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mercredi 18 mai 2022

Le cantique des cantiques - anonyme

 Après le Liban contemporain et la Grèce antique, je reste un peu au proche orient et en antiquité, et dans les langues orientales. Traduction de l'hébreu cette fois!
Liban-> USA-> Grèce-> Israël ( un peu artificiellement, en mentionant les pays actuels puisqu'on parle d'un texte antique)

et au niveau des langues d'origine:
arabe du Liban -> anglais des USA-> grec ancien-> hébreu ancien

OMG! Moi athée, qui lit un texte religieux? Oui, mais...
attendez la suite.

En effet, Le philosophe et philoloque Ernest Renan prend le Cantique des Cantiques, un des textes de l'ancien testament, et entreprend de le traduire, déjà, depuis l'hébreu ( et ,non plus seulement depuis els traductions en latin).
Puis suivant la méthode scientifique, il fait suivre sa traduction d'un commentaire de traduction où il explique comment il a procédé au découpage du texte, pour quelle raison il a prodécé comme ceci ou comme cela. ce qui pour moi est incroyablement intéressant puisqu'il se livre à une réflexion sur son travail de traducteur, les difficultés du texte d'origine, les différentes manières dont on peut le comprendre ( autant dire que pour moi, c'est passionnant)

Il voit dans ce texte biblique à la structure obscure une ébauche de pièce de théâtre, et de mon point du vue, il défend ses arguments, et son analyse tient la route:

Pour lui ce poème hébreu antique n'est PAS un texte religieux, bien qu'il soit intégré dans un livre religieux. Et de fait, il voit là dedans un corpus de textes poétiques traditionnels, assemblés, plus comme une anthologie que comme un ensemble cohérent, qui n'ont gagné leur galons de textes sacrés qu'a posteriori,par l'aura de leur ancienneté et par les analyses dans les siècles qui ont suivi faites sur le postulat:
" ce texte est plutôt érotique. Les textes sacrés ne peuvent pas être prosaïquement érotiques. Donc, puisqu'il est dansla bible, c'est un texte sacré et donc c'est qu'il y a un sens caché allégorique. D'ailleurs il a été écrit en Isarël qui ne peut rien produire que de sacré et religieux".
Renan entreprend donc de prouver l'inverse: " pourquoi chercher midi à 14 heures?" C'est un texte profane, tout ce qu'il y a de plus profane,  qui a été ensuite repeint au couleurs de la religion dominante pour en effacer les élément trop ouvertement peu religieux ( quand la paysanne se réjouit à l'idée que son fiancé vienne goûter le jus de ses grenades, pour Renan, il y a bien un sous entendu sensuel.. mais pas du tout religieux. Elle dit clairement ce qu'elle attend avec un certains sens de l'humour). Mais oui il y a une culture profane antique dans cette région, qui a été oubliée ou volontairement mise sous le tapis par la suite.

3° partie, il propose la même traduction, mais cette fois mise en forme à la manière d'une saynète théâtrale, avec les didascalies , les personnages, etc..
Et en effet, le texte obscur ainsi mis en forme paraît beaucoup plus clair. C'est évidemment une proposition d'un chercheur, parmi d'autres, mais elle fonctionne.
Il s'appuie pour ce faire sur sa connaissance des langues et cultures du proche orient, compare le style en hébreu des dialogues, les occurrences de dialectes, les mentions de lieux qui peuvent permettre de dater l'oeuvre ( vers -980) et de la situer géographiquement ( plutôt au nord de ce qui est maintenant Israël)
C'est passionnant, car il compare l'art théâtral officiel grec et, partant du principe que les textes antiques n'étaient pas lus, mais transmis principalement oralement, il en déduit que puisque le théâtre officiel ne faisait pas partie de la culture antique de cette région, il y a fort à parier que cette histoire soit plutôt une série de saynètes qui étaient jouées sur plusieurs heures, voir plusieurs jours, lors des mariages, et auxquelles tout un village pouvait participer.
Un "jeu" célèbre mais privé, qui n'avait pas besoin d'indications de personnages ou scéniques car tout le monde le connaissait et savait de quoi il retournait, qui parlait etc...

