions pour les partiels à distance, préparé mon déménagement ( repoussé à mai), discuté comme jamais avec des gens partout dans le monde via internet, commencé à jouer du piano en autodidacte ( 2° confinement et je continue 5 ans plus tard avec des cours, sérieusement), révisé les langues, fait du vélo d'appartement en regardant les programmes d'orchestres et de théâtres dont je n'avais jamais entendu parler - quel dommage que ça n'ai pas continué! - découvert mon quartier par promenades d'une heure en les savourant d'autant plus qu'elles étaient limitées. D'un coup, le monde entier a validé mon mode de vie , et je ne me suis jamais senti aussi bien, ça aurait pu durer 5 ans sans que j'en souffre. Justement parce que plus rien n'est devenu aussi urgent que rester chez soi et éviter d'être malade - je n'ai jamais chopé le covid, et je ne sais pas si c'est une question de chance, ou un effet des vaccins, ou de mon système immunitaire digne de Wolverine. Tout le reste étant mis au même niveau, beaucoup de gens en ont réellement profité pur apprendre des choses: j'ai discuté avec une dame qui a commencé la guitare et un monsieur qui a découvert l'intérêt de cuisiner maison. Certains ont appris/ révisé une langue.
Beaucoup, et surtout des femmes, ont remis en cause les injonctions sociales ( du type: adios le soutien-gorge, désagréable cage à nichons, je ne le remettrai pas. Est-ce que j'ai vraiment besoin de tant de maquillage avec un masque? Hoo et après 4 semaines sans maquillage, ma peau n'a jamais été aussi saine, je ne vais pas recommencer, rien ne m'y oblige... Merde à l'épilation comme seul standard de féminité. Et j'ai fait de sacrées économies en me laissant pousser les cheveux, pas besoin d'aller chez le coiffeur deux fois par mois)
Donc là, je ne me reconnais pas dans le portrait du procrastinateur en temps de confinement. Ce qui me fait penser qu'outre mon manque de mémoire visuelle, ma procrastination qui ne touche que ce qui me saoule, vient surtout du fait que je ne me reconnais pas dans les comportements socialement valorisés ( en général, ceux valorisés par le capitalisme), et auquel mon cerveau ne comprend rien, et donc ne reconnait aucune validité. en clair, j'ai besoin de temps plus que d'argent, c'est ma priorité, et donc je ne vois pas l'intérêt de travailler plus pour gagner plus d'argent, si ça me prive du temps pour faire des choses par ailleurs totalement gratuites ou presque. Une procrastination active due non pas à un défaut de perception du temps, mais parce que je le considère en fait comme plus précieux que l'argent. Je ne serai jamais riche avec une manière telle de penser, à part de gagner à la loterie, et là encore, je placerais mon pognon de manière à ne plus avoir à travailler un seul jour de ma vie!
Il y a autant de types de procrastinateurs que de procrastinateurs, je pense. La mienne est modérée et j'arrive à la limiter pour qu'elle n'impacte pas les autres.
Après tout, je me connais moi-même, et socrate serait content de moi " gnôthi seauton", Ca reste pleinement philosophique ( comment la mauvaise foi de John déteint sur moi ? 😂)
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