Car le texte met en scène une paysanne de la ville de sulem, enlevée par le roi Salomon pour en faire une de ses favorites. Enfermée au harem, elle ne cède jamais ni aux vances ( d'une réthorique standard de séducteur ridicule, qui sert toujours les mêmes compliments à toutes les femmes), ni aux cadeaux du roi.
Elle se fiche totalement de la richesse, de la réussite sociale et ne veut que retourner chez elle, dans son village , retrouver son fiancé. Il vient d'alleurs la retrouver et la tirer de là. Ce qui est représenté, c'est le triomphe de l'affection sincère sur les tentatives d'achat. Donc oui, il y a un fond moral, qui est tout à fait ce qu'on peut trouver dans les textes incontournables représentés lors des mariages, avec probablement des interludes de chants et danses ( Cantique, ça vient bien de " chanter").
Mais pas une morale au sens religieux monothéiste, avec tout ce que ça suppose de haine du corps, de refus de la sensualité etc...
La paysanne n'est pas prude, elle veut se réserver le droit de choisir elle-même celui à qui elle accorde le droit de tâter ses grenades! Et a parfaitement raison. Moi aussi, je ne laisse pas le premier venu me tâter les grenades en échange de cadeaux, nan mais!
Et vu ce qu'elle dit du monsieur, il peut se targuer d'avoir été vraiment choisi, c'est.. chou.

"Mon amant a le teint blanc et vermeil ; on le distingue entre mille. 11 Sa tête est de l’or pur ; ses boucles de cheveux sont flexibles comme des palmes et noires comme le corbeau. 12 Ses yeux sont des colombes sur des rigoles d’eau courante, des colombes qui se baignent dans le lait, posées sur les bords d’un vase plein. 13 Ses joues sont comme une plate-bande de baume, comme un carreau de plantes de senteur ; ses lèvres sont des lis, la myrrhe en ruisselle. 14 Ses mains sont des anneaux d’or émaillés de pierres de Tharsis ; ses reins sont un chef-d’œuvre d’ivoire, couvert de saphirs ; 15 ses jambes sont des colonnes de marbre posées sur des bases d’or ; son aspect est celui du Liban, beau comme les cèdres. 16 De son palais se répand la douceur, de toute sa personne le charme. Tel est mon bien-aimé, tel est mon ami, filles de Jérusalem"

C'est plutôt plaisant de voir que dans l'Antiquité aussi on mettait en avant la sincérité des sentiments, les qualités personnelles des gens- le beau brun en question dépeint comme une statue.. euh contemporaine? est en fait un berger, qui garde ses moutons à la campagne, mais c'est lui qui lui plaît et pas un autre. Lui tient à peu près le même langage d'ailleurs: elle et pas une autre. Et les deux ne se cachent pas de ce qu'ils comptent faire ensemble dans la verdure, lorsqu'ils auront réussi à s'enfuir.

Renan, présenté comme auteur athée, est plus subtil que celà, il veut simplement débarasser le texte des exégèses postérieures pour en retrouver la base ( c'est une quatrième partie, critique comparant les différentes manières dont la perception du texte a évolué au fil du temps et a été tordu pour correspondre aux valeurs des époques suivantes)  et montrer que d'une part, l'antiquité était moins prude qu'on a bien voulu le faire croire ( plus récemment JP Vernant a développé les mêmes idées contre une analyse " Freudienne" des mythes grecs qui consiste à juger d'une oeuvre hors contexte pour la lire à l'aune de valeurs plus tardives de plusieurs siècles, et a donner à l'auteur des intentions qu'il ne pouravait pas avoir). Et parallèlement, il fait ressortir du texte une moquerie politique: Salomon, présenté comme un héros de la religions est ici un roi ridicule, qui enlève des femmes pour les mettre dans son harem, essaye de les acheter avec des cadeaux, se permet en public des remarques égrillardes. Les frères de la bergère sont aussi se sacré venaux qui fomentaient de la vendre au roi... si celui-ci ne l'avait pas enlevée avant qu'ils ne s'en rendent compte.

Donc un essai fort intéressant, qui tente d'appliquer une méthode scientifique à un texte antique pour en retrouver l'essence.

C'est dans ces cas que je me dis que l'incendie de la Bibliothèque d'Alexandrie est probablement la pire catastrophe culturelle de l'histoire humaine. La majeure partie des textes antiques ayant disparu ce jour-là. On aurait probablement à l'heure actuelle une tout autre vision de l'antiquité, sans avoir à procéder par recoupements théoriques et des extrapolations.

Alors oui Renan est forcément un peu daté, puisqu'il est de la seconde moitié du XX° siècle, et donc antérieur à des linguistes tels que Meillet ou Benveniste, ou des philologues et anthropologues tels que Dumézil. Donc on a fait mieux depuis, mais.. mais il a bien fallu des précurseurs, et en l'occurence, sa présentation de la culture antique hébraïque et sa volonté de revenir au plus ancien état de texte possible en analysant un texte religieux comme un matérieau littéraire comme un autre sont très intéressantes.
Doublement classique: antique, et traduction commentée du XIX° siècle

4° étape on reste au Proche-Orient


